Rencontre avec Eliza Mc Donald
Michael Hoare
Après neuf ans dans l’enseignement, j’ai démissionné de l’Éducation Nationale pour me reconvertir dans la production audiovisuelle. Je me passionnais pour le documentaire. J’ai suivi des stages de formation et j’ai travaillé dans différentes sociétés de production (Iskra, Io productions, Yenta…) Au bout de quelques années, j’ai eu envie de plus d’indépendance, d’avoir ma propre société de production. C’est comme cela que Yadé Films est née il y a deux ans, dans le but de produire des documentaires d’auteurs et de la fiction courte.
Je connaissais les difficultés que rencontraient les producteurs indépendants à coproduire avec les chaînes nationales des films dont le sujet ou le positionnement était très personnel, des premiers films, etc. II fallait souvent plus d’un an pour qu’un projet se concrétise. Un auteur peu connu avec un projet original peut difficilement trouver sa place.
C’étaient à cause des sujets, des approches ?
On n’obtient pas toujours de réponses à cette question. Les chaînes ne motivent pas souvent leur refus. Je pense à un projet, notre premier à Yadé, sur de jeunes personnes autistes qui travaillent en milieu rural. On a reçu des lettres de refus type. On ne savait pas si c’était un problème d’écriture, de sujet, de case… La Cinquième nous a dit : « Trop expérimental ». Nous avons quand même fait ce film et la Cinquième l’a acheté assez rapidement. Qu’est-ce qui n’allait pas dans le dossier ?
On avait de sérieuses pistes de financement institutionnel, ce qui nous faisait penser qu’avec une aide sélective du CNC, un apport industrie d’un câble et l’institutionnel, on pouvait arriver. C’était serré mais faisable. Le tout était de ne pas mettre le film en danger. Aujourd’hui le film, Couleur de vie, de Guy Baudon, s’est fait et j’en suis ravie.
On a du mal à convaincre les chaînes nationales de coproduire des projets dits « fragiles » et il y a mille façons de qualifier cette fragilité… Si cette recherche n’aboutit pas, se pose alors la question d’un montage basé sur une diffusion régionale, voire locale. Ce n’est pas toujours possible et cela pose tout un ensemble de problèmes, de choix très difficiles à faire. À chaque fois, on se pose la question avec le réalisateur : on a tout essayé, comment procède-t-on maintenant ? Jusqu’où va-t-on dans le désir de faire un film ?
En ce moment, je travaille sur un projet qui, s’il ne trouve pas son diffuseur national, ne pourra pas se faire. Le financement serait carrément insuffisant, le film serait trop en danger. Et bien sûr, ça pourrait mettre tout en danger, y compris la société. C’est pourquoi il faut se poser la question assez tôt. Car les frustrations peuvent créer des tensions supplémentaires. On s’épuise vite et le travail dans ces conditions n’est certainement pas moindre, pour très peu de rémunération et plus de risques. Beaucoup dépend du financement que l’on peut trouver en dehors de la coproduction. Sur ce genre de production, je passe une grande partie de mon temps à chercher du financement institutionnel, mais là aussi, c’est peau de chagrin. Certains films n’en obtiennent pas et on ne peut pas toujours compter sur une vente pour équilibrer les risques. D’un autre côté, ce mode de production permet à des films d’exister, à un auteur de se faire connaître. On a une certaine liberté mais il peut y avoir des effets pervers aussi.
Et l’effet de réduire les subventions que le CNC va donner à ce type de projet de 160 à 110 000 francs ?
Il ne sera plus possible d’envisager de produire ces projets avec la baisse de l’indice. Ces projets sont donc pénalisés ainsi que leurs auteurs et les productions débutantes (ou non d’ailleurs). Nous sommes bien dans la logique de recentrage qui laisse sur le carreau la production dite artisanale.
Des gens du CNC ont parlé de mettre en place un compte de complément pour des films dits difficiles, premiers films ou films d’opinion un peu difficiles, est-ce que vous pensez qu’il y a une piste là-dedans ?
Comment va-t-on définir ces films ? Pourquoi créer encore une catégorie ? Je suis d’accord avec certains diffuseurs qui se sont exprimés sur ce sujet : un premier film est un film. Il doit être traité comme les autres films. Il doit bénéficier des mêmes aides. Le producteur, le diffuseur s’engagent sur un projet avec un auteur une fois qu’ils sont convaincus de la solidité du projet, de sa faisabilité. Ils s’intéressent au film en priorité et la filmographie devrait être secondaire. Ces projets sont difficiles à monter, donnons-leur une chance d’exister dans un système qui ne les fasse pas entrer dans un ghetto.
Propos recueillis à Lussas en août 1999, mis en forme par Michael Hoare.
Publiée dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales (page 101, 2e trimestre 2000)
