Découverte de l’ordinaire

Sylvie Thouard

Le documentaire est un genre poreux capable d’absorber toutes les figures stylistiques: interviews, reportages, re-créations, animations, commentaire, etc. De ce point de vue on peut dire que The Store est un film minimaliste, strictement composé de scènes de type cinéma direct. Malgré leur hétérogénéité stylistique les documentaires de la télévision américaine tendent à mettre en phase les différents niveaux de lecture possibles : les éléments du film semblent organiquement liés par un développement naturel de la logique ou par le déroulement d’une histoire.

Je voudrais faire une présentation de The Store en dissociant deux types d’analyses: l’une qui s’en tient au film, et l’autre qui prend en compte le contexte hors film. Le but de cette démarche est de mettre en évidence un déphasage entre deux niveaux de lecture dont le film joue. Mais si l’étude écrite implique une sélection, pendant son visionnement, le spectateur du film effectue ces procédures simultanément, ou du moins fait de nombreux allers-retours entre différents niveaux. Il s’agit donc là des lectures plurielles que peut effectuer un seul et même spectateur, et dont le film tire sa force.

À distinguer sans doute, mais la frontière n’est pas nettement tracée, du pluriel des spectateurs, difficile à spécifier. Non plus le spectateur virtuel et moyen des statistiques de l’audimat, mais par exemple celui qui, de sa lointaine New York, voire d’Europe, jouit de l’exotisme provincial du Texas ; celui qui connaît bien et entre comme un poisson dans l’eau dans les lois du cinéma direct ou tout simplement « des films de Wiseman » ; ou bien le téléspectateur qui tombe par hasard sur le film au soir de sa diffusion, et « est encore là deux heures et demi plus tard » 1 en dépit ou à cause de ses écarts à la norme du documentaire de télévision. Les films de Wiseman en effet semblent être regardés par une large audience, large en tous cas pour la télévision publique. Lors de sa première diffusion le film fut loué ou critiqué pour son absence de prise de position claire, tantôt qualifié de film ennuyeux, tantôt de test fascinant pour le spectateur « quant à ses propres attitudes envers la plus typique des conduites américaines – le shopping » 2. Les auteurs d’un livre récent 3 sur Wiseman évoquent à propos du Store les différents « matérialismes » que le film convoque (philosophique, marxiste, ou bien pris dans l’acception courante du goût de l’argent et des objets). Je me servirai comme point départ de la description qu’offre la vidéothèque du Museum of Broadcasting 4. Il s’agit d’une institution dont l’autorité influencera sans aucun doute les spectateurs du film dans le futur: la description a été rédigée dix ans après la première diffusion en 1983. Relativement brève, elle présente un bon résumé. Mais surtout, elle montre comment deux types de lecture sont mis en œuvre et je ne doute pas qu’elle révèle en partie celles que le spectateur effectue simultanément – s’il choisit de regarder le film dans son ensemble, « d’être encore là deux heures plus tard ».

Ce documentaire de Frederick Wiseman, sans narration ni commentaire, présente une parade interminable de clients et de vendeurs faisant l’article des produits de Neiman Marcus, un opulent grand magasin de Dallas.

Les premières lignes isolent le film dans l’ensemble de la production télévisuelle. Il est inscrit sans hésitation dans le genre documentaire, mais l’instauration d’un contrat stylistique et narratif singulier est notée: l’absence de voix off constitue non seulement un manque stylistique à la norme, mais marque le manque de lisibilité d’un récit et d’un argument. Sont distingués en effet « narration » (voix racontant l’histoire) et « commentary » ( à prendre comme discours par une voix extra ou intra-diégétique). L’aspect non narratif du film est souligné à nouveau par les termes parade interminable. Lecture au regard du genre, de l’institution, de la convention, d’un contexte hors film.

Puis le rédacteur s’en tient au film lui-même. Il effectue d’abord une lecture de surface, et en même temps qu’il désigne les références iconiques, souligne un trait stylistique: des segments composés de plans courts pris dans des lieux différents alternent avec des séquences apparemment filmées dans un même espace-temps :

De longs segments sont reliés par un kaléidoscope de plans des rayons bijouterie, maquillage et autres ,escaliers roulants, vitrines. […], étages supérieurs de l’administration, sous-sols où des petites mains effectuent les altérations sur les riches vêtements.

La description, que je résume, continue par une liste des longues séquences: réunions de cadres qui discutent passionnément vente, marketing, et fidélité de la clientèle; mannequins présentant de nouveaux modèles aux clients; demandeuse d’emploi qui glorifie inconsidérément (« extrava-gantly ») la supériorité de Neiman Marcus par rapport aux autres grands magasins. La scène finale est une réception réunissant des centaines d’invités à l’occasion du soixante quinzième anniversaire du magasin, et durant laquelle Stanley Marcus lui-même chante sa version du célèbre My Way de Frank Sinatra.

La description révèle un axe sémantique « esprit maison » chronologiquement orienté vers la glorification: progression soulignée par l’insistance sur « l’extravagance » des éloges de Neiman Marcus formulés par la demandeuse d’em-ploi. Cette orientation ne se donne à lire qu’à complétion du visionnement du film, (ou de l’évocation qu’en fait le musée et qui me parait très juste) : la « dissimulation » d’une progression tout au long du film est remarquable et les dernières scènes invitent à une lecture rétroactive; il faut repenser au début du film et à son déroulement.

