Débat animé par Fabrice Puchault à Lussas, août 1995
Fabrice Puchault : Nous avons ici pour le débat Peter Friedman, réalisateur du film, Jean-François Brunet, co-réalisateur du film, Emmanuel Laurent, des Films du Bouc, producteur délégué français du film, Christophe Jörg qui à l’époque travaillait à la ZDF – maintenant il travaille à ARTE – co-producteur du film et Joëlle Miau de Canal Marseille, un des diffuseurs français du film.
Alors on va peut-être commencer par le début. Comment est né le projet ? Quelles sont les règles que vous vous êtes imposées dès le départ pour son écriture et sa production ? Et comment vous êtes-vous rencontrés ?
Peter Friedman : Jean-François et moi, nous nous connaissons depuis longtemps. Depuis longtemps nous échangions sur nos matières respectives, le cinéma et la recherche. Un jour, nous avons décidé de commencer une collaboration. Ce n’était pas évident au départ, parce que la science, en particulier la biologie, a toujours eu un aspect rebutant pour moi. En même temps, j’ai toujours été très intéressé par la nature elle-même, et j’ai appris de Jean-François qu’un film ne devait pas nécessairement être comme les mauvais cours que j’avais eus à l’école, alourdi par tout un vocabulaire qui m’avait bloqué.
Jean-François Brunet : Pour moi, co-réaliser ce film m’a permis d’exprimer, disons sur un mode artistique, cinématographique en l’occurrence, une expérience du monde. Une expérience d’un aspect du monde – en relation avec mon métier de chercheur. Je suis au départ, et encore, chercheur en biologie. Le regard sur la nature que porte, qu’élabore plus exactement dans une dynamique, la biologie, forme une vision du monde, et change la façon dont on regarde la nature en particulier. Ce regard est très riche de matériaux pour rêver – même philosopher, si on veut – ou contempler, simplement. Donc, le film est cet essai de transvaser un regard du domaine scientifique et de le partager, en quelque sorte, sur un mode autre et accessible à tous.
Monter la production
Peter Friedman : Jusqu’à présent, j’ai produit mes propres films par nécessité. Chez les Américains, la plupart des réalisateurs sont aussi des producteurs parce qu’on ne peut pas faire autrement, nous avons beaucoup moins de subventions. Jean-François et moi avons décidé d’essayer de baser le projet en France, et on a rencontré Emmanuel Laurent au marché du Sunny Side, à Marseille en 1992. Et voilà, ça a été le début de son intérêt…
Emmanuel Laurent : J’avais rencontré Peter au MIP avant de rencontrer Jean-François. Ce qui m’a plu dans cette aventure-là – j’avais produit ou fait d’autres films scientifiques avant – c’était l’association entre deux personnages, un cinéaste et un chercheur, tous les deux partageant un goût très fort pour le cinéma, et le désir, non pas de faire un film qui allait être une leçon sur la biologie, mais de faire un film tout simplement, un film avec un matériau inhabituel.
Lors d’un film sur l’astrophysique, on admet de rêver, parce que ça se fait depuis longtemps, mais sur la biologie, on considère qu’on doit apprendre des choses. La gageure de ce film était de faire rêver avec un matériau qui ne fait pas rêver habituellement. Donc, a priori, j’avais très envie d’aider et de pousser pour que les choses se fassent.
Malgré la maigre demi-page qui leur servait alors d’introduction à leur démarche, nous avons rencontré longuement au Sunny Side, Jean-Jacques Henry (responsable des programmes scientifiques à La Sept) qui nous a encouragés à écrire un projet plus étoffé et à le lui soumettre à nouveau.
Les deux auteurs se mirent au travail et me remettent deux mois plus tard un magnifique projet, remarquablement écrit et conçu, richement illustré, et qui ressemble singulièrement au film terminé. Ce texte est très bien accueilli par le CNC (aide à l’écriture et au développement), par l’Agence Jules Verne (depuis disparue) et par le Ministère de la Recherche qui nous allouent un peu plus de 200 000F. 105 000 F sont disponibles pour le développement ce qui nous permet d’engager les premiers repérages.
Mais du côté de La Sept, pas d’encouragement ni de soutien au dévelloppement, le projet reste lettre morte. Jean-Jacques Henry est coincé, me dit-il un peu plus tard, par le faible volume de programmes scientifiques engagé alors par la chaîne et surtout par un autre projet « voisin » (sur le sang) défendu par Jacques-Louis Binet (haute autorité scientifique de La Sept) et qui a antériorité sur le nôtre.
Jean-François Brunet : C’est vrai, le projet ressemble au film, avec les mêmes références, les mêmes archives.
Peter Friedman : Comme Emmanuel le dit, on a écrit un dossier tout à fait au début qu’on a suivi de près. Et puis, j’avais travaillé avec Christophe Jörg sur un film avant, et on lui a proposé le film assez tôt dans l’écriture. Il était la première personne à voir le projet, je crois.
Christophe Jörg : Nous avions déjà travaillé sur Silver Lake Life, the view from here ensemble. Je travaillais à l’époque pour « Das klein Fernsehspiel », donc pour l’équipe d’Eckart Stein et au début d’Arte, on avait mis de l’argent dans Silver Lake. Je connaissais le travail de Peter. Je ne connais rien du tout aux sciences. Mais quand il m’a présenté ce projet-là, j’ai été fasciné par cette approche qui mélange le langage cinématographique avec le langage scientifique. J’ai trouvé ça très bien. À la ZDF, surtout dans l’équipe d’Eckart, on a un peu la réputation d’être des oiseaux exotiques ; on nous donne de l’argent pour nous amuser et amuser le public. Très vite, j’ai dit que j’aimerais bien faire ce projet. Cela a permis à Peter de trouver d’autres partenaires.
Fabrice Puchault : L’engagement de la ZDF a-t-il changé des choses pour la production ?
Emmanuel Laurent : Il faut dire que début 1993, Peter terminait Silverlake Life, que ce film a accumulé des récompenses dans des festivals du monde entier et a eu un succès public et d’estime considérable. Et cela a tout changé pour Une mort programmée. La ZDF s’est dite prête à produire le prochain film de Peter Friedman et s’est effectivement engagée à peine deux mois plus tard sur notre projet, en co-production cette fois, et en prenant les droits du film pour Arte et 3 Sat, ainsi que pour une diffusion en Autriche.
Fabrice Puchault : Il faut préciser que la ZDF, c’est Arte. Ce sont des fonds d’Arte qui sont gérés par la ZDF.
Emmanuel Laurent : Oui, mais cette bonne nouvelle allait se révéler en fait pour moi, producteur indépendant « à la française », un cadeau empoisonné. ZDF-Arte s’engageait à hauteur de 150 000 DM, soit environ 500 000 FF (pour un devis alors évalué à 2073000 FF), ce qui est équivalent, ou même légèrement inférieur à ce qu’aurait donné La Sept-Arte, mais avec l’inconvénient majeur que nous n’avions pas le droit de solliciter le COSIP ou la Procirep, même si le film devait être diffusé en France sur le réseau d’Arte. Les autres grands diffuseurs français (France 3, Canal +, France 2, M6) refusaient le projet, pas seulement parce que la première exclusivité était prise par Arte, mais parce qu’un film d’auteur sur les cellules n’est pas vraiment leur tasse de thé. J’avoue ne pas avoir pris la peine de solliciter TF1.
