Catherine Bot
Lorsque nous avons projeté ce numéro de La Revue Documentaires, Disparition(s), nous étions saisis par l’onde des mouvements de contestation en cours, le déni de leur légitimité par l’État — imperméable aux mutations à l’œuvre — et nous étions sensibles à l’inscription dans les récits documentaires de ces fragilités et de forces nouvelles émergeant dans le corps social, tant sur le plan collectif qu’à l’échelle individuelle.
Loin de nous, à l’époque, l’idée d’accompagner la sortie du numéro par une rubrique nécrologique des amis collaborateurs de la revue.
Pourtant, là nous sommes aujourd’hui.
Il y a de longs mois, lorsque le médecin dut annoncer à notre amie Claudie Jouandon que, selon toutes probabilités et au vu des premiers examens, celle-ci devait se préparer à entamer la dernière partie de sa vie, elle lui répondit, du tac au tac, montrant l’ouvrage qu’elle tenait à la main : « Aurai-je le temps de finir mon livre ? »
Nous aurions aimé, nous aussi, non seulement finir avec elle ce numéro de la Revue, mais aussi les nombreux autres numéros à venir…
Nos vies sont toutes faites de passés composés et de présents multiples.
Au fil de mes lectures récentes, me remémorant des moments de bavardages avec Claudie, un mot de Roger Knobelspiess rapporté dans Libération — qui signalait sa disparition quelques jours à peine avant celle de notre amie — fit écho. Je ne pus m’empêcher de faire le lien avec l’humour féroce dont Claudie savait faire preuve et cette lecture l’aurait sûrement réjouie : Knobelspiess, figure du « taulard-écrivain » des années 70, « voyou pourfendeur des erreurs judiciaires et de l’enfermement », l’un des premiers à les subir et à écrire sur les Quartiers de Haute Sécurité où il fut incarcéré — tristement célèbres QHS contre lesquels s’engagea Michel Foucault ces mêmes années — fut croqué dans un dessin par son ami Wolinski : on y voit deux personnes hurlant devant le mur de la prison : « Libérez Knobelspiess ! » L’intéressé leur répond du fond de sa geôle : « Faites pas chier, j’ai pas fini d’écrire mon livre ! »
Claudie eut le temps de finir de lire le sien, mais non de collaborer à nos côtés à l’élaboration de celui que vous avez en main.
Néanmoins, dans son intervention au cours de la rencontre avec Tariq Teguia à l’Ecole des Beaux-Arts publiée ici, nous pouvons y entendre sa voix et y goûter son esprit.
Que sa lecture vous en soit d’autant plus précieuse.
Paris, mars 2017
Publiée dans La Revue Documentaires n°28 – Disparition(s) (page 9, Mai 2017)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.028.0009, accès libre)