La présentation synthétique et sommaire du Museum of Broadcasting associe donc plusieurs niveaux de lecture. Je propose maintenant de les distinguer et de les analyser plus en détail. J’espère montrer que l’intérêt, le travail et sans doute le plaisir du spectateur naît des allers-retours qu’il effectue entre ces niveaux.

Le film

Premièrement dans le film il y a ce qui se donne à voir et à entendre – visibles, manifestes : les images et les sons. Dans l’hypothèse purement théorique qu’on puisse s’en tenir à la lecture d’un présent en train de se faire, que voit-on, qu’entend-on ? De nombreux segments alternés et récurrents obligeraient à une longue énumération, et je n’organise pas cette présentation chronologiquement. Encore que je décrive l’ouverture du film, ma description va du plus simple au plus complexe. Je pré-suppose (et cela pourrait être contesté) que des échanges verbaux sur la bande son complexifient la lecture.

  • Ouverture : plan large d’une ville, contre plongée d’un immeuble, plans de rues, passants, vitrines, passants regardant les vitrines, entrant dans l’immeuble.
    L’ensemble du film se passe ensuite à l’intérieur du magasin.
  • On voit des espaces, couloirs, escaliers roulants, ascenseurs, et des gens qui passent, employés et acheteurs, sur une musique d’ambiance douce et les bruits de leurs déplacements.
  • Des plans de travailleurs manuels empaqueteurs, couturières, livreurs sont accompagnés d’une bande son composée des bruits synchrones de leur activité: bruit des caisses qu’on déplace, des ciseaux qui coupent les tissus, des papiers d’emballage, ainsi que de nombreux bruits moins facilement identifiables, caractéristiques pourtant de la présence de plusieurs personnes dans une pièce. Des bruits de travail, on peut dire qu’ils adressent une iconicité pour l’oreille 5 au sens où Pierce caractérise le signe iconique par des traits de ressemblance avec l’objet qu’il désigne. Des images, visages, vêtements et gestes des travailleurs manuels, on sent aussi le travail de cadrage, les mouvements de caméra portée, les différentes valeurs de plans, le montage, mais on ne doute pas que ces gens et leurs activités soient « réels » : ils semblent ignorer la présence de la caméra (pas d’affectation gestuelle, de regard caméra, etc.).
  • La même technique de tournage est appliquée à l’ensemble des employés du magasin. Vendeurs et cadres sont amenés à parler dans leur travail et on entend donc aussi des dialogues, ce qui complexifie la lecture. Les standardistes prennent et transmettent les commandes téléphoniques, les vendeurs vendent, les cadres motivent les vendeurs. Dans les longues séquences (extended segments), le montage des plans respecte le principe de continuité spatio-temporelle et suscite l’impression d’une durée plus longue. On y suit alors le déroulement d’une procédure: comment vendre, comment se déroule une réunion de marketing. Cependant la réunion, la vente, sont rarement présentées dans leur intégralité, du début à la fin. Une stricte lecture de ce qui est manifeste dégagerait plutôt des caractéristiques psychologiques ou les différentes stratégies de langage qu’utilisent les employés du magasin dans telle ou telle situation (dans les rouages de l’entreprise, dans la hiérarchie sociale, ou confrontés à tel client). Des stratégies et des profils psychologiques s’esquissent sans jamais être développés.

Comment caractériser l’effet d’une telle lecture ? Elle porte sur l’écriture filmique, et le spécifique du moment filmé. Une fois le système filmique établi, éclairage naturel, caméra portée, son synchrone, aucun changement ne se manifeste. Loin d’attirer l’attention sur lui-même, le dispositif filmique s’efface. La caméra portée bouge peu. Il y a des changements de longueur focale mais les plans larges et les gros plans suivent une logique d’exposition traditionnelle: établir l’espace, montrer plusieurs personnes dans une activité, puis le détail de cette activité, ou de l’intervention d’un participant s’il s’agit d’un meeting. En film 16 mm une longueur focale de 25 mm est celle qui distord le moins l’image par rapport à notre perception à l’œil nu. Et sans qu’on puisse le vérifier il semble qu’une grande majorité des plans tendent vers ce « naturel ». La caméra s’efface, la bande son est apparemment simple. Encore qu’on distingue bien souvent, comme si c’était des effets sonores, la cloche qui marque les arrivées et départs de l’ascenseur, ou l’effacement des bruits d’ambiance au profit de la musique diffusée dans le magasin, ces « effets » sont toujours justifiés visuellement. Tout phénomène d’énonciation marquée dans l’écriture filmique est étouffé. Seuls les changements d’étage et donc de classe sociale, marquent une décision de montage dont nous parlerons plus loin. Pour le spectateur de ce présent filmique qui se déroule, s’il y a plaisir et intérêt, il dérive du spécifique du représenté.