Et puis, quelqu’un au CNC, Claudine Manzanarès en particulier, m’a conseillé d’aller chercher des diffuseurs français auprès des réseaux câblés qui pouvaient s’y intéresser. J’avais le droit d’accumuler des apports jusqu’à obtenir 15% du budget. Les câbles, dans un premier temps, n’ont pas répondu, ou ne se sont pas intéressés au projet. Et puis, Joëlle Miau, ici présente, de Canal Marseille et qui, elle, a produit et réalisé beaucoup de films scientifiques dans sa carrière, est entrée dans l’affaire. Elle a accepté de mettre 126 000 FF (dont 5 000 F en liquide et le reste en salle de montage et conformation vidéo). Même si nous avions décidé de tourner en 16 mm, cette proposition nous convenait parfaitement : le négatif serait recopié en vidéo BETA SP et les auteurs habitaient Marseille. Joëlle Miau m’a orienté ensuite vers une autre télévision par câble versée dans les sciences : Telessonne que dirige Patrick Vuiton. Il s’est engagé pour 113 000 FF (3 000 FF en numéraire, palette graphique et banc-titre en industrie). Une autre chaîne câblée, 10 Patch d’Angers, nous a fait un contrat de pré-achat pour 4 500 FF.
Avec les contrats des câblo-opérateurs et après avoir révisé le devis prévisionnel à la baisse, soit, pour l’heure : 1 490 000 FF (pour que les parts cumulées des diffuseurs français correspondent au fameux 15% du budget, mais aussi pour nous-mêmes, pour estimer de combien nous plongerions dans le rouge), nous avons présenté un dossier au COSIP et un autre à la Procirep. Ils ont tous les deux accepté de nous soutenir, pour respectivement 180000FF et 100000FF. Il est amusant de souligner que le projet est partout très bien reçu et même plébiscité pour son originalité, pourvu que ses lecteurs ne soient pas des responsables en charge de programmes de télé des grandes chaînes nationales françaises !
Même si nous n’avions réuni qu’un peu plus de 1200000FF, nous avions décidé de nous lancer dans la production quoi qu’il advienne pour ne pas perdre le soutien de la ZDF et le travail que les auteurs avaient accompli jusqu’ici. Peter Friedman, qui s’est mis en co-producteur américain du film à travers sa propre société, comme Jean-François Brunet se disaient prêts à travailler sans salaire si nécessaire, conditions que j’ai acceptées pour moi-même aussi. Peter a toujours travaillé comme ça pour ses propres films et pouvait, pour l’instant, vivre sur les « rentes » de Silverlake. Jean-François est salarié au CNRS et je touche de temps en temps des droits d’auteurs et un petit salaire fixe des Films du Bouc. Il faut dire que le soutien de la ZDF ne devait survenir que très tard : le contrat (enfin signé) précisait que 80% de la sommé prévue (soit 400 000 FF) ne seraient versés qu’au « visionnement d’une copie de travail élaboré ». Heureusement la société Duran, dirigée par Pascal Hérold et Frédéric Thonet, a accepté d’entrer en co-production pour une partie des prestations techniques, du montage au mixage, le télécinéma et le kinéscopage. Cela nous a encouragés vivement, et c’est ce soutien qui nous a permis de nous lancer un peu comme ça, à l’aventure.
Peter Friedman : C’est assez extraordinaire qu’au CNC, Arte n’est pas considérée comme un diffuseur français. Même si le film est diffusé en France, l’argent vient du côté allemand et donc ne donne pas accès aux aides françaises. Du coup, on a dû se lancer dans toute cette histoire, et je crois que cela a coûté au moins six mois de retard au projet. Pendant ce temps, Jean-François et moi continuions le travail grâce à l’aide à l’écriture du CNC et à l’agence Jules Verne. On a voyagé un peu, on a rencontré toutes les personnes qui sont dans le film – et d’autres. On a fait des pré-interviews, on les a transcrites, on les a même montées sur papier, pour savoir ce qu’elles pouvaient dire, et ce qu’on devait leur demander de ne pas dire ou la façon dont ils devaient exprimer certaines choses. Ce n’est pas facile pour des experts de parler sans vocabulaire de plus de deux syllabes et ça c’était une de nos règles. L’autre règle était que, au niveau de la science, il fallait que tout soit absolument solide. On voulait que la science soit juste et correcte partout…
Emmanuel Laurent : Juste pour conclure sur les histoires de montage financier, un jour en 1993, ils sont réapparus tous les deux, avec un morceau de 3 mn qu’ils avaient monté en vidéo à Marseille et qui donnait l’esprit du film – parce que jusque-là, le film n’existait que sur le papier et certaines personnes étaient inquiètes des propositions un peu théoriques du scénario. Je crois qu’il y a même une scène qui existe encore dans le film, c’est la scène avec les violons et la chorégraphie de Busby Berkeley. Donc cette cassette a été aussi un outil de prospection pour convaincre d’autres gens notamment plus tard aux États-Unis.
Finalement, la production s’est montée en même temps que le film se faisait. Au début 94, on avait un peu plus d’un million de francs, un peu en dessous de la moitié du budget. La recherche d’autres partenaires était très lent et ZDF commençait à trouver tout ça un peu long. On avait deux choix : tourner comme ça ou laisser tomber le projet. On a décidé de tourner. Le plus gros du tournage a eu lieu il y a un an, en juillet et août 1994 – car il y a eu des petits tournages morcelés tout le long du montage.
En septembre 94, toujours sans réponse d’autres soutiens éventuels, nous avons décidé de commencer le montage proprement dit chez Duran (après un premier derushage à Câble Marseille). Nous avons choisi de monter sur un système de montage virtuel (Lightworks) que je venais d’expérimenter pour ma précédente production, Gustave Caillebotte. Les rushes ont été télécinématographiés entièrement et étalonnés : nous pensions alors rester en vidéo pour la copie finale. Cette opération aurait été simplifiée si nous avions su à temps que nous aurions d’autres moyens financiers pour nous permettre de retourner au négatif du film. Nous n’aurions pas dû, par exemple, faire la synchro directe des rushes. Nous n’aurions pas dû non plus étalonner ces mêmes rushes. Par contre, nous aurions dû incruster des codes négatifs à l’écran pour le montage.
Le film a été tourné à 24 images/seconde, après moult hésitations, encourages en cela par M. Beauviala, dont nous utilisions la caméra Aaton avec code. Une autre raison : aux États-Unis, co-productrice de fait à travers Peter Friedman, on ne connaît que les 24 images/seconde au cinéma comme à la télé ; pour exploiter notre film là-bas, nous aurions été amené à le ralentir de 4% (1 image sur 25). Le ralentissement d’un film est bien plus dommageable que l’accélération par le même pourcentage qui est le rythme auquel nous voyons tous les films américains à la télévision française. Il n’est pas certain, au bout du compte, que notre choix fut le bon, là non plus. Mais à ce problème, il n’y a pas vraiment de solution à ce jour.
Comme on voulait montrer chacune des personnes en utilisant leur langue d’origine, il nous a fallu deux mois pour traduire et saisir sous forme numérique l’ensemble des rushes. Nous recherchions en même temps un(e) chef-monteur(se) « cinéma » capable de monter sur virtuel. Peter ne souhaitait pas monter lui-même cette fois, pour avoir du recul par rapport à ce sujet sur lequel il était très engagé. Mais finalement, faute de candidat(e)s crédibles, capables de s’engager sur une traversée au si long cours pour le maigre salaire que nous étions en mesure de verser (inférieur d’environ 30% au tarif syndical cinéma) sur 16 semaines prévues, ce sont les deux auteurs qui ont pris en main le montage avec l’aide précieuse d’une assistante-monteuse, Florence Fradelizi, et plus tard Mathilde Cousin pour le son. Ce fut là, par contre, une très bonne décision : je vois mal, rétroactivement, comment un monteur bombardé sur un travail si particulier s’en serait sorti et surtout comment nous aurions pu suivre, financièrement parlant : le montage sur notre système virtuel a duré encore 28 semaines jusqu’à la fin du mixage (en tout, depuis le début, 8 mois à temps plein) beaucoup de dimanches compris.
