Une autre temporalité

Le Mois du documentaire, une manifestation qui favorise le débat citoyen et l’ouverture des regards

Marianne Palasse

Chaque année en novembre, un réseau de 1 800 lieux partout en France et dans une quarantaine de pays met à l’honneur le film documentaire pendant un mois. Cet événement de grande ampleur permet de montrer une diversité de films à un public de proximité, non spécialiste, des grandes et moyennes villes aux territoires les plus ruraux. La plupart des projections est accompagnée de rencontres avec des réalisateurs et intervenants, de débats et d’événements parallèles, ateliers, expositions, master-classes…

Créé par Images en bibliothèque, dès le départ, le Mois du film documentaire a tenu à ne pas opposer fond et forme, cinéma et document, traitement d’un sujet et proposition artistique, information et émotion… Au contraire, les organisateurs de cette manifestation sont convaincus que c’est bien dans la rencontre de ces intentions que réside l’intelligence et la singularité des films qui sont montrés. Il s’agit de donner à voir et à penser à travers le prisme de la création, une création en constante recherche, loin du formatage des écritures et des idées.

Il y a dans notre démarche l’envie d’ouvrir des portes entre les publics et les idées. Cette ouverture est rendue possible grâce à l’implication personnelle des auteurs, car le regard qu’ils exposent à travers leurs films est une proposition de point de vue adressée au spectateur. Et cette subjectivité est nécessaire pour qu’il y ait altérité et dialogue avec le spectateur. Il ne s’agit pas pour autant de cinéma militant, il s’agit plutôt d’un engagement de l’auteur qui rend possible l’adresse faite au spectateur, et donc l’invitation au dialogue.

Beaucoup de programmes thématiques du Mois du film documentaire sont l’occasion d’échanges citoyens sur des questions sociales, économiques et politiques. Les modes de vie et de consommation, la mondialisation, l’évolution de l’agriculture et du monde paysan, la solidarité internationale… sont autant de questions actuelles cruciales qui sont débattues lors des séances. Nombreux sont les films qui soulèvent des problèmes de fond et incitent les spectateurs à prendre part à la réflexion.

Les programmes proposés chaque année ne portent pas uniquement sur les questions sociales, politiques, environnementales et écologiques. Mais sur les quelques 300 programmations thématiques, on peut dire qu’une cinquantaine au moins s’attache à porter un regard sur un sujet d’actualité en lien avec la vie citoyenne.

Pourquoi cet intérêt de la part des auteurs et des publics ? Tout d’abord parce que le cinéma apporte un autre point de vue que l’actualité journalistique, mais aussi une autre temporalité. Dégagé du devoir d’informer en temps réel du cours des événements, le cinéma documentaire peut prendre le temps de l’analyse et de la réflexion. Au-delà de la volonté d’informer, le film documentaire propose d’analyser. Il invite le spectateur à développer son regard critique et être partie prenante des débats et réflexions qui agitent la société.

Parmi les programmations de novembre 2013, on peut par exemple citer celle de la Médiathèque de l’Institut français de Madrid, autour de l’agriculture et l’élevage biologique, avec des films comme Love MEATender de Manu Coeman, sur les coulisses de l’élevage industriel et ses conséquences sur l’environnement, Pierre Rabhi au nom de la terre de Marie-Dominique Dhelsing, sur l’agro-écologie, et Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau, autour des conséquences des modes de production et de la consommation sur le dérèglement écologique.

Coline Serreau se déplace d’ailleurs dans de nombreux autres lieux pour échanger autour de son film avec le public, à la Médiathèque de Mérignac par exemple qui organise un programme autour de l’alimentation et la mondialisation.

La Médiathèque Aimé Gaugue de Mirecourt en Lorraine organise un cycle intitulé « Autrement, autres mondes » qui questionne les modes de vie avec de nombreux films et intervenants.

Citons également le programme de la Médiathèque Astrolabe avec le cinéma de Melun, Entre le local et le global, qui présente plusieurs films dont Indignados de Tony Gatlif, sur le mouvement des Indignés, et La Pluie et le beau temps d’Ariane Doublet. Ce film montre les évolutions des modes de production du lin en Normandie, par les échanges avec la Chine. La Normandie produit à elle seule près de la moitié du lin mondial. Pour conserver cette culture millénaire, les agriculteurs du Pays de Caux se sont tournés vers un nouveau et presque unique client : la Chine. Cette nouvelle organisation implique une gestion différente, des échanges internationaux difficiles, et de la spéculation.

« États des lieux… » est le programme de l’Institut d’Hazebrouck dans le Nord-Pas-de-Calais, autour de l’environnement, de la nature, de l’agriculture, de l’alimentation et de notre rapport au monde pour s’interroger sur nos pratiques…

En Champagne-Ardenne, l’association Autour de la Terre qui coordonne la manifestation sur le territoire, organise de nombreuses projections dans les villages accompagnées de moments conviviaux. L’idée étant de privilégier des temps de rencontre. Le cinéma est aussi là un vecteur de lien social.

Il ne s’agit que de quelques exemples parmi les très nombreux programmes proposés cette année.

De manière générale, la manifestation tient à cette relation étroite entre l’ouverture des publics et l’exigence des œuvres montrées. La plupart des projections sont accompagnées de rencontres et débats, cela fait partie de l’esprit de l’événement et de ses fondements.

D’ailleurs, l’une des particularités de la manifestation est son organisation singulière, qui permet la mise en place de projets sur tous les territoires et à destination d’un large public.

En effet, le Mois du film documentaire rassemble un réseau important de structures qui travaillent en collaboration : 1 800 structures organisatrices des séances, vingt partenaires régionaux, vingt-six partenaires nationaux et la coordination nationale assurée par Images en bibliothèques.

Au total, 1 045 villes et communes (959 en France et 95 dans le monde) sont partie prenante du projet. La diversité des structures participantes, qui œuvrent dans le domaine culturel, éducatif ou social, permet le croisement des 150 000 spectateurs annuels : 610 médiathèques, 300 salles de cinéma, 630 structures culturelles, 100 établissements scolaires, 100 structures sociales, et 60 centres culturels et Alliances françaises à l’étranger.

Toutes ces structures travaillent différemment et mènent des projets singuliers, en fonction de leurs publics, de leurs moyens et de leur projet culturel. Ce qui les réunit au sein du Mois du film documentaire, c’est le désir de faire découvrir des œuvres, de susciter la curiosité des publics, d’initier des réflexions à travers les regards des auteurs, et de faciliter la rencontre entre les œuvres, les auteurs et les publics. Tout ce réseau de fonds et de lieux constitue une ressource inestimable à la disposition des associations pour la recherche de films et pour l’organisation des projections-débats.


  • La Pluie et le beau temps
    2011 | 1h14
    Réalisation : Ariane Doublet
  • Pierre Rabhi, au nom de la terre
    2012 | 1h38
    Réalisation : Marie-Dominique Dhelsing
  • Solutions locales pour un désordre global
    2010 | 2h53
    Réalisation : Coline Serreau

Publiée dans La Revue Documentaires n°25 – Crises en thème. Filmer l’économie (page 143, Mai 2014)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.025.0143, accès libre)