Paul Saadoun avec Jean-Louis Comolli
Michael Hoare
Cette discussion s’est déroulée pour sa première partie en compagnie de Jean Louis Comolli, donc plutôt sur le mode d’un échange à trois sur le thème des rapports entre producteur et réalisateur, documentaire et fiction.
Fiction/documentaire
P. S. : Je me souviens de discussions avec Renaud Victor qui duraient des heures entières. Il disait : « je tourne en 35, je tourne en Super 16, je n’ai pas assez avec huit semaines de tournage, j’ai besoin de retourner ». Il avait toujours besoin de plus, de plus, de plus. C’était un tournage qui ne finissait jamais. C’était de l’ordre de la passion. C’était son film. Il y a passé sa vie.
J.-L. C. : C’est ça. Un film c’est une vie. Chaque film c’est la vie à la mort. Si on ne se met pas à penser comme ça, on n’a plus aucune chance de réussir aucun film, on ne tient pas, ou on fait comprendre à l’autre qu’on n’y tient pas. L’autre n’a pas de raison d’y tenir plus. Donc l’espèce de pression que le metteur en scène fait sur le producteur, ça a un sens amoureux précis qui est : sois encore mieux si possible. Mais dans le documentaire on reste dans l’ordre de la raison avec des sommes entre un et deux millions de francs. On n’arrive pas encore aux chiffres du casino de Monte Carlo. Quand je parle de raison, je veux dire que faire un documentaire est une petite folie. Parce que quand un producteur a dépensé six fois son capital et tous ces crédits dans un film, il est acculé à la faillite, au suicide, au désespoir, ou à être génial. C’est une pression énorme sur quelqu’un, surtout sur quelqu’un qui est un financier, qui est un homme de calcul. Évidemment dans le documentaire ça peut difficilement atteindre ce niveau même avec un homme comme Renaud Victor. C’est ce qui fait aussi la beauté du documentaire : les rapports de force ne sombrent pas tout d’un coup dans le drame. Comme dans des films lourds, où ça peut sombrer dans l’horreur. Ça reste humain, ça reste à un niveau de co-responsabilité. Il y a une sorte d’équilibre qui se fait automatiquement simplement parce qu’on n’a pas tout à sa disposition. Le metteur-en-scène de documentaire n’est pas, malgré tout…
P. S. : un grand consommateur,
J.-L. C. : dans le même rapport de puissance qu’un metteur-en-scène de fiction. Je ne peux pas créer ex-abrupto un monde entier. Dans la fiction je peux le faire. En documentaire, je suis dépendant des gens que je filme, des circonstances dans lesquelles je les filme. Tous les réalisateurs de documentaires sont dans la même dépendance, ils sont eux-mêmes soumis à des contraintes qui ne dépendent pas d’eux. On essaie d’adapter, de transformer, d’ajuster. Mais ça reste quand même incontrôlable malgré tout. Si dans les quatre jours quelqu’un que je veux filmer ne vient pas, je ne peux pas le forcer à venir.
P. S. : Si on compare documentaire et fiction l’échelle est différente. On multiplie de un à dix. Je crois que la passion du sujet reste la même. Elle est peut-être encore plus forte dans la mesure où elle est plus aveugle. Elle fonctionne sur des intuitions et sur rien d’autre. Il y a peu de maîtrise.
Par contre, il y a plus de raison dans la gestion des moyens et des finances dans le documentaire.
J.-L. C. : Les moyens ne sont pas extensibles à l’infini parce que ce n’est pas possible dans le réel. Le réel bloque ça. La folie de la fiction, c’est une folie de la maîtrise. La folie du documentaire, c’est une folie de la non-maîtrise. Arriver à maîtriser l’immaîtrisable dans la mesure où on y arrive, alors que dans la fiction on peut arriver à pousser les enchères très haut.