C’est un plaisir lié à la reconnaissance de l’ordinaire et on apprend peu. S’il est vrai que le film nous entraîne dans des étages auxquels l’acheteur n’a habituellement pas accès, les activités que nous y découvrons n’ont rien de surprenant. Les discours stratégiques de vente ou de marketing sont connus, et le décryptage de leur fonctionnement d’ensemble est limité. On ne découvre pas plus les mécanismes de la gestion d’un magasin dans les scènes de réunion qu’on n’a compris comment réparer un manteau de fourrure (les plans du travail des couturières ne constituent pas une séquence). La valeur informative ou pédagogique du Store est limitée à l’énumération d’exemples de « l’esprit maison », et à la distinction de la hiérarchie sociale au sein de l’entreprise: sa mise en évidence filmique passe par le choix d’un immeuble où elle se donne à voir. Le rédacteur du Museum of Broadcasting l’a d’ailleurs perçu et souligné dans sa description par étages, sous-sol, rayons et étages supérieurs. Mais il est vrai aussi qu’à part sa localisation, sa répartition géographique spécifique dans l’immeuble Neiman Marcus de Dallas, cette hiérarchie sociale est bien connue ainsi que les acteurs sociaux qui la composent. Les sujets filmés sont uniques en tant qu’individus, ordinaires en tant que symboles d’une classe sociale.

L’expérience d’acheteur est sans doute l’une des mieux partagées du monde capitaliste occidental, par presque tous les âges et toutes les strates sociales. Du zoo humain, le riche étant l’espèce la mieux cachée, il y a sans doute un certain exotisme à la vente de manteaux de fourrures, de bijoux, de vaisselle sertie de pierreries qui constituent l’essentiel des ventes que le film nous montre dans cet « opulent » grand magasin: vague exotisme du riche, mais les personnages-clients ne sont pas plus développés que les employés. Ethnologue en son propre pays, Wiseman a suscité un intérêt qui repose aussi sur la découverte de l’Amérique moyenne; intérêt évident du spectateur européen mais aussi de certains spectateurs américains. L’instauration d’une distance à l’ordinaire, d’un regard intéressé par le quotidien, passe par le choix d’une ville et d’une région; le spectateur (et le réalisateur) des grandes villes du Nord-Est prend plaisir à la mise en images de l’Americana, comme on dit ici. Le Texas, Dallas sont des lieux mythiques, distants, étrangers. Ce n’est peut-être pas un effet du hasard si Errol Morris, qui en dépit d’un style filmique complètement différent de celui de Wiseman proclame son admiration pour son œuvre, suit le cours de la Justice de Dallas dans The Thin Blue Line : il avait d’ailleurs effectué une exploration de la province dans ses films précédents ; par exemple dans Vernon Florida. Les deux cinéastes ont en commun la distance à « l’homme ordinaire » de leur propre pays. Cependant dans The Store, à part une certaine insistance sur le charme des chorales provinciales chantant des hymnes de Noël sous les sapins blanchis du magasin,- elles font l’objet de plans récurrents -, Wiseman ne s’attarde guère sur le provincialisme, ou dans les deux sens du terme, l’excentrisme des acteurs sociaux. Le film est sans effet de surprise pour le spectateur américain: ni quant au fonctionnement de l’entreprise, ni quant à la spécificité sociale, géographique ou psychologique des acteurs sociaux.

Que dire alors d’une lecture événementielle ? Rappelons qu’un événement n’est pas un récit: l’éruption soudaine du Vésuve est un événement du monde réel susceptible de transformer l’état de ce monde. Et ce n’est pas une histoire ! 6 L’événement peut instaurer un déséquilibre. Le récit est la mise en œuvre d’une transformation: un équilibre initial est perturbé et ré-instauré (Propp) ou plus généralement une situation une est transformée en situation deux par l’intermédiaire d’un désordre, d’un déséquilibre, d’une épreuve. Disons tout de suite qu’il n’y a pas de récit d’ensemble dans The Store, et pas d’événement susceptible d’instaurer une transformation. Le magasin fonctionne bien, sans accrocs, et d’une manière relativement prédictible. Pour le spectateur, l’imprévu c’est le surgissement d’une nouvelle scène dans le film: un client veut acheter, une démonstratrice de soutien-gorge vient faire sa présentation aux vendeuses, un cadre de la chaîne de magasin Neiman Marcus est de passage à Dallas et une réunion a lieu. Il y a quelques micro-récits du type: une cliente arrive dans la salle d’essayage; elle essaye, hésite à acheter, et finalement achète. De toute évidence ce type d’évènements ou de récit n’est guère susceptible de surprendre ou de procurer au spectateur des informations nouvelles par rapport au bagage culturel qu’il apporte au visionnement. On est là encore dans l’ordinaire.

