De la vidéo légère à la vidéo « light »
Dominique Joignot
En ce temps-là, la télé essayait de suivre, forcément en retard, les modes et les mœurs. Il fallait la libérer en même temps que la parole et on découvrait que la vidéo pouvait être légère. Tous pourraient écrire, les canaux se multiplieraient, et l’on entrerait dans l’ère du village électronique à la fois global et proche. C’était la première vague, il y avait des citadelles à prendre, des réseaux à mailler, des tuyaux à remplir…
15 ans après, il y a toujours « la télé », mais elle est multiple. Elle n’a pas donné la parole à tous mais elle parle à tous un peu plus de trois heures par jour, elle n’est plus en retard car elle rythme le présent, elle n’est pas proche, mais elle sait mettre en scène le voisin, le collègue et le conjoint. Il n’y a plus de déréglementation à attendre, ni d’ailleurs, ou alors en prenant son temps, de proximité (câblée) à espérer.
Et, suivant en cela les produits laitiers et le Coca cola, la vidéo s’est encore allégée, jusqu’à être devenue quasiment « light ».
Autrefois, le seul fait de soulever la caméra (avec le magnétoscope en bandoulière) était un défi. Aujourd’hui, tenir sa caméra entre deux doigts est à la portée de tout le monde, même des élèves, dans les écoles primaires.
Matériel de loisir ou outil de communication
Pourtant, il parait insuffisant de considérer la vidéo comme un simple matériel de loisir: il n’est que de dénombrer les associations qui proposent du matériel de tournage et de montage, des prestations, des ateliers d’initiation et de perfectionnement, les nombreux ateliers de pratiques artistiques, les classes A3 dans les écoles, les festivals de vidéos amateurs et scolaires.
Toute cette activité cherche des débouchés: outre les festivals, des lieux de diffusion alternatifs aux canaux des télévisions hertziennes ou câblées, et met quelquefois en place des « petites télévisions » : télévisions HLM, télévisions de quartier, télévisions de pays. Certains demandent dès à présent l’ouverture de canaux d’accès publics sur le câble, comme aux États-Unis ou en Allemagne.
Il s’agit d’apprendre à écrire, d’apprendre à voir, de devenir des « téléspectateurs actifs ». Il s’agit aussi de communiquer, c’est à dire, au-delà du cercle de famille ou du groupe, de pouvoir créer avec les outils de la culture dominante, de s’exprimer pour parler à d’autres, souvent parce qu’on a l’impression de ne jamais être entendu, de s’adresser parfois à ses voisins, parfois aux responsables d’une administration anonyme, d’autres fois encore de tenter de retenir les éléments d’un culture locale qui s’étiole.
Le paysage audiovisuel « amateur »
Dans le guide Vidéo, la Deuxième vague, nous avons voulu donner d’abord la parole à différents acteurs impliqués dans ces activités vidéo: à tel responsable d’un projet de vidéo de pays qui indique les difficultés administratives et politiques qui entravent le développement des télévisions de proximité, à des animateurs de terrain qui expliquent l’intérêt de l’appropriation des outils de communication par des jeunes, à des responsables de l’Éducation Nationale ou du CSA. Nous avons voulu interroger les programmateurs des télévisions commerciales pour leur demander de qualifier leurs rapports avec les associations et les amateurs, des enseignants, pour qu’ils expliquent « pourquoi se donner tant de mal pour faire des films que personne ne voit », à telle responsable à la Délégation à l’Insertion des Jeunes qui pose la question de savoir pourquoi proposer ce type d’activité sans débouché professionnel à des jeunes déjà frappés de plein fouet par la crise de l’emploi…
A travers ces textes et contributions, se dessinent les contours d’une réalité dispersée qui questionne avec insistance le sens du terme communication. En fin de compte, nous avons abouti à un Guide pratique qui permet de trouver des organismes dans toute la France, lieux ressources, lieux de diffusions, festivals. Il s’agit en outre d’un panorama des expériences de communication de proximité et de communication sociale par l’audiovisuel.
Il s’agit un peu du recensement du « Hors Antenne » en France, même si, dans certains cas, antenne (collective ou hertzienne) il y a. Il s’agit aussi d’un état des lieux de la vidéo « amateur », même si des professionnels y participent dans certains cas.
Au regard des grands médias et des industries de programmes, l’éducation aux médias à travers la vidéo, la tentative de s’approprier de nouveaux réseaux de diffusion peut paraître marginale ou dérisoire.
Mais, au moins, aurons-nous constaté avec plaisir que les premiers lecteurs du guide étaient précisément les différents acteurs cités (ou non cités, d’ailleurs, les recensements sont toujours incomplets): notre ouvrage permet aux uns de se renseigner sur ce que font les autres, sur l’état d’avancement des expériences, les projets en cours etc.. Le guide a donc le mérite de « faire lien » entre des animateurs, des formateurs, des enseignants, des vidéastes dispersés.
S’il y a une « deuxième vague » de la vidéo, Vidéadoc y aura donc contribué par son travail d’information.
Sur cette lancée, nous préparons un second ouvrage, à paraître avant la fin de l’année, pour faire le point sur la question cruciale qui se pose à tout vidéaste, qui est le plus souvent riche seulement de son projet: la question de l’argent. Comment passer de l’idée à la réalisation et à la diffusion en sachant évaluer les moyens nécessaires à mettre en œuvre, quelles sont les sources de financement possibles etc.
Alors que l’on entend plutôt de tous côtés qu’il serait sage de décourager les vocations, ce sera la seconde contribution de Vidéadoc.
- Vidéo, la deuxième vague, Guide à l’usage des amateurs de vidéo communication, Vidéadoc, L’Harmattan, 535 p.
Publiée dans La Revue Documentaires n°6 – Histoire et mémoire (page 109, 1992)