P. S. : Le documentaire c’est la recherche de la découverte, dans l’instant au maximum, jusqu’à la finition, jusqu’au dernier mixage. Alors que dans une fiction, on peut visualiser et il l’a fait, un film depuis son premier plan jusqu’à son dernier, y compris la bande son. Ce qu’on ne peut jamais faire dans le documentaire.
J.-L. C. : C’est la différence entre un chasseur isolé qui part dans les collines avec son fusil et tire sur ce qu’il trouve, s’il trouve quelque chose, et puis la partie de chasse de La Règle du jeu où tu as cinq cents rabatteurs qui ramènent le gibier sur les affûts où les mecs tirent comme à la cible. C’est la différence.
Risque, intuition, complicité
Tout à l’heure vous avez dit que ce qui était stimulant dans le genre, c’était le côté « pari » , l’imprévisible, vous avez parlé de Campagne de Provence où vous êtes partis tous deux, avec Michel Samson, sur une idée sans aucune garantie financière. Si on regarde la situation de la production aujourd’hui, on a quand même l’impression que de nombreuses maisons de production documentaire sont en difficulté, sont endettées et passent sous l’emprise des banquiers. Est-ce qu’un « pari » dans ces circonstances-là reste aussi jouable ?
P. S. : On reçoit plein de projets sans chaîne de télévision. Les problèmes se posent quand le producteur trouve que le projet est intéressant et on se trouve confronté soit à des impératifs de tournage, soit à la pression du réalisateur. À ce moment-là quel est le risque pris et par le producteur et par le réalisateur. Pour le réalisateur, il s’agit de partir sans savoir quelle va être son économie artistique et financière parce que le réalisateur sait qu’une journée de tournage c’est de l’argent, et donc un risque, et pour le producteur, partir sans économie certaine c’est aussi un risque. Alors je crois que c’est une question d’intuition dans la relation entre réalisateur et producteur. C’est-à-dire que si, à un moment, ensemble ils estiment que le risque doit être pris, il est pris.
On l’a fait avec Jean-Louis sur la Campagne en Provence, je l’ai fait avec Renaud Victor avec De jour comme de nuit, je l’ai fait avec Iossif Pasternak avec De la petite Russie à l’Ukraine où on a reçu un coup de fil qui nous dit : on a tel sujet en Ukraine, c’est intéressant. Moi je dis à la personne qui m’en parle : OK, à condition qu’il y ait un réalisateur. La personne me dit : dans 24 heures, tu as un réalisateur. L’équipe de tournage et le réalisateur se retrouvent dans un aéroport. Et à ce moment-là le projet démarre.
C’est comme un réalisateur qui à un moment choisit un producteur. Il y a aussi une relative liberté du réalisateur dans le choix de son producteur. Il s’agit de constituer une complicité artistique, financière, méthodologique, par rapport à la bonne gestion d’un projet. Et je crois que c’est plus vrai dans le documentaire que dans la fiction. Dans la fiction, un projet peut passer de tel à tel producteur, pourvu que le producteur soit sérieux, en documentaire, non. Je crois que la relation est plus suivie, plus complexe. Justement parce que l’inconnu est plus grand, l’inconnu artistique, mais aussi l’inconnu de moyens, donc de qualité de film.
Tu savais que De jour comme de nuit allait être deux fois 52 minutes ?
P. S. : Je savais que ça allait être quelque chose de long, plus d’une heure en tout cas. On a eu des batailles là-dessus, parce que lui voulait deux heures, moi je voulais une heure, et le projet a évolué. Ce n’est jamais figé. En fait le film prend sa durée dans la réalisation. Mais je savais que c’était un long travail et une longue durée. Le choix du support est le choix de la relation entre l’économie artistique et financière. Sur ce projet-là on a passé du film, à la vidéo, de la Bétacam au 8 millimètres. On a fait tout le tour. Et puis à un moment, il s’est avéré que, voilà, le support c’était ça. C’était plus dans la relation artistique que dans l’économie, le fait de tourner en 8 millimètres. D’un point de vue de production, je crois qu’il y a une complicité beaucoup plus importante entre le réalisateur et le producteur dans le documentaire, parce que les marges de manœuvre sont beaucoup plus grandes, de tous les points de vue.