On a accusé Wiseman de faire preuve dans ses premiers films d’un trop grand voyeurisme dans sa manière de s’attarder sur des évènements intimes ou liés à des débordements psychologiques: comme par exemple la longue prise du malade vomissant d’Hospital 7. The Store, son dix-septième film, s’en tient à des évènements ordinaires et « décents ». Pourtant, de temps à autre il y a des moments plus forts, un peu surprenants. La demande d’emploi n’a en soi rien d’extraordinaire: ayant évoqué son expérience dans la vente, une jeune femme fait les louanges de la maison Neiman Marcus, et conclut avec insistance qu’elle est faite pour le job. Le rédacteur du Museum of Broadcasing souligne son insistance (extravagantly) à vanter Neiman Marcus, car le dialogue qui l’accompagne sert à marquer une progression vers la célébration finale. L’évènement, le déséquilibre (très relatif) c’est le surgissement dans le film d’un discours un peu hors de l’ordinaire. De même, il arrive à la caméra de s’attarder, ou plutôt au montage de laisser un plan plus long que les autres, lors de l’intervention particulièrement enthousiaste d’un cadre en réunion. Dans la première partie du film une scène frappe aussi. On entraîne des caissières à bouger mains et têtes avec entrain et élégance. On leur fait faire des exercices de sourire. Toutes en lignes, les caissières pratiquent les mêmes gestes, leurs corps réduits à des mains et visages-outils. Image de dévouement gestuel, non verbal, mais qui ne manque pas non plus d’ « extravagance », ni sans doute de l’exotisme de l’ordinaire (provincial, « non cultivé ») que nous évoquions plus haut. Et certainement la scène finale, un grand banquet au décor grandiose et fastueux auquel les invités arrivent en limousines, constitue un événement hors de l’ordinaire du magasin présenté tout au long du film. Événements uniques en ce qu’ils ne se sont passés qu’une fois au moment où la caméra les filmait, mais relativement normaux: l’excès de zèle se manifeste sans doute dans bien des entreprises ou des expériences de la vie quotidienne; il n’est pas perçu comme de la folie. Les quelques débordements ont à voir avec l’enthousiasme quant à la bonne marche du magasin: enthousiasme d’individus, ou de l’institution elle-même (la gymnastique des caissières, l’anniversaire). Le spectateur s’en moque-t-il, s’attendrit-il, c’est selon; il ne verra pas un équilibre (mental ou institutionnel) vraiment menacé. Une telle lecture est celle du résultat du travail de la caméra et du micro, et des choix qu’ont fait la réalisation et la production; des gestes et mots des sujets filmés. Pour le spectateur, c’est celle du film qui se déroule en projection, du déroulement d’un présent en train de se faire. Dans The Store, elle est essentiellement gratifiante au niveau du plaisir d’un savoir généralisé, d’un voyeurisme ouvert.

Une lecture rétroactive

Un deuxième niveau de lecture met en jeu la mémoire du spectateur, capable de se souvenir en cours de film des images et des séquences précédentes. Une lecture rétroactive qui inclut cette fois le passé du film et le travail du montage, non seulement dans ses collures de deux plans l’un après l’autre, mais dans la structuration de l’ensemble du film. Parce qu’il n’y a pas d’histoire, de récit, à l’opposé d’un film plein de « suspense », The Store fait peu appel à une lecture par anticipation, à l’attente du futur du film. Je m’en tiendrai à la traditionnelle distinction entre l’axe syntagmatique et paradigmatique, dont la vision d’ensemble suppose la mise en jeu de la mémoire et de l’interprétation. Sur l’axe syntagmatique, les séquences développées, montées d’une manière classique pour recréer un même espace / temps, voire une histoire (une vente), n’entretiennent pas entre elles de relations continues, temporelles, ou causales. Cependant on distingue une progression vers la célébration de la maison Neiman Marcus, et la succession d’un certain nombre de scènes (pas toutes) trouve sa logique dans une lecture rétroactive. Une logique d’accumulation vers un crescendo. Si l’on distingue les plans de travail manuel du reste des séquences, on note aussi une progression: de la manutention et réparation, vers la livraison. Vers la vente donc. Les scènes de la vente d’un manteau de fourrure, récurrentes par bribes, débouchent sur son achat. S’il y a une relation de cause à effet entre toutes ces scènes, elle est, pour faire une analogie linguistique, sans lien syntaxique: une phrase telle que « le travail des employés et les achats des clients (permettent) la célébration fastueuse », dont le verbe aurait été omis. On se souvient alors – peut-être – de la phrase d’ouverture de la première réunion : « un mot nous réunit tous la vente… Peu importe que nous soyons président ou balayeur, notre but commun est de vendre ». Cette progression vers la vente est ensuite étouffée, masquée, par l’intercale-ment de nombreuses autres scènes. Seul un mouvement de lecture rétroactive permet de dégager un sens de l’ensemble du film. Il n’y a pas de récit, pas de discours clairement argumenté et ce qu’on en lit est si simple (l’esprit maison est partagé par tous, et progresse jusqu’à de légères extravagances) qu’il n’y aurait en effet pas de quoi développer un argument élaboré. Notre besoin d’achèvement, celui d’une histoire terminée ou d’une hypothèse prouvée juste, n’est que vaguement satisfait par le banquet final.

La délimitation d’un champ de lecture a ses limites, et dès lors que j’ai organisé une présentation de l’ensemble du film, j’ai dû évoquer plus haut la lecture paradigmatique la plus évidente, celle de la hiérarchie de l’entreprise, des différences sociales. Elle est donnée dès les premières minutes et déclinée ensuite. C’est elle qui sous-tend l’alternance des scènes entre les étages. C’est elle qui conduit à comparer les gestes, fonctions, échanges verbaux ou silence des uns et des autres. Les relations entretenues par les différents acteurs sociaux s’articulent harmonieusement autour de la vente, à laquelle chaque classe sociale semble dévouée. À tel point qu’une critique s’est demandée si une telle absence de dissension au sein de l’entreprise était plausible et en vient à douter « d’une caméra qui ne trouve que des employés s’identifiant totalement à la compagnie » 8. La structure d’ensemble est celle d’une large base de travailleurs manuels et de vendeurs, puis, dans l’espace plus limité des salles de réunion, les cadres qui y invitent à l’occasion les chefs de rayon; enfin au sommet, absent dans le magasin 9 mais trônant à la table du banquet d’anniversaire, le président lui-même. Une fois la pyramide sociale établie, elle se répète, et chaque classe décline son dévouement à la vente dans différentes situations: seul le président caractérise l’ensemble de l’expérience d’une manière personnelle, My Way.