Début décembre 1994, une nouvelle a changé le cours de la production : ITVS aux USA accorde la subvention demandée, 250 000$ (1 300 000FF à l’époque). Soit, tout simplement un budget qui double. Du coup, nous achetons notre propre système de montage virtuel (AVID) et on relance la recherche de nouvelles archives, payantes cette fois avec la société X Y Zèbre, et la fabrication d’un dessin animé à laquelle nous avions renoncé. Les droits d’archives, en tout, pèsent à eux seuls pour un peu plus de 550000FF (droits mondiaux sur dix ans minimum ou permanents), les droits musique pour un peu moins de 220 000FF.
Pendant l’hiver, nous réussissons également à convaincre un partenaire en Belgique, la société Salammbo, représenté par François Vanderveken, qui trouve à son tour un soutien financier et en industrie auprès de la RTBF. Nous remplissions alors les conditions pour pouvoir présenter un dossier à Eurimages. La somme allouée par Eurimages étant une avance sur recettes, nous avons décidé de prendre le risque de rectifier légèrement les faits : le tournage officiel débuterait le 10 février 1995. Nous avions sollicité 300 000FF, nous en obtenions 250 000FF.
La version film 35 mm et non plus simplement 16 mm est enfin à notre portée, malgré les lourdes charges supplémentaires qu’elle suppose. Le kinéscopage (transfert sur pellicule film d’images vidéos) des prises de vue de cellules tournées par les scientifiques eux-mêmes en vidéo Beta ou numérique sur disques durs qu’il a fallu chercher à travers le monde a failli nous y faire renoncer. Mais le travail remarquable de Duran en collaboration avec Telcipro nous a permis de faire deux copies en 35 mm. En toute fin de production, nous avons reçu le soutien du CNRS et de l’Inserm au vu de l’ours final pour 26 et 27000FF chacun, ce qui nous a permis de faire le matériel de promotion.
Les comptes définitifs à la sortie du film (juin 95) laissent apparaître un déficit de « seulement » 520 000FF sur un coût global de 3 909 228FF, déficit que nous imaginons, contre tous les conseils avisés, combler assez vite pour un film dont la carrière est internationale.
Public : Sur les archives, tout d’abord, félicitations. Il y a un très beau travail sur les archives scientifiques. Or, en regardant le budget, vous avez estimé seulement cent mille francs sur les archives, ce qui me paraît bas au regard de ce que vous dites. Est-ce que ça veut dire que vous avez eu facilement les institutions scientifiques en co-production et qu’elles ont apporté leurs images ? Ou est-ce que vous avez eu ces archives pour pas cher ? Et si c’est le cas, je vous félicite.
Peter Friedman : Non, ça veut dire qu’on s’est trompé énormément.
Jean-François Brunet : C’est vrai, les archives cinématographiques ont coûté très cher, mais les archives scientifiques elles-mêmes, à part une ou deux exceptions, n’ont rien coûté du tout, et ont été données par les gens qui les avaient fabriquées dans leurs laboratoires. Ces archives viennent du monde entier – une séquence, d’ailleurs, a traversé l’Atlantique par Internet. On est allé les collecter dans des laboratoires, à Londres, aux États-Unis, en France à l’Insern au Vésinet, et toutes celles-là ont été données sans implication ou co-production véritable… elles n’ont rien coûté. Mais il ne faut pas se tromper. Elles ont coûté très cher en énergie et en argent aux gens qui les ont faites… Heureusement qu’eux, ils font partie d’institutions qui les paient, qui les font dans un but de recherche.
De la géographie mentale des chaînes de télévision
Public : On est stupéfait de ne pas voir de diffuseur national hertzien dans cette co-production. Quelle était la raison qui a été invoquée, s’il en était invoquée une, pour refuser le projet ? Et quelle est l’opinion, maintenant, de ces diffuseurs qui doivent se mordre les doigts, je suppose, à propos de cette production ?
Emmanuel Laurent : On ne sait pas s’ils s’en mordent les doigts. Peut-être va-t-on voir sur le prochain projet. Il n’y a pas beaucoup de films scientifiques indépendants produits en dehors des magazines et des séries régulières. Faire un film d’auteur sur la biologie n’est pas quelque chose qui était particulièrement excitant pour eux.
En fait, le film a démarré au moment de l’accord de la ZDF parce que le précédent film de Peter, qui s’appelle Silver Lake Life, the view from here a eu beaucoup de succès, et a fait monter la côte de Peter Friedman. Je crois que c’est ce qui a emporté la décision à la ZDF.
Christophe Jörg : Il y avait la confiance dans le travail de Peter, et la qualité du projet. Mais il ne faut pas s’imaginer que, par exemple, la ZDF normalement financerait un film comme ça. La ZDF est une grande machine comme France Télévision, qui n’est jamais intéressée par un tel projet… ça, tout le monde le sait. Donc c’était possible parce que la ZDF-Arte est une petite chaîne à laquelle la maison mère donne de l’argent pour financer des projets de ce genre pour Arte. Sinon, il n’aurait pas été possible, ni en Allemagne, ni en France, de trouver des co-producteurs.
Au début, on disait : « va voir la BBC, va voir Channel Four », mais tout de suite, la réponse était « non, ce n’est pas assez scientifique », « ce n’est pas assez cinématographique », etc. Donc, personne n’avait confiance dans le projet.
Peter Friedman : Même avec Channel Four, co-producteur de Silver Lake Life, on avait un problème qu’on a retrouvé ailleurs aussi. Pour les films scientifiques, il y a une structure responsable. Dès que j’ai donné le projet à la personne que je connaissais à Channel Four, elle m’a dit : « je suis obligé de le passer au département de la science »… Donc, tout de suite, je me suis retrouvé dans un coin entouré de gens que je ne connaissais pas, qui produisaient treize heures par an et qui suivaient une formule assez précise, un format précis, et pour eux, ce n’était pas assez scientifique, pas assez comme ce qu’ils font d’habitude, et personne d’autre dans la chaîne n’était capable de prendre en charge un film avec un sujet scientifique parce qu’il y a une politique interne de répartition rigide. Donc dès qu’on sort d’un genre connu, on est perdu.
Jean-François Brunet : Il y a une géographie interne à la plupart des chaînes de télévision, et ce film est tombé nulle part.
Christophe Jörg : On a fait passer le film, sur Arte, comme un film scientifique. Il était prévu pour une case scientifique de 52 minutes . Après, le film a évolué et les cases aussi, donc il termine, maintenant, en « Grand Format ». Mais ce n’était pas évident et ce n’était pas du tout prévu, au début.
Emmanuel Laurent : Et, pour nous, c’est une grande satisfaction. L’idée était de faire sortir la science du ghetto. Je crois que les gens qui s’intéressent à la science s’intéresseront, sans qu’on aille les chercher, à ce film. Ce sont les autres qui nous intéressent. Et l’idée était de prouver que dans les domaines de la science, il y avait un grand réservoir de films à faire. Donc, le fait qu’il soit programmé en « Grand Format » parmi d’autres films d’auteur est une vraie satisfaction.