Quand on a fait La Campagne de Provence, on connaissait le principe.
Ensemble, on a démarré en mai 1991 sur le principe de la chronique, sur comment la campagne allait se dérouler. Ensuite, le deuxième principe était le filmage de tout ce qui est apparition publique des personnages politiques de l’élection. Mais après ça, comment, pourquoi ?
Jean Louis avait déjà des hypothèses de mise-en-scène par rapport à ces filmages ?
J.-L. C. : Oui, beaucoup.
P.S. : Mais pour le producteur, il y a un problème avec ces hypothèses de réalisation. Jean Louis voulait parler des mots, des mots de la campagne. Il avait une idée relativement claire de ce qu’il voulait faire. Moi, je n’avais aucune idée. Comment traduire des mots en image ? Je l’ai découvert en voyant le premier montage. Et puis je les voyais filmer des mots. Mais quand on voit filmer des mots sur un journal, on a du mal à imaginer un film. Je me suis dit: qu’est-ce que c’est ce travail. En même temps, je savais intuitivement qu’il y avait là un vrai parti pris.
Quand on lit un scénario de fiction on voit se dérouler le film. Après une discussion avec le réalisateur, on parle casting, on parle découpage… En documentaire, La Vraie vie dans les bureaux je ne sais pas ce que ça va être, je crois que personne ne le sait pour l’instant. C’est un pari. C’est un pari de la chaîne qui co-produit, c’est un pari du producteur.
J.-L. C. : Et probablement le pari est double parce que déjà tout le monde a son idée. Ca sera peut-être pas celle du film. Ça complique encore plus les choses.
Bilan de Vidéo 13
Dans ces conditions-là, comment Vidéo 13 s’en sort-elle ?
P. S. : D’un point de vue artistique, je trouve que depuis un ou deux ans on a produit de beaux films. Je suis content d’avoir produit Campagne de Provence, De jour comme de nuit, Moscou, trois jours en août. Je trouve que ce sont de vrais documentaires, et puis il y en a d’autres. Donc d’un point de vue artistique, je suis relativement satisfait. Je viens de terminer un document qui n’est pas un documentaire, mais un entretien avec Serge Daney que je trouve intéressant. On l’a fait de façon sauvage, et je trouve que c’est bien. Donc de ce point de vue-là, je trouve qu’on a fait des films réussis. Maintenant d’un point de vue économique, on a eu beaucoup de chance de démarrer des films risqués artistiquement et financièrement et que par la suite la mayonnaise prenne. Je crois que c’est une question de chance et une vraie relation de complicité entre le réalisateur et le producteur. Où à un moment le réalisateur raisonne et le producteur suit, et on arrive comme ça à équilibrer l’économie. Mais c’est une économie petite, ou les marges de manœuvre sont très, très faibles en fait.
Vous avez réussi jusqu’à maintenant à tenir les banquiers à distance ?
P. S. : J’essaie d’avoir de vraies relations avec des banquiers. Car celui qui prend un vrai risque dans l’opération, c’est lui. C’est bien son rôle d’ailleurs. Parce que : un, il ne connaît rien en cinéma, deux, il ne connaît pas le réalisateur et trois, il ne sait pas ce que c’est la production de films. Et on lui demande des centaines et des centaines de milliers de francs sur un vague papier. Donc c’est une relation de confiance qu’il doit avoir avec le producteur. Et pour l’instant, on a de bonnes relations, donc c’est un partenaire. Il faut qu’on lui explique ce qu’on va faire, à quoi va servir l’argent. Et on a réussi à tenir les banquiers non pas à distance, mais avec nous. Dans notre capital on a une banque respectable qui est la Caisse des Dépôts. Et puis dans le quotidien on a plusieurs banquiers à qui on dit : voilà, aujourd’hui ça va bien, on vient de gagner de l’argent, ou aujourd’hui ça va mal, on vient d’en perdre. Mais en même temps, pour faire ce film on a besoin de tant. Vous allez le récupérer de telle ou telle façon. Et on ne demande pas l’impossible aux banquiers. C’est-à-dire, si un jour, on a un vrai besoin, il faut le leur dire et s’ils ne l’accordent pas, tout se casse la gueule, ou par contre, s’ils acceptent le risque supplémentaire, ils s’y retrouveront. Pour l’instant, on en est là.