L’organisation sous-jacente du film, celle que le travail du spectateur peut décrypter, est en phase avec les manifestations textuelles de surface. Ce n’est pas sans intérêt mais ces longues plages de gens et d’évènements ordinaires filmés dans un style homogène, sans événement très remarquable, sans récit ni argument complexes, laissent ample place à la dérive vers l’imaginaire, ou peut-être à l’ennui.

Au niveau du contexte hors film, je séparerai une lecture en relation avec le hors film cinématographique et télévisuel (genres, « grand récits » cinématographiques – c’est celle du début de la description du Museum of Broadcasting), d’une lecture qui met le film en rapport avec le contexte socioculturel et politique de sa période de diffusion.

Relations aux genres

C’est la répétition réassurante d’un genre ou sous-genre que le téléspectateur vient chercher dans la grille des programme. C’est à ce principe qui fait monter l’audimat, et non pas au manque d’imagination des réalisateurs, pense Fredric Jameson 10, qu’on doit la « médiocrité » de la plupart des émissions télévisées. De son côté, en France, Gérard Leblanc 11 dégage d’une étude des journaux télévisés l’effet produit par la réitération quotidienne de leur rubriques: les rubriques doivent être le plus codifiées possible car c’est d’elles – de leur succession et de leur retour – que dépend l’impression de cohérence que doit produire le récit télévisé de l’actualité (impression de cohérence gagnée sur le désordre permanent du monde). Notons ici que l’événement du journal télévisé fait le plus souvent appel à un déséquilibre du monde – l’hypothétique éruption du Vésuve par exemple – et que si le segment du journal ne constitue pas nécessairement un récit, la répétition des rubriques d’information réinstaure l’équilibre: elle fait en quelque sorte office de « grand récit » 12. Enfin, on peut dire que le commentaire en voix off du documentaire traditionnel offre le confort de la répétition d’un style connu, et d’une voix qui guide l’interprétation. Quelque peu dérangeant donc est le cinéma direct par rapport à ce principe. Je voudrai examiner dans The Store l’effet produit par l’absence de commentaire en voix off, ou plutôt de ce que j’appellerai la verbalisation de l’expérience. En effet une interview, ou bien la voix off d’un participant sur des images, effectuent en partie pour le spectateur le passage du perçu au connu qui caractérise son activité. André Gardies 13 l’évoque en parlant du film de fiction mais sa remarque peut s’appliquer au documentaire. Le passage du perçu au connu, constitutif du savoir spectatoriel, procède donc d’un ensemble d’opérations complexes néanmoins rigoureusement réglées. […] Ce sont elles en définitive qui sont essentielles car en même temps qu’elles gèrent mon accès au savoir diégétique, elles déterminent la nature de mon implication effective au cours du récit. Or c’est probablement elle, en dernière analyse, qui a la haute main sur mon plaisir de spectateur. Dans The Store, le perçu, ce serait les images et les sons de travail dans le magasin, y compris les scènes de dialogue en son synchrone entre clients, vendeurs et cadres. Dans ces situations, ceux-ci en effet ne prennent pas de distance avec leur expérience: même les cadres en réunion, dont l’activité verbale d’exposition oblige précisément à prendre un certain recul, adhèrent complètement à la philosophie de « la vente avant tout » ; c’est leur travail. Ils sont d’ailleurs filmés au travail, et non pas parlant au réalisateur du film dans un effort explicatif. Aucun de leurs propos n’est déplacé non plus sur des images non synchrones ce qui produirait également cet effet de distance explicative. Anomalie par rapport à la convention qu’a donc tout de suite noté le Museum of Broadcasting : « without narration or commentary ». Cet écart est caractéristique du cinéma direct; pourtant celui-ci fait souvent appel à des situations où les sujets filmés sont amenés à verbaliser leur expérience. Un classique comme Salesman des frères Maysles est entièrement construit sur la tournée de vendeurs de bibles au porte-à-porte. Le soir, ils se retrouvent dans des chambres d’hôtel et discutent de leur journée. Et même lorsque Paul, le personnage principal, le vendeur raté, se retrouve seul au volant de sa voiture, il commente à voix haute les situations auxquelles il a été confronté, évoque ses projets: les cinéastes n’ont pas sollicité un tel commentaire, il pourrait être dû à la présence de la caméra ou tout simplement au fait que, comme beaucoup de gens, Paul parle tout seul. En tous cas le montage se sert abondamment de toutes ces verbalisations. Wiseman en choisissant de filmer ventes et réunions, souscrit à cette tradition 14. Cependant j’ai noté l’absence de paroles à l’étage des travailleurs manuels: c’est à la fois une anomalie par rapport à l’ensemble du film (la classe sociale qui ne parle pas) et par rapport au genre documentaire (y compris le cinéma direct). Des films comme American Dream ou Who Killed Vincent Chin ? 15, qui filment des travailleurs manuels à la chaîne, recouvrent en grande partie les bruits de leur travail de voix off et de musique. Le manque de verbalisation dans de longues scènes est en fait beaucoup plus fréquent dans le film de fiction. Et pour revenir au passage du perçu au connu qu’est le travail du spectateur, sans aucun doute les bruits des travailleurs manuels, dans ce contexte, « font plus de sens ». Sans vouloir m’écarter du film qui nous occupe je crois pouvoir dire qu’il existe une bande son caractéristique des films de Wiseman (dont les productions nombreuses constituent presque en elles-mêmes, si tant est qu’on les connaisse, un « sous-genre » documentaire).

Pour peu qu’on soit familier avec le cinéma direct, après tout établi dès les années soixante, on peut entrer dans son style sans inconfort et même y trouver le plaisir de la répétition du genre. Dans sa tradition, l’absence d’énonciation du dispositif cinéma et la place plus grande laissée à l’interprétation du spectateur sont admises. Ce qui l’est moins, et constitue l’originalité de Wiseman, est l’absence d’évènements remarquables et de récit. Elle est certainement déroutante pour le spectateur. La plupart des reportages de télévision, mais aussi de nombreux films de cinéma direct, reposent sur des évènements ou des personnages remarquables. Mrs Fisher a eu des quintuplés et les médias abusent d’elle, John Kennedy ou Bob Dylan sont en tournée 16.

Quant à Salesman, également un film de l’ordinaire, c’est un récit: un vendeur réalise en cours de tournée qu’il n’est pas bon pour la vente. L’ensemble du film peut être vu comme la série d’épreuves qui l’amène à cette pénible réalisation. Du conte au film d’Hollywood, peut-être le récit est-il le propre de l’homme. Bien des documentaires n’en sont pas, et peut-être peut-on dire que le propre de l’homme est la production de sens. En tous cas, dans le contexte, bien plus étroit !, du visionnement d’un film documentaire, on cherche à interpréter. Et s’il n’y a pas récit, on cherche une thèse, un argument, ou du moins un enseignement, voire simplement une information sur ce qu’on ne connaît pas et qui servira peut-être à connaître et comprendre le monde où nous vivons. Or dans The Store, il y a bien peu de tout cela. Les personnages et les situations en dépit d’un vague exotisme et en dehors du spécifique du moment filmé, sont connus. La thèse semble d’une extrême simplicité: le fonctionnement d’un magasin repose sur une organisation hiérarchique, travailleurs manuels, vendeurs, cadres et président; tous les employés à leur niveau font preuve de « l’esprit maison ».

The Store a les éléments traditionnels du film d’entreprise et du documentaire militant. En un sens, ne clarifiant guère ses positions, la réalisation joue un peu des différentes lectures possibles. Il y a sans doute un peu trop d’ironie a souligner les « extravagances » de l’esprit maison pour qu’on puisse y lire en filigrane la promotion de la maison Neiman Marcus. Ou plus généralement – mais c’est déjà moins clair – la défense d’un système basé sur la motivation personnelle des employés: de cette manière le système fonctionne bien. Le documentaire militant au contraire mettrait en cause ce même système. En référence à ces sous-genres l’absence de position affichée par la réalisation-trouble. Et trouble plus encore, peut-être, l’infraction à la tradition documentaire de porter un regard sur le monde, et non pas comme le fait la fiction sur un monde. Barbara Kopple la reprend dans American Dream, qui se sert du microcosme de l’industrie d’empaquetage de viande pour évoquer les problèmes auxquels font face les travailleurs et les syndicats dans les années quatre-vingt.

Le film ouvre sur un montage de clips de discours télévisés du président Reagan dans lesquels il se livre à des attaques anti-syndicales, en particulier contre les aiguilleurs du ciel; il effectuera des milliers de licenciements au nom du nouveau principe des « remplacements permanents » de grévistes. C’est donc à la lecture d’un contexte plus large, mais spécifique et daté, qu’American Dream nous invite. The Store, par contre, ouvre sur des plans larges de ville, d’un immeuble, de rues. Il y a peut-être là invitation à la mise en relation du film à un contexte plus large, mais il n’est guère spécifié.

Sans doute, en cours de film, le spectateur a-t-il fait l’apprentissage d’un regard distant, capable de décrypter la structure institutionnelle. La question qui se pose à lui est: qu’en faire ? Et si l’on admet le besoin de récit ou en tous cas d’interprétation, il ne manquera pas de se la poser. Le film n’offrant pas de discours interprétatif, la lecture en regard des genres et des grands récits cinématographiques ne pointant que des manques, il ne peut cependant que se tourner vers son imaginaire et le contexte hors film pour les combler .

Interprétation et récit

Au niveau de ce deuxième plan de lecture, du contexte socio-culturel et politique, je distinguerai, là encore pour clarifier cette présentation car je suis convaincue que ces besoins sont presque inexorablement liés, le besoin d’interprétation, celui au sens large de passer du perçu au connu, du besoin de récit.

