Philippe Delesalle
Ça commence comme un mauvais rêve. Dans un premier temps je ne voulais pas y croire. Mais si : il a osé ! Le « concept » ?… Il est désastreux et voué à l’échec dès le départ. C’est l’idée ! — prétendument audacieuse et parfaitement primaire — d’immerger deux journalistes de télévision au cœur des événements de la Commune de Paris 1. En fait d’immersion, la caméra se noie, sans repêchage possible, parce qu’elle colle à cette reconstitution qui n’est que simulacre. Les porteurs de micro parachutés par Peter Watkins prétendent faire « comme si » cela se passait de nos jours. Le résultat est affligeant !
Le seul mérite que l’on puisse y trouver est de se sentir rajeunis, car nous voici ramenés — mais pas transportés ! — à l’époque de ces happenings que l’on croyait enfin révolue. La caméra portée, fonçant dans le tas, est l’alibi censé fournir cette fameuse « impression de réalité ». Las, le filmage ne fait que reprendre les tics éculés de la télévision la plus banale, celle qui nous saoule à longueur de journée : micros brandis et télé-trottoirs !
Alors, j’entends dire que pour ce qui est du dispositif il faut y voir le fameux « effet miroir »… Désolé : le miroir sans la réflexion, je ne suis pas preneur ! Aucune amorce de distanciation — brechtienne ou autre — ne nous est proposée… sinon à la rigueur 2 un semblant d’ébauche d’analyse qui survient seulement aux deux tiers du film… à savoir ces longs dialogues improvisés mêlant dans leurs propos l’expérience des comédiens sur le plateau et leurs interrogations sur les événements contemporains… Mettons. Mais, premièrement, ces échanges interviennent après trois heures de scènes confuses et répétitives 3 et d’autre part, ces prises de paroles sont-elles radicalement différentes de ce que l’on pourrait radicalement entendre dans un quelconque « talk-show » installant un de ces sempiternels débats de société ?… On peut se poser la question. Irrésistiblement, le plateau où évoluent les protagonistes n’est pas sans évoquer celui des Buttes-Chaumont et l’époque où Stellio Lorenzi y tournait La caméra explore le temps. Cette « école » comme certains l’appelèrent, n’a pas laissé que de mauvais souvenirs ; d’aucuns en gardent même la nostalgie. Ce n’est sans doute pas le cas de Peter Watkins et l’on est prêt à parier qu’il est persuadé d’avoir choisi une démarche radicalement différente. Il se trompe : son film laisse dans la bouche un étrange goût de poussière… c’est celle des décombres de la Commune écrasée une deuxième fois. 4 Malgré l’investissement fourni par les comédiens — soumis ici à rude épreuve et pour qui l’expérience a sans doute été passionnante — le résultat donne paradoxalement une image artificielle des événements — absolument confondante — dépassant en style pompier ce que l’on aurait pu craindre de n’importe quelle approche plus « conventionnelle » 5. Une fois encore, on constate que le « style » caméra à l’épaule peut produire, lui aussi, une certaine forme d’académisme. Mais cela, nous le savions déjà.
- On n’avait pas vu ça depuis les années soixante : une espèce de dispositif à la Lelouch !
- Mais c’est bien la rigueur qui fait ici défaut.
- Le film, dans sa version courte (!), se déroule pendant 4h30 ; excusez-moi du peu !
- N’en déplaise à P. W., d’autres films sur le sujet préexistent à celui-ci. Citons : outre La Nouvelle Babylone de Gregori Kozintzeff et Leonid Trauberg (1929), La Commune de Paris, court métrage de Robert Menezog (Documentaire, 26 min, 1951), La Commune de 1871, de Cécile Clairval et Olivier Ricard (Documentaire, 76 min, 1971), Le Destin de Rossel, de Roger Stéphane et Jean Prat (Fiction, 85 min, 1966), ainsi qu’un autre film réalisé sur le capitaine Louis Rossel, par Serge Moati… (Une filmographie de la Commune figure dans le n° 37 – 1983 – des Cahiers de la Cinémathèque).
- À cet égard, on notera que Peter Watkins se paie l’audace de venir faire la leçon à Hollywood, dans un carton parfaitement démagogique.
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La Commune (Paris, 1871)
2000 | France | 6h15
Réalisation : Peter Watkins
Publiée dans La Revue Documentaires n°16 – Mémoire interdite (page 77, 4e trimestre 2000)