Le marseillais
J.-L. C. : Mais là tu es avantagé par ta position provinciale ou régionale. Ce n’est pas la même chose de parler à un banquier de Marseille qu’avec un banquier de Paris. Il me semble. Il y a un autre type de relation qui existe sans doute. Vous n’êtes pas très nombreux à Marseille à faire ça, à Paris il y en a des dizaines, des dizaines en difficulté, donc le climat n’est pas bon. Donc tu bénéficies là de ta position excentrée.
P. S. : Là où on est localisé, ça nous donne un point fort qui est de traiter des sujets, éventuellement quand on en trouve, sur la région. C’est sûr que des films comme De jour comme de nuit ou Campagne de Provence sont facilités par le fait qu’on est basé à Marseille. Mais il y a bien d’autres films qu’on a produit, des documentaires en Guadeloupe, en Guyane, en Corée, une série dans l’Europe entière. Donc pour des sujets qui ont un ancrage dans le sud de la France, on connaît mieux l’économie générale de la région: les comédiens, les techniciens, qui peuvent être là, et donc de ce point de vue-là, c’est peut-être plus facile. Mais sinon pour les autres sujets, on se trouve confronté aux mêmes problèmes que n’importe quel producteur installé à Paris ou ailleurs.
Vous êtes aidés facilement par la région, le département ou la ville ?
P. S. : On n’a quasiment aucun financement issu de la région parce qu’il n’y a pas de budget spécifique, alors parfois on a des subventions spécifiques de la Ville ou de la Direction Culturelle de la Région, mais c’est vraiment marginal.
La vocation de produire
Si on revient un peu sur les documentaires que tu dis être content d’avoir produits, est-ce que tu peux me dire d’où vient ton goût, ou ta vocation d’être producteur.
P. S. : J’ai une double formation, universitaire en économie et sociologie et une formation politique de militant de 68. De la recherche du réel, chercher à comprendre, enquêter, c’est probablement de là que vient ce souhait de faire du documentaire. Et puis un plaisir à voir des images, à voir des films. Donc c’est cette conjonction-là qui fait qu’à un moment on se trouve producteur sans qu’on ait cherché à le devenir ni dans sa formation, ni dans sa, comment dire, mission, ni dans le rêve de l’adolescence.
Le premier souvenir que j’ai de Vidéo 13, c’était au Festival de Films sur le Monde Ouvrier à Saint-Nazaire, où vous présentiez une série de fiction sur les banlieues de Marseille.
P. S. : Oui, c’est parti de là, c’est la transition entre le travail de sociologue et le travail de mise en image. C’était la première expérience pour nous.
C’est comme ça que Vidéo 13 a commencé ?
P. S. : Non, c’était la première production lourde de l’entreprise. C’était Un été aux Amandiers, dix fois 26 minutes, de la fiction mais largement inspiré du réel, du travail de sociologue qu’on avait fait pendant trois, quatre ans sur cette cité et sur ces thèmes de la banlieue, des minorités, des relations sociales, etc. Donc c’est un moment qui nous a fait passer d’un travail d’enquête ou étude à un travail de mise en images. Avec auparavant, un certain intérêt pour le cinéma, la narration cinématographique.
Vidéo 13 était liée à la tradition du cinéma militant ou pas trop ?