Interprétation
Wiseman, c’est bien connu, s’intéresse aux institutions. Un tel intérêt est littéralement indiqué dans la première réunion des cadres de l’entreprise où l’un d’eux déclare dans son discours d’ouverture « nous sommes dans une institution créée pour vendre ». Si on pratique une lecture du monde, d’un macrocosme, limitée à un parallèle entre le fonctionnement d’un magasin et celui d’autres entreprises, je l’ai souligné, on n’apprend pas grand-chose. Wiseman d’ailleurs ne nous y invite guère. American Dream indique spécifiquement le montant des bénéfices réalisés par la compagnie Hormel (mentionnés par les ouvriers, et repris par des cartons titres), et le compare avec les salaires, et baisses de salaire imposées aux employés; lecture spécifique du profit capitaliste. Rien de tel dans The Store qui pourtant nous invite à comparer les classes en terme de pouvoir d’achat: c’est plutôt lourdement que Wiseman choisit de s’attarder sur les ventes des rayons manteaux de fourrure et bijouterie de luxe (diamants et rubis sont vrais), plutôt que sur la lingerie ou les accessoires que la petite-bourgeoisie sans doute vient acheter. Je soupçonne même que s’il a le souci de ne pas effectuer de montage contrasté dans les collures d’un plan à l’autre (les « kaléidoscopes » d’ascenseurs, escaliers roulants et plans généraux servent aussi à feutrer les transitions), ce n’est pas sans délice qu’il s’attarde sur un plan des « petites mains » immigrées qui réparent un luxueux manteau de fourrure. Le spectateur ressent fortement la volonté d’effacement de traces d’énonciation de la part du réalisateur. Son obstination à ne pas donner la lecture, disons de type marxiste traditionnelle, qu’on attend des éléments rassemblés, de l’attitude distante, (pseudo) scientifique, adoptée par rapport à l’institution « de la vente », et d’une tradition documentaire, conduit à déplacer l’interprétation loin des stricts mécanismes économiques. À l’orienter vers la contrainte institutionnelle elle-même, comme si elle était aussi importante au bon fonctionnement du magasin, et si l’on veut bien le prendre pour sa métaphore, du capitalisme. Les films de Wiseman analysent l’importance des contraintes exercées par l’institution, et les rôles qu’elle assigne aux individus. Une telle démarche justifie l’ordinaire des évènements et des situations. C’est celle qu’appliquent aux films de Wiseman ceux qui apprécient et suivent son travail.

Une description du comportement possible de « l’organisme » en « lui-même » est inadéquate sans la description des contraintes exercée sur ces possibilités par l’environnement. […] De ce point de vue la question n’est pas « pourquoi telle ou telle chose s’est passée », mais plutôt quelles contraintes ont agi pour que « la même vieille histoire » ou bien « rien du tout » ne se soit passé 17.

Quant à moi, je voudrai brièvement me servir de cette approche pour évoquer le positionnement du spectateur effectuant ce type de lecture. Il a adopté une position distante par rapport au film et au sujet filmé. Il est en position d’analyser les mécanismes régissant le fonctionnement d’un monde économique et social d’une période vaste (par opposition aux « années Reagan » évoquées dans American Dream). Cette position est celle du scientifique (point n’est besoin de souligner la tournure scientifique de la citation ci-dessus), du sociologue, de l’économiste, ou de l’historien. Il est invité à adopter un « regard sobre », comme on parle des « discours de sobriété » (académiques, scientifiques, juridiques, etc., ce sont aussi les discours du pouvoir) (18) alors que personne n’a vraiment formulé ce discours. (Le spectateur le fera peut-être à la sortie du film).

Récit
Comme le « scientifique » cité plus haut, le spectateur d’un film se pose sans doute des questions en l’absence de récit, ou en tous cas d’événement qui fait problème, tandis que l’absence de récit renforce « l’effet de réel ». Et si l’on poursuit la lecture de Bill Nichols dans son chapitre consacré aux films de Wiseman d’avant 1980, on s’aperçoit que les critiques et sans doute certains spectateurs y ont souvent imaginé (avec l’aide du film lui-même apparemment) l’occurrence d’un événement susceptible d’instaurer un désordre, un changement de situation, et donc de permettre la construction d’un récit (de ce point de vue il existe sans doute des « grands récits » de type marxiste ou plus généralement militant): seule la lutte peut amener des changements significatifs dans la structure institutionnelle ou l’organisation sociale. On voit comment l’institution est prise comme métaphore de la société hors film…

(… Les films de Wiseman), par leur description des rôles décrivent la base de ce processus […] soit la résistance vient du héros (le psychiatre et Dr Schwartz dans Hospital par exemple) ou des personnages secondaires (certains étudiants de High School, certains malades de Titicut Follies, soldats de Basic Training); la plupart des éléments « subjectifs » du style de Wiseman suggèrent sa sympathie et son soutien aux résistances qui constituent un point de départ à un moment susceptible d’instaurer un changement social. 19

Je voudrai souligner ici que The Store ne contient pas d’éléments « de résistance » facilement lisibles, qui permettrait au spectateur de construire facilement le récit imaginaire d’un changement social 20 (tout au plus, un vendeur de vaisselle s’étonne-t-il qu’on puisse boire dans des verres sertis de pierres précieuses). Il peut toujours le faire, mais le film ne lui fournit pas de Point de départ. Le silence des travailleurs manuels qui fait problème (car ce sont les seuls acteurs sociaux qui ne parlent pas, ce qui est souligné par la longue bande de sons d’ambiance), pourrait constituer une subtile trace d’énonciation. Adhèrent-ils vraiment à l’esprit de l’entreprise ? Constituent-ils la classe d’où viendra la « résistance » ? Peut-être Wiseman pose-t-il la question. Il en suggère d’autres: sont-ils d’abord satisfaits d’avoir un emploi, chose du monde mal partagée comme semble l’indiquer « l’extravagance » de la jeune femme qui n’en a pas ? Enfin la pertinence de ces questions pourrait être remise en cause par la constatation simple: le film a établi comme son principe de filmer des gens au travail, et les travailleurs manuels n’ont pas à parler. C’est donc vers sa propre expérience que le spectateur doit se tourner, pour construire l’histoire qu’il veut. En fait, en 1983, elle pouvait être ambiguë: le déficit américain était porté à un montant sans précédent, la classe ouvrière menacée dans ses acquis sociaux et son emploi, tandis qu’une bonne partie de l’électorat plébiscitait Reagan autour du slogan « are you not better off now ? » (ne vivez-vous pas mieux maintenant ?). L’ambiguïté est un des grands reproches qu’on fait à Wiseman. Ses films laissent sans aucun doute une grande place à l’imaginaire du spectateur: mais il est vrai aussi que ce n’est pas tous les jours qu’on imagine des scénarios dont le héros est une institution.


  1. Selon Robert Kotlowitz, vice-président de la station WNET, “the audience turns it on and it’s still there two and a half hours later… Wisemen gets considerable ratings”, cité p 287 dans Reality Fictions ; the Films of Frederick Wiseman, par Benson and Anderson, Southern Illinois University Press, 1989. Le dernier chapitre, dont je me sers ici, est consacré au Store et commence par une longue étude des critiques parues dans la presse lors de la diffusion du film.
  2. Dans The New Republique, 31 décembre 1983, article de Mary Lou Weisman.
  3. Benson and Anderson cités ci-dessus. Le chapitre s’intitule Materialism and Symbolic Action.
  4. Basé à New York, ce musée de la radio et de la télévision prévoit d’ouvrir bientôt une autre vidéothèque à Los Angeles. Il est essentiellement financé par des grandes corporations, diffé-rentes chaines de télévision et fondations. Une rétrospective complète des films de Wiseman y fut présentée en automne 1993. On trouve sur ordinateur la déscription suivante:
This Frederick Wiseman documentary, without narration or commentary, features an endless parade of customers and sales clerks aggressively promoting the merchandise at Neiman Marcus, an opulent Dallas department store.
Extended segments are bridged by kaleidoscopic montage of scenes occurring at jewelry counters, on escalators, and at cosmetic displays…
  5. Expression empruntée à André Gardies, p 18 dans Le Récit filmique, Hachette, 1993.
  6. André Gardies, idem, p 30
  7. Bill Nichols, Ideology and the Image, p 209:
Wiseman disavows conventional notions of tact… A two-minute-long take of a patient vomiting in Hospital is one striking example of this aspect of Wiseman approach… this lack of tact pulls Wiseman’s cinema toward the realm of voyeurism and visual pleasure.
  8. Karen Rosenberg dans The Nation du ler décembre 1983, citée p 284 par Benson and Anderson.
  9. En fait, il apparaît dans une réunion, mais le spectateur ne peut pas l’identifier au premier visionnement.
  10. Jameson Signatures of the Visible, Routledge, p19:
 Think also of the much misunderstood “aesthetic bankrupcy” of television: the structural reason for the inabilities of the various television series to produce episodes which are either socially “realistic” or have an aesthetic and formal autonomy that transcend mere variations has little enough to do with the talent of the people involved […] but lies precisely in our “sets” toward repetition. […] much the same situation obtains for film…
  11. Treize heures / Vingt heures, Hitzeroth, p 66.
  12. Les américains utilisent d’ailleurs le terme story parlant d’un événement et non pas néces-sairement d’une histoire susceptible d’être rapportée par les journaux d’information. On entend couramment le présentateur en studio passer la parole au journaliste sur le terrain par l’expression « Untel has the story ».
  13. Le Récit filmique, p 111
  14. Frederick Wiseman, colloque du 28 octobre 93, Museum of Broadcasting:
I am always looking for events when people are standing back and explaining their beha-viour not to the caméra but to other participants… one of the most difficult thing to get is people making abstract or more general statement about what they are doing.
  15. American Dream de Barbara Kopple, 1990. Who killed Vincent Chin? de Christine Choy et Renee Tajima-Pena, 1988.
  16. Je fais allusion à des classiques du cinéma direct, respectivement: Happy Mother’s Day (1963) Primary (1960) et Don’t Look Back (1966) par Drew, Leacock, Pennebaker.
  17. Wilden, System and structure, p 356. Cité par Bill Nichols, p 217 dans Ideology and the Image I, Indiana University Press(1981):
 A description of the possible behaviour of the “organism” “in itself” is inadequate without the description of the constraints exerted on those possibilities by the “environment”… in this perspective it is not a question of “why such -and-such happened” but a question of what constraints operated so that “the same old thing” or “anything at all” did not hap-
pen.
  18. Concept avec lequel Bill Nichols ouvre Representing Reality, publié dix ans plus tard en 1991: pour lui,en substance, le documentaire appartient à la sphère des discours de sobriété, même si son utilisation de l’image en fait un parent pauvre.
  19. Ideology and the Image, p 218
  20. Peut-être lié au changement d’attitude de Wiseman lui même par rapport à ses films qui déclarait lors d’un récent colloque au Museum of Broadcasting en octobre 93:
Au début, j’avais cette vue naïve et prétentieuse d’une relation directe entre films et changement social. ..peut-être est-ce dû à la maturité, l’expérience, ou au conservatisme de l’âge, mais je suis plus enclin à penser que s’il y a contribution quelconque au changement social, elle est impossible