Joëlle Miau : Je voudrais revenir sur la phase de production et donner mon point de vue sur le rôle que les canaux locaux peuvent jouer en France, justement là où les télévisions hertziennes sont si frileuses. Particulièrement à Marseille, on considère qu’en tant que canal local, on a un rôle à jouer de préfigurateur. On peut appeler cela aussi un rôle d’observatoire de ce qui peut se passer en matière audiovisuelle, à l’échelle nationale, voire internationale – comme c’est le cas dans ce montage-ci. En France finalement, il n’y a pas vraiment de lieu où ça se fait, hormis les festivals bien sûr. Sur les télévisions-mêmes, personne n’interroge un public de spectateurs de télévision. Et nous, on trouve que c’est un manque. Nous, à Marseille, on a véritablement envie de proposer aux chaînes : « nous nous proposons comme tremplin d’expérimentation pour des choses originales que vous, pour de multiples raisons, objectives ou pas, vous ne pouvez pas faire. Vos grilles sont de véritables enfermements, enchaînés aux taux d’écoute, et nous ne connaissons pas véritablement ces contraintes-là sur le câble. Le taux d’écoute, on s’en fout un peu. Ce sont nos abonnés. On a envie de respecter ce public, à Marseille en particulier, et on a envie de faire des choses qui rentrent dans le cadre du service public. Peut-être avec des accords avec des producteurs indépendants, peut-être avec l’union des télés locales françaises, on pourrait servir de tremplins pour des documents précurseurs, originaux, peut-être déjà reconnus par d’autres télévisions étrangères. »
Alors je suis particulièrement touchée par l’aspect filmique de ce projet, qui est formidable, mais aussi par son aspect éducatif. Aujourd’hui, il y a des distances entre le citoyen et les technologies telles que si, en France, on ne suit pas l’exemple d’autres pays, qui ont franchi le cap de l’éducatif télévisuel et de l’outil de la télévision comme support éducatif, je crois que nous allons finir par être un pays terriblement arriéré. Malgré La Cinquième, si en France, on ne bouge pas plus, tous ensemble, pour essayer d’aider le plus possible notre population à confronter ce genre d’expérience, si on n’appuie pas plus la possibilité d’existence de ce genre de document, je dirais si jouissif, mais aussi si utile, nous allons au-devant de grosses difficultés. Et c’est ce qui se trame avec ce refus des chaînes hertziennes de sortir de leurs routines. En tant que canaux locaux, j’espère que nous arriverons à faire d’autres montages avec des télévisions étrangères, européennes, ou autres, comme on a pu le faire avec ZDF-Arte.
Public : Juste une remarque sur les films institutionnels ou les films scientifiques dans le cadre des chaînes. Joëlle Miau a fort bien parlé là-dessus. Dans le cadre des chaînes classiques TF1, F2, F3, présenter un projet scientifique est un véritable problème. Mais monter un film avec un coût pareil, une œuvre audiovisuelle sur un sujet dit scientifique, c’est bien autre chose. Ce sont vraiment des risque-tout qui l’essaient car vous n’avez aucune possibilité de diffusion. Je ne dévoile aucun secret : lorsqu’on porte à une chaîne un film d’intérêt scientifique, disons un plus sévère que des jeux ou Nagui, on vous dit : « Allez donc à La Cinquième, ils ne font que ça ». Et on sait comment ça se passe à La Cinquième, les problèmes budgétaires qu’a Cavada, et son manque de crédits. C’est vrai que le film scientifique en général, en France, en Europe et même dans les pays anglo-saxons est quelque chose de très difficile à faire pour différentes raisons. Ce n’est pas toujours bien perçu, ce n’est pas, comme disait Madame, « très jouissif »… Mais avec ce film, on se trouve devant quelque chose de tout à fait différent qui est à la fois informatif, et qui est une sorte de rêve du genre « si les cellules m’étaient contées » ou « si la science m’était contée ». C’est, à mon avis, une forme de sensibilité qui coûte très cher, malheureusement, mais qui est la seule qui peut passer aujourd’hui. Il est intéressant de noter, et peut-être Jean-François Brunet n’osera pas le dire, que les chercheurs de sa génération, eux, ont compris les problèmes de l’audiovisuel, les possibilités de l’audiovisuel, et ils sont prêts à collaborer. Non seulement ce sont de bons chercheurs, mais en plus ils savent ce que c’est que le cinéma, ils connaissent les problèmes de l’audiovisuel. Ils seraient heureux de l’utiliser, non seulement pour leurs collègues, d’une façon spécifique et très particulière – mais aussi pour le grand public. Le problème, c’est qu’il nous manque des producteurs comme Emmanuel Laurent. Et on manque de gens dans les chaînes qui disent : « Tiens, plutôt que de faire Nagui, on va essayer de demander à un chercheur ou à un scientifique de faire un sujet intéressant – et qui soit en même temps du cinéma, de la bonne télévision ». C’est la quadrature du cercle, pour l’instant. Mais enfin, un jour ça arrivera, et c’est peut-être d’ailleurs, comme disait Joëlle Miau, par les chaînes câblées.
Structurer la matière, formuler la pensée, exprimer une vision…
Fabrice Puchault : Vous pouvez préciser comment se sont organisées les interviews ?
Jean-François Brunet : On a pré-interviewé tous les participants – il faut insister là-dessus. On est allé voir les six personnes interviewées là où elles étaient, à Boston, à Rome, etc., un an avant le tournage, et de façon assez extensive, sur la base d’un schéma de questions à poser, mais aussi en discutant sur la nature-même du film, le niveau de langage qu’on allait utiliser.
Ensuite, ce matériau-la était transcrit intégralement, et on a travaillé dessus. On a même fait une espèce de pré-montage avec ce matériau inutilisable – c’était sur une petite cassette audio pourrie – et sur cette base, on a repensé la série de questions qu’on allait poser à chacune des personnes. En particulier on cherchait à ce que les questions se recouvrent afin d’avoir, sur chaque sujet, un choix de phrases dont certaines seraient mieux que d’autres. Ensuite est intervenu un travail de montage classique en documentaire. Mais rien de ce qu’ils disent, eux, n’avait été écrit avant l’interview.
Public : Au montage, vous avez par moments plusieurs personnes qui redisent à peu près la même chose. Je ne sais pas si vous avez choisi de pilonner certaines idées que vous ne pensiez pas acquises par le public, ou avec lesquelles l’ensemble des scientifiques ne sont pas d’accord, ou si, au contraire, vous avez voulu montrer qu’il y a unanimité, actuellement, sur un certain nombre de thèmes concernant les cellules ?
Jean-François Brunet : Au départ, quand il y a des recouvrements, ou des répétitions en quelque sorte, ce n’est pas vraiment une répétition. Il y a toujours un changement de formulation qui ajoute un petit éclairage, ou qui résume de façon particulièrement frappante, ou il y a toujours un mot crucial dans la deuxième intervention et qui n’était pas dans la première, etc. Au départ, ce n’était pas pour pilonner, c’était pour progresser un peu, comme ça, en zigzag, pour cerner le sujet.
Public : Est-ce que Jean-François Brunet a eu le sentiment de prolonger son travail de chercheur scientifique en faisant ce travail ? Et quel a été le sentiment de son employeur ?
Jean-François Brunet : L’employeur lui-même, le CNRS, n’avait pas d’opinion réelle, parce qu’en fait, j’étais en mission explicitement pour faire ce film. Je ne crois pas que ça ait même, en fait, intéressé grand monde jusqu’à très récemment. Les gens, les collègues directs avec qui je travaillais, étaient embêtés parce que j’étais très absent. Mais autrement, pour la première question, oui. Il y a un continuum entre réfléchir à la science comme un chercheur le fait, et réfléchir à la formulation des choses, même avec une grande simplicité de vocabulaire. Quand on fait ça, on s’aperçoit qu’on est obligé de se reposer des questions à un niveau plus complexe. Il y a un dialogue, la formulation n’est pas séparée de la pensée. Et si on essaie de simplifier, d’abstraire d’un discours scientifique, les choses les plus essentielles, en fait, cela nous oblige à réfléchir dessus d’une façon plus profonde. Je crois que ce n’est pas un hasard si les gens qu’on a interviewés sont des sommités dans leurs domaines respectifs qui touchent tous à la mort cellulaire, et qu’ils excellent dans la formulation des choses. Quand on essayait de monter ce qu’ils disaient, on s’apercevait que ce n’était pas facile de couper le discours. Souvent les phrases sont bouclées de façon parfaite et donc, réalisent une grande précision d’expression, même en simplifiant énormément. Formuler les choses à ce niveau-là, de façon à ce que pratiquement tout le monde puisse comprendre, cela a beaucoup à voir avec réfléchir tout court, en fait.
Fabrice Puchault : Est-ce qu’au départ du projet, les deux mondes, celui du cinéma et celui de « la vie sociale », réel, tel qu’il s’illustre dans le cinéma, et celui des cellules, de la mort cellulaire, avaient été pensés ensemble ? Est-ce que c’était un élément déterminant de la construction du film, ou est-ce que ça s’est trouvé au fur et à mesure ? Et deuxième partie de la question, est-ce que le film était très écrit ? C’est-à-dire que, quand vous prépariez et ensuite, quand vous avez tourné, saviez-vous comment vous alliez monter ?
Peter Friedman : Je crois que pour la question sur les métaphores de la vie sociale, on avait l’idée depuis le début du projet, mais pas dans chaque cas particulier. On a fait des découvertes dans les archives, on a trouvé des choses un peu par hasard. On avait quelques idées spécifiques, mais elles ont changé, on les a réduites, on en a ajouté d’autres… Voilà. Pour l’autre question, c’est un film qui était beaucoup pensé à l’avance, mais presque pas écrit du tout. Moi, j’ai été monteur pendant plusieurs années avant d’être réalisateur, et c’est le montage qui m’intéresse le plus, en fait, dans le cinéma.
Emmanuel Laurent : Il y a une anecdote qu’ils m’ont racontée. Quand Jean-François a proposé à Peter de faire un film sur les cellules, au départ, ça ne l’enchantait guère, et donc, au bout d’un moment ils ont négocié. Peter a fini par dire : « bon, d’accord, mais à condition que j’ai le droit d’y mettre Zsa-Zsa Gabor ». Il n’y a pas Zsa-Zsa Gabor, il y a Esther Williams, ce qui n’est pas plus mal.
Je crois peut-être qu’il faut insister sur la démarche cinématographique au-delà de la démarche scientifique. C’est-à-dire que les personnages, au-delà de leurs très grandes compétences dans leurs domaines et qui savent de quoi ils parlent, sont des gens qui ont été choisis pour leur gueule, pour leur capacité à passer la rampe. Il y a un casting comme on le fait au cinéma et selon des critères, eux, très cinématographiques. Donc, il y a toujours eu ce principe de ne jamais délivrer du savoir – ce n’était pas le but ; le but, c’était de faire du cinéma. Il fallait transformer tout ce qu’on vient de dire en un langage cinématographique.
Jean-François Brunet : Quand on dit qu’on a voulu maintenir un langage cinématographique et faire un vrai film tout en maintenant un certain niveau scientifique d’intelligibilité, en fait, il ne s’agit pas d’une dichotomie. Et pour moi, c’était une des choses les plus intéressantes. C’est-à-dire que pour assurer l’intelligibilité, il a fallu travailler sur la « présence » au sens tout à fait cinématographique du terme.
Pour tout le monde, même pour les chercheurs, on n’arrive à réfléchir que si on a des objets mentaux bien présents à l’esprit. Par contre, si ces objets sont de vagues abstractions ou des mots seuls, on ne peut pas travailler dessus. Donc par exemple, pour la micro-cinématographie, les images de cellules, on a essayé de jouer au maximum de leur potentiel dramatique et esthétique plutôt que de les escamoter. Je me souviens d’une des critiques sur une version précoce du projet : « vous savez, les images de cellules, une fois qu’on en a vu 10 secondes, on s’ennuie. » L’idée dans les films scientifiques est toujours de passer vite dessus, alors nous, on a essayé de ne pas aller vite et d’induire un vrai regard, de regarder vraiment ces plans. Évidemment la musique aide à les doter d’une présence à l’esprit du spectateur, et qui permet d’écouter un discours sur elles, parce qu’en fait, il y a un début d’identification.
Et c’est ce que font les chercheurs. Pour les chercheurs, les cellules sont très familières. Ils les voient tous les jours. Le matin on les sort de l’incubateur, on les regarde au microscope, on se demande quelle gueule elles ont, si elles vont bien, etc. Mais en même temps, ça fait partie intégrante de la réflexion.
Peter Friedman : La vision, la réflexion, c’est peut-être pour moi l’idée centrale du film, et comme on vit dans le monde, on réfléchit, on voit des choses sur les plans sociaux, politiques, de l’art, au niveau de n’importe quoi. En même temps, il existe tout ce monde de la recherche qui est très coupé de nous, un monde à part, et qui est un réservoir de savoir qui contient, si on peut y avoir accès, des possibilités très profondes pour réfléchir à la nature des choses et en constituer une vision. Donc, on a essayé d’offrir dans ce film un petit peu de notre réflexion.
Le film reflète mon expérience d’entrée dans ce monde profond de la recherche, la science ou la biologie.
Public : Concernant le montage, comment avez-vous trouvé ces extraits de films, ces comédies musicales qui expriment formidablement vos idées ?
Peter Friedman : On a fait cela en plusieurs étapes. Je connaissais moi-même les films de Busby Burkeley. Ensuite, on a fait des recherches par Internet. Il y a des bases de données où on peut mettre des mots-clés comme « suicide raté », et on obtient mille titres de films du monde entier, depuis le début du siècle, avec des revues qui contiennent le mot « suicide raté ». Donc, on a fait un peu ça, on a passé une bonne semaine dans le National Library à Washington, qui est une immense réserve de « newsreels ». Tout ça a pris beaucoup de temps. Puis finalement, on a travaillé avec l’aide de deux documentalistes, une aux États-Unis, une à Paris, Christine Loiseau qui nous a beaucoup aidés avec sa propre connaissance du cinéma.
Emmanuel Laurent : Oui, au moment où Christine Loiseau est arrivée, le film commençait déjà à exister. Il y avait déjà eu beaucoup d’archives mêlées à d’autres séquences, des séquences qui fonctionnaient, d’autres pas. On a pensé aux cellules, au début, avec des gens qui applaudissent dans une salle de cinéma. Il y eut des tas d’expériences comme ça, des tentatives de métaphoriser les propos, dont certaines marchaient plus ou moins bien, ou marchaient bien, mais quand d’autres sont arrivées, il fallait les enlever. Il y a eu plusieurs étapes, plusieurs moments de mue du film.
Un autre système de travail a commencé avec Christine Loiseau. Elle est venue voir le film déjà assez clairement construit dans son principe, déjà élaboré, et elle a suggéré d’autres choses en discutant avec les deux réalisateurs, en leur proposant des choses. La séquence du début a été très difficile à trouver. Ils voulaient M. Loyal qui parle devant un rideau, comme un personnage de foire présentant la femme à barbe. Quand on a eu l’idée de la bande annonce d’archive, il fallait donc s’adapter à l’archive en question. En conséquence, il y a eu une longue maturation pendant le montage, et un temps de montage sur ce film qui semble tout à fait normal à Peter, mais qui a été un des grands points de différend entre nous. On a mis huit mois à monter ce film. Tous les deux ont mis huit mois à le monter, huit mois de traduction, de mémorisation – en utilisant un système virtuel – et donc six mois de montage pur après dérushage parce que, même pour arriver à un résultat simple et pur comme il est aujourd’hui, il y a eu une très longue et très lente remise en question de toutes les choses, perpétuellement. Mais toujours dans un sens de construction.
Peter Friedman : Le temps du montage est un grand mystère, pour moi, le plus grand mystère du travail en France. À New-York, d’où je viens, tout le monde prend six mois pour faire un film d’une heure. C’est complètement normal. Je viens en France, on fait un film en quatre langues, 73 minutes, assez compliqué, avec beaucoup d’éléments, et tout le monde me dit : « six mois de montage, mais comment ça ? » De mon point de vue c’est assez court pour le montage d’un film si compliqué. Comme je l’ai dit avant, j’ai été monteur pendant des années, et le calendrier habituel pour un film d’une heure, c’était entre cinq et six mois de montage.
Emmanuel Laurent : Peter est monteur, et sa grande force dans la fabrication d’un film, c’est le montage, c’est là qu’il est chez lui. Donc ce n’est pas une recette. Il y a des gens qui montent des films en six semaines qui sont très bien montés, et qui vont jusqu’au bout de leurs désirs. Je crois que ça dépend de la façon de raconter des histoires, d’écrire des films, et que quelques fois, passer trop de temps dans une salle de montage, c’est aussi détruire le film qu’on a fait. Il y a un moment où les choses progressent, vont vers quelque chose de mieux, et puis ça peut s’arrêter.
C’est vrai que j’ai appris beaucoup à les regarder travailler, de leur façon de réfléchir au sens des images, de leurs transformations et modifications. Toutes les formidables virtualités du montage ont été expérimentées. Tous les changements de sens subtils qu’il peut y avoir dans les utilisations possibles des archives, ou dans leur ordonnance, où l’alchimie a été très savante, où il y a eu un très subtil et très lent travail d’essais, de remises en question, de tissages très complexes.
Jean-François Brunet : Un facteur assez simple qui a contribué à la longueur du montage, c’est le choix de ne pas avoir de voix off, de ne pas avoir de narrateur. C’est assez classique en documentaire, mais pour un sujet comme ça, qui pose de gros problèmes d’enchaînements logiques, c’est plus difficile. Mais ce choix a été fondamental. Ça rejoint ce que je disais tout à l’heure, le rapport entre l’intelligibilité et la présence-caméra. On voulait que les gens aient une présence et que quand ils parlent, il se passe quelque chose. C’est-à-dire, on voulait qu’ils soient en train de penser au moment où ils parlent, et je crois que ça se voit. Ce sont des gens qui, lorsqu’ils parlent, expriment le fait qu’il y a un enjeu pour eux, on les voit formuler leur pensée. Cela confère une présence cinématographique à leur parole qui aide l’intelligibilité, je pense. Donc le refus du commentaire a été un choix assez fondamental, mais très coûteux en énergie.
Public : J’aurais voulu savoir comment les scientifiques ont reçu votre film. Et puis vous avez dit que vous aviez fait un casting au départ, alors j’aurais voulu savoir combien vous en avez vus, et sur quoi s’est basé votre choix ? Est-ce qu’il y en a qui ont refusé de participer… ?
Jean-François Brunet : Pour l’instant, il y en a quelques-uns qui l’ont vu et qui ont aimé, oui. Mais ce n’est pas destiné prioritairement à eux, ce n’est même pas du tout destiné à eux. S’ils peuvent avoir du plaisir à le regarder, un peu comme on feuillette un livre d’images, ou comme on écoute des choses que l’on connaît formulées d’une façon autre, tant mieux.
Quant au casting, en fait il y avait eu une pré-sélection. On n’a pas vu tellement plus de gens. Un certain nombre d’entre eux, je les connaissais, soit très bien, soit pour les avoir vu parler à des conférences et je savais qu’ils avaient un don. Par exemple lorsque Polly Matzinger était au dernier congrès international d’immunologie à San Francisco, ils ont dû enlever une cloison pour doubler le volume de la salle pour son topo. Dans certains cas, les contacts ont été plus tortueux. Pour Rita Levi-Montalcini, on avait prévu son collègue, qui a le même âge qu’elle, Victor Amburger qui est à St Louis, Missouri. Lors d’une discussion sur Victor Amburger, c’est Martine Raff qui nous a dit : « tiens, vous pouvez peut-être aller voir Rita Levi-Montalcini ». Voilà, il y a eu quelques aléas comme ça, mais disons au départ, ils ont été sélectionnés pour leur excellence à s’exprimer de façon vivante, imagée, simple, et l’intérêt de leurs recherches. Il n’y eut aucun refus, tout le monde était prêt à participer.
Public : Est-ce que vous avez fait plusieurs prises des interviews ?
Peter Friedman : Oui, parfois. S’ils commençaient à dire des mots trop compliqués. Mais Rita était impossible à contrôler. Dès qu’elle commençait à dire des choses trop compliquées, je l’interrompais en lui demandant de redire simplement, et elle me disait : « De toute façon, vous allez le traduire, vous pouvez changer à ce moment-là ». Mais le reste était plutôt notre exigence de simplicité, ou parfois, eux, ils n’étaient pas contents de leur expression des choses et ils demandaient de le refaire. Mais ça n’est pas arrivé souvent.
Jean-François Brunet : Dans le cas de Polly Matzinger, ça a été très dur de lui faire dire la chose qu’elle dit sur le fonctionnement du système immunitaire, parce qu’elle vient de développer une théorie où, justement, elle n’est plus d’accord avec ce qu’elle dit. Depuis deux ou trois ans, elle est la championne de cette nouvelle théorie, et on l’obligeait à dire quelque chose qu’elle était en train de démolir par son propre travail. Mais, elle a fini par accepter parce que sa propre théorie aurait été impossible à présenter.
On est aussi revenu parfois sur nos traces, reprenant à la fin de l’interview des choses qu’on avait dites au début mais qui passaient mieux après un échauffement.
Public : Comment avez-vous fonctionné en trio avec deux personnes à la production et deux personnes à la réalisation ? Comment les décisions importantes ont-elles été prises ? Est-ce que le fait de travailler en duo n’a pas été générateur de distorsions, de conflits ?
Emmanuel Laurent : Au départ, c’est très inquiétant de faire un film avec deux réalisateurs. C’est forcément une source de problèmes potentiels de prises de décisions. Au tournage, par exemple, les décisions doivent être prises rapidement, et si on ne peut pas discuter à l’infini, il faut se mettre d’accord sur tout. Au départ, ce risque existait, et je le redoutais. Mais ça ne s’est pas passé comme ça du tout, l’alliage entre les deux a très bien fonctionné. Effectivement, ils ont beaucoup parlé, mais toujours pour arriver à quelque chose comme une élaboration vers une idée sur laquelle tous les deux n’étaient pas forcément d’accord au départ, mais qui était le fruit d’une négociation constructive, qui parfois allait dans une autre direction. Il y avait une très grande capacité à rejeter ou abandonner des idées qui pouvaient ne plus être les bonnes à un moment donné du processus et donc on a abandonné des plans, des images, des séquences très compliquées. À mon avis, c’est une grande qualité de cinéaste de pouvoir jeter des idées auxquelles on s’était pourtant attaché pendant un certain nombre de semaines ou de mois. Donc, cette association s’est bien passée.
Le film devant ses publics
Public : Je vais être un peu désagréable. Je me suis ennuyé pendant ce film et ça m’a questionne sur le fait de montrer des bouts de comédies américaines, de spectacles, beaucoup de musique aussi – pour… quelque part je me suis dit : « pour dire quoi ? » Est-ce que cela veut dire qu’on ne peut pas parler directement de la science parce qu’on a peur d’être chiant, donc il faut rajouter un tas d’images pour rendre le discours supportable. Est-ce que cela veut dire : « ça va être du film d’auteur parce qu’on mélange des films, on met des archives, ça fait riche » ? En plus, je trouve le contenu de ce que j’ai appris très simpliste. Ça passe très bien, peut-être, au niveau CM1 ou CM2, pour les huit, onze ans.
On peut le comparer à La planète miracle, une émission qui passe sur France 2, et qui reprenait certaines choses qui étaient dites dans votre film, mais en disant beaucoup plus et dans beaucoup d’autres domaines. Alors c’est vrai qu’il y a beaucoup d’images de synthèse, de très belles images, visiblement un plus gros budget. Je l’ai vu avec des jeunes, et ça les passionnait beaucoup parce qu’il y avait de très belles images pour exprimer directement la science. Et dans votre film, de mettre de belles images de cinéma, mais qui n’ont rien à voir directement avec le sujet – je me demande si vous ne trichez pas alors qu’on a vu qu’avec les cellules on peut avoir de très belles images, y compris en couleur et pas forcément tout le temps en noir et blanc ?
Jean-François Brunet : Les cellules n’ont pas de couleur. L’immense majorité d’entre elles…
Public : Oui, mais le problème est de savoir comment on arrive à passionner des gens, à donner envie non plus de regarder des films scientifiques, mais plutôt de prendre des livres. C’est très important, et notamment en direction des jeunes, parce que le cinéma est quand même un art très primaire pour faire comprendre les choses. Un film passe très très vite alors qu’une véritable possibilité de culture est beaucoup plus liée à la lecture. Et le but doit être de faire des films qui poussent des jeunes ou des adultes à prendre des livres pour en savoir plus et les motiver.
Joëlle Miau : Monsieur, je laisserai la parole, bien sûr, à Peter et Jean-François, mais en tant que co-producteur et diffuseur, je veux quand même vous répondre. D’abord, on a testé ce film sur le public. À la première diffusion internationale à Marseille, je vous assure, l’accueil a été formidable.
Ensuite, je fais des documents scientifiques depuis de très longues années, et je trouve que la science est une aventure absolument formidable – même lorsqu’il s’agit, et surtout quand il s’agit de cellules.
Lorsque je travaillais avec Antenne 2 sur des émissions pour les enfants, et on s’est aperçu qu’énormément d’adultes regardaient ces émissions. On a fait des études pour une émission qui s’appelait Drôle de Planète sur Antenne 2, et pendant de longues années, 50% du public était adulte, alors que c’était une émission conçue pour les enfants. Et nous adoptions systématiquement – je ne sais pas s’il faut les appeler des « techniques » – moi je dirai tout simplement des « inspirations », assez parallèles à celles de Jean-François, et c’est comme ça que les gens aiment qu’on leur raconte ces belles aventures, qu’elles soient scientifiques ou pas. Si au passage ils apprennent des choses, qu’effectivement on peut retrouver dans les livres, tant mieux – sauf qu’aujourd’hui, on est quand-même dans l’ère audiovisuelle, que vous le vouliez ou non, dans celle du multimédia, et puis surtout dans celle du manque de temps.
Les savoirs se multiplient d’une façon exponentielle, d’une façon absolument hallucinante. Donc la meilleure façon de rattraper un certain temps, pour essayer de pallier cet écart de plus en plus grand entre le citoyen, les sciences et les technologies, c’est de trouver les astuces pour le gagner, ce temps. Si en plus, ces astuces sont jouissives, qu’elles sont drôles, et qu’en plus, on y retrouve un certain plaisir, je trouve que ce n’est pas du tout négligeable. Voilà.
Public : Bien sûr, les gens ont apprécié ce film. Mais je me pose quand même la question : « pourquoi l’aiment-ils ? », parce que je trouve que sur le plan des informations, il est pauvre.
Quand vous parlez du problème du temps, je pense qu’en effet, les gens n’ont malheureusement plus le temps de comprendre. Ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas se battre pour que les gens retournent à la lecture. Ce n’est pas parce qu’il y a les média, les CD Rom, qu’il faut nécessairement baisser les bras et rentrer dans ce jeu-là. Simplement, la question est : comment réfléchir ? Que doit vraiment être un film scientifique ? Que doit-on donner comme informations ? Comment les faire ?
Public: Moi, je voudrais répondre à ce que tu viens de dire. Dans ce film, je n’ai pas eu le sentiment de voir un apprentissage sur la connaissance de la cellule. Et comme le disait le scientifique, à la fin, « ce n’est pas parce qu’on voit la cellule qui existe dans la rose qu’on ne voit plus la rose ».
J’ai envie de dire : on voit la rose qu’il y a dans la cellule à travers ce film, et c’est ce qui me paraît intéressant.
Peter Friedman : On voulait attirer des gens qui ne sont pas déjà intéressés et on voulait faire une sorte de mariage entre l’art et la science. On voulait exprimer des choses visuellement, traiter l’image comme une sorte de langue. Si vous voulez apprendre la biologie plus profondément, il y a d’autres façons de le faire.
Emmanuel Laurent : Quand on fait un film sur l’amour, on n’est pas obligé d’être exhaustif et raconter tous les états amoureux d’une situation donnée. Là, c’est une rêverie qu’on propose sur ce monde.
Jean-François Brunet : Le monsieur a soulevé beaucoup de problèmes, je ne vais pas répondre à tous. Juste un détail. C’est ce sentiment que vous avez eu de trivialité, comme on dit en langage scientifique, c’est-à-dire l’impression d’entendre des évidences. Si c’est vrai, c’est un problème, effectivement. Mais je suis un peu étonné, quand-même, par ce sentiment que vous avez. J’ai fait un test dans mon laboratoire, avant que les gens ne voient le film, et je leur ai posé quelques questions. En fait, je me suis aperçu que dans les dix premières minutes du film, il y a trois ou quatre choses qu’un étudiant en DEA en biologie ne sait pas. La première des choses, personne dans mon entourage, même des chercheurs qui ont cinquante ans et qui sont chevronnés, ne savaient pourquoi une cellule s’appelait une cellule, par exemple. Donc, je suis surpris par votre réaction. Je respecte vos sentiments, mais ça me surprend un tout petit peu, parce qu’une autre personne, un chercheur au CNRS, m’a dit qu’il avait appris quelques petites choses dans le film. Enfin, personnellement, dans mon entourage non-scientifique, des gens extrêmement sophistiqués sur le plan intellectuel, qui ont lu tout, Thomas Mann, Proust, etc., me demandent : « quelle est la différence entre une cellule et une molécule ? ». Alors, ça va vous faire dresser les cheveux sur la tête, mais c’est comme ça, il faut le respecter aussi. En fait il y a beaucoup de gens qui sont d’une ignorance totale du sens des mots les plus simples. Et je me demande si vous ne surestimez pas énormément le nombre d’informations – pas l’intelligence, ça n’a rien à voir avec l’intelligence ou la culture en général – mais je me demande si vous ne surestimez pas le niveau d’informations que les gens ont sur ces sujets.
Peter Friedman : Je voudrais ajouter un mot sur le sens des comédies musicales auxquelles vous faites référence. Ce film n’est pas une leçon sur la science. Il y a des idées que je trouve assez profondes. Une idée centrale du film, c’est qu’un individu, comme un être humain, peut être vu comme un groupe d’individus plus petits, et à l’inverse aussi. Si on dit qu’un individu peut être vu comme un groupe, c’est une question de vision. La comédie musicale de Busby Berkeley exprime cela assez clairement – on voit l’individu et on voit le groupe en même temps. Et cette référence est aussi divertissante pour le spectateur. Donc cela fonctionne à différents niveaux ; l’illustration fonctionne comme une métaphore et la métaphore est une idée.
Public : J’ai ressenti ce film plutôt comme si le but était de provoquer une prise de conscience. En partant d’une cellule, on arrive à la conscience qu’on nage dans la biologie. Je pense que la prise de conscience ne dépend pas du nombre d’informations qu’on donne. C’est quelque chose de beaucoup plus subtil créé par le mélange des informations et des impressions données par des correspondances du montage. Si tel était le but du film, je pense qu’il est atteint, du moins pour moi.
Public : Est-ce que vous avez eu des nouvelles propositions de diffusion ? Est-ce que La Géode, par exemple, à La Villette, n’est pas intéressée par votre film ? Est-ce qu’il n’y a pas des créneaux grand public carrément, ou bien des chaînes de diffusion dans les cinémas ?
Emmanuel Laurent : À La Villette, ça passera, il y beaucoup de demandes dans ce sens. On va sortir le film en cassette. Mais notre grande ambition, en réalité, c’est de le sortir en copie 35 mm, celle que vous avez vue ce matin, et en salle. Voilà notre but, et si on réussit ça, l’aventure aura été assez amusante parce qu’on est parti d’une toute petite barque… et si on arrive à sortir ce film en salle, notre pari sera réussi.
Jean-Marie Barbe : Pour être un peu provocateur, tout cela est bel et bon, le film est beau, le film est en 35 mm, il va pouvoir passer sur la Cannebière. Emmanuel Laurent avec Peter Friedman sont des producteurs qui ont pris de gros risques. C’est très joli, mais ça tue. Je vais simplement vous raconter une chose. Hier soir, avec un autre producteur, nous avons passé trois heures avec Emmanuel à réfléchir : « Nom de Dieu, quelle solution est-ce que tu pourrais trouver pour combler le trou financier de ce film ? » C’est-à-dire, la situation financière de ce film, on peut quand même en parler, est, au final, dramatique. Mais véritablement dramatique. C’est un film intéressant, c’est un film qui séduira d’autres diffuseurs, c’est un film qui vient de naître, donc il n’y a pas encore d’argent qui soit arrivé, il n’y a pas eu encore de vente, ce sont des choses qui vont se produire. Mais il n’est pas sûr du tout qu’Emmanuel et Peter réussissent jamais à récupérer leur argent. Or, pour un producteur, ne pas récupérer son argent, c’est carrément fermer sa boîte, et en crever. Donc, ce que j’aimerais poser comme question à Emmanuel, c’est : au-delà de la beauté que le 35 mm confère à ce film, au-delà de la diffusion qu’il lui offre en salle, comment est-ce que tu as pu faire un calcul aussi – je vais le dire violemment – aberrant en termes économiques, et aussi dangereux ? Était-ce bien utile ? C’est aussi une question à Jean-François et à Peter, ce n’est pas une accusation, bien entendu.
Emmanuel Laurent : C’est vrai. À un moment donné, si on avait sorti une PAD en vidéo, on aurait dégagé une marge normale. On n’aurait pas perdu d’argent et on se serait payés normalement. On a pris cette décision qui est un pari… qui est un pari, voilà… Il y a plusieurs paris dans ce film, sortir le film scientifique du ghetto et aller aussi dans une salle de cinéma. Il y a des choses sentimentales, qui jouent aussi.
Il y a eu aussi des tas de problèmes techniques. Les images viennent de toutes les sources, de tous les pays et de tous les formats. À un moment donné, il a fallu choisir un commun dénominateur qui aurait pu être la vidéo, la solution la plus simple et le moins chère économiquement, mais enfin, frustrante d’autres points de vue… Recopier en vidéo des comédies musicales des années trente ! D’un point de vue artistique, il y avait une très grande satisfaction d’aboutir à du 35 mm et à une projection cinéma, à pouvoir présenter le film dans une salle de cinéma. Donc, après avoir fait tant de paris – tout au long de la production, puisqu’au démarrage, on n’avait pas encore assez d’argent… Enfin, on les gagnés jusqu’ici – et on a joué cette dernière carte, comme ça. C’est un documentaire qui a un caractère international, il est tourné dans quatre langues. Je n’aurais pas fait ce pari-là avec n’importe quel film. Celui-là peut quand-même, en deux ans, rentrer dans ses frais. Il y a un trou, certes, mais on peut espérer récupérer cette somme et puis déclencher d’autres films du même type, ce qui constitue un autre type de bénéfices.
Peter Friedman : Notre budget d’origine était pour un film de 52 minutes. À un moment donné, on a décidé de faire la longueur du film qu’on voulait, et donc, comme les archives coûtent à la minute, la musique aussi, ça revenait plus cher…
Sur le poste des archives, il a fallu multiplier par cinq le budget d’origine. On avait estimé les archives à cent mille francs, il y en a eu pour cinq cents.
Et on était aussi touché par la chute du dollar, puisque la moitié de notre budget venait des États-Unis et on le dépensait en France. Depuis l’écriture du budget, le dollar avait perdu plus de 10% de sa valeur, donc on avait peut-être 70000 francs de moins que la somme à dépenser en dollars. Voilà.
Emmanuel Laurent : Et on a perdu 60 000F parce qu’on n’avait pas fait coder les copies de travail vidéo à partir des négatifs. On ne savait pas à l’époque qu’on allait finir en film.
Jean-Marie Barbe : Mais le coût de la copie 35 mm, le fait de passer par un négatif ?
Peter Friedman : Ça fait partie du rêve de ce film. On a toujours pris les paris étape par étape en décidant un peu selon ce dont on avait envie au fond. C’est peut-être parce que je suis producteur et réalisateur que j’ai pu faire un tel choix. Mon envie était toujours de faire les choses le mieux possible et de trouver la solution économique après. Donc, on en est là maintenant. Alors, Messieurs, Mesdames, si vous avez vos chéquiers avec vous…
Ces débats intègrent des éléments d’un texte d’Emmanuel Laurent, signé le 9 juillet 1995.
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Silverlake, vu d’ici (Silverlake Life)
1993 | États-Unis | 1h39
Réalisation : Peter Friedman, Tom Joslin -
Une mort programmée
1995 | Belgique, France | 1h15 | 16 mm
Réalisation : Jean-François Brunet, Peter Friedman
Production : Les Films du Bouc, Strange Attractions / Salammbo
Publiée dans La Revue Documentaires n°12 – Entre texte et image (page 127, 3e trimestre 1996)