P. S. : Directement non, un petit peu par nos origines, par nos activités individuelles, mais sinon non. On est plus jeune que les cinéastes des années 1968-70. Mais, bon, on avait une activité militante dans les années 1968-75 mais pas d’un point de vue cinématographique. À partir de 1980 et pendant cinq ans on a eu une activité de type associatif faisant des films culturels ou politiques d’une façon quasi-bénévole. Et puis en 1985 on s’est transformé en SA avec 300 000 francs de capital et avec l’Été aux Amandiers, la volonté de passer à une activité de production économique et artistique.
Vous fonctionnez sur combien de films par an à peu près ?
P. S. : En gros on produit cinq-six documentaires et on essaie de produire deux ou trois fictions par an. En 1990, on a fait 25 millions de chiffres d’affaires ; en 1991, 35 millions de chiffres tout confondu.
Est-ce qu’il y avait au départ une envie de réalisateur ?
P. S. : Oui, j’ai commencé mon travail comme réalisateur, comme réalisateur-producteur. Je crois qu’à un moment, il faut choisir. À un moment, il faut savoir si on produit ses propres films, ce que font certains très, très bien, ou si on sent qu’il y a peut-être autre chose à faire. Je suis principalement producteur à 98 %. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir réalisé ponctuellement. Pour moi c’est aussi une bonne formation, parce que ça m’aide aussi à comprendre quelles sont les contraintes de la réalisation, les cheminements, les questionnements, qui sont moins catégoriques que les cheminements du producteur qui travaille plus sur ordinateur de façon comptable.
Les spécificités du documentaire français
Quels sont les difficultés qu’ont les maisons de production documentaire en ce moment.
P. S. : D’abord, la diffusion du documentaire en France est quand même assez réduite. Les cases ou créneaux documentaires à part la SEPT sont tardifs d’une part, d’autre part il n’y en a pas une grande quantité. Et comme elles sont à des heures tardives, leur économie dans le budget de la chaîne pèse peu. Et donc les budgets des chaînes sont faibles par rapport au coût du film. Ca représente 30 à 40 pour cent du budget. Après, il faut rechercher le reste. Le CNC amène des compléments de financements, mais il manque quand même pas mal d’argent.
Voilà ce qui explique à mon avis la difficulté du documentaire, en sachant en plus qu’il y a la volonté en France que le documentaire ne soit pas du reportage. C’est-à-dire qu’il y ait une qualité du travail, une recherche, une préoccupation par rapport au sujet qui demande un vrai temps d’interrogation. Et puis sur le tournage de ne pas travailler sur la forme d’interview simpliste ou réductrice, mais de travailler sur la forme et le fond, ce qui demande aussi plus de temps. Ceci fait que les budgets ont tendance à augmenter. Et les deux accumulés font que quelquefois les producteurs ont du mal à boucler. Ils se retrouvent devant une économie très faible et aussi devant un point de vue artistique qui s’affirme de plus en plus. Je crois que c’est ça qui fait qu’il y a une réelle difficulté.
Est-ce que tu as un point de vue déterminé sur le passage du documentaire en compte de soutien automatique ?
P. S. : Je trouve que pour le producteur c’est une sécurité. C’est une plus grande liberté de gestion de sa petite caisse d’épargne. Il est plus responsable par rapport à ses investissements. Ca ne peut que l’aider. Pourvu qu’il sache gérer convenablement son compte écureuil.
Est-ce que ces avantages pèsent plus lourd que les inconvénients que pourraient trouver des petits producteurs ou des producteurs-auteurs, des gens qui n’ont pas d’heures de télévision diffusées derrière eux ?
P. S. : C’est une décision qu’a pris le CNC parce qu’il devait trouver qu’il y avait beaucoup de producteurs. Je crois que producteur, c’est d’abord un désir, mais c’est aussi un apprentissage. Je crois que le métier de production peut s’improviser, mais ça demande quand même un minimum de compétences, de savoir-faire. Et que, peut-être quelquefois, le fait qu’un auteur crée sa propre société pour un film n’est pas la meilleure solution. Peut-être pensait-il soit gagner beaucoup d’argent, soit mieux gérer son film en étant maître de toute son économie. Mais quelquefois, entre l’artistique et le financier, ce n’est pas simple, c’est toujours en conflit. Et quand ce conflit se porte sur la même personne, ce n’est pas facile à gérer.
Il y a des statistiques où on dit qu’il y a plus de 200 producteurs qui produisent une heure par an. C’est peut-être beaucoup parce qu’une société coûte cher, en gestion, en temps, son existence même coûte de l’argent. Produire un film avec une société, ce n’est peut-être pas là que l’argent est le mieux placé. Le compte automatique ne donne pas de garanties. Encore faut-il avoir des projets, encore faut-il avoir des chaînes, il y a mille questions qui restent posées.
Ton plus grand souhait
P. S. : Ce qu’on peut souhaiter, c’est que sur les chaînes de télévision, les heures de documentaire soient plus importantes. Je crois que c’est ce qu’on peut souhaiter de mieux à la production documentaire aujourd’hui. On assiste, malgré la multiplication des chaînes de télévision, à un volume d’heures diffusé à l’antenne qui est faible, par rapport à la fiction, par rapport aux magazines. On voit fleurir plus de magazines dans les chaînes de télévision que de documentaires. Alors, est-ce que c’est le goût du public, je n’en sais rien. C’est en tout cas ce que prétendent les diffuseurs. Ils ont probablement leurs raisons. Mais en même temps je crois qu’il y a un vrai intérêt pour le documentaire. Alors est-ce que c’est une histoire de mise en place, de durée, c’est-à-dire que des chaînes prennent le risque, réellement, de voir une audience peut-être pas toujours au maximum de ce qu’elle pourrait être à un moment donné. Peut-être que c’est aussi dans une relation au téléspectateur que ces habitudes ou ces envies peuvent se créer. Moi, je crois que s’il y a un vrai souhait de ce point de vue-là, les chaînes en France mettent en chantier un programme de documentaires, en tout cas pour celles qui ne l’ont pas, qu’elles le développent. Parce qu’il y a des chaînes qui continuent à produire du documentaire.
Je trouve qu’il y a de grands auteurs et de grands réalisateurs de documentaire en France. Il y a des modes d’écriture différents, comme il y a des cultures différentes. Entre le documentaire d’investigation tel qu’on peut l’entendre en Angleterre, et le documentaire de création ou d’auteur en France, c’est vrai qu’il y a des préoccupations différentes. En même temps, il y a des documentaires qui trouvent leur public. La Ville Louvre mais pas uniquement, Djembefola, De jour comme de nuit, ce sont des films qui ont eu de vrais succès d’estime. Je crois qu’il y a de très bons films documentaires en France qui ne sont pas produits, ou racontés sur le même mode qu’en Angleterre ou qu’en Allemagne. On peut se poser la question pour le long métrage ou pour la fiction. Est-ce que le cinéma américain est meilleur que le cinéma français, je n’en sais rien…
Propos recueillis par Michael Hoare
- De jour comme de nuit | Renaud Victor | 1991 | France | 1h52
- De la petite Russie à l’Ukraine | Iossif Pasternak | 1990 | 57’
- Djembefola | Laurent Chevallier | 1991 | France | 1h07 | 35 mm
- La Campagne de Provence | Jean-Louis Comolli | 1992 | France | 1h32 | Vidéo
- La Ville Louvre | Nicolas Philibert | 1990 | France | 1h25 | 35 mm
- La Vraie Vie (dans les bureaux) | Jean-Louis Comolli | 1993 | Suisse, France | 1h18 | Vidéo
- Moscou, trois jours en août | Iossif Pasternak | 1991 | France | 57’
Publiée dans La Revue Documentaires n°7 – La production (page 116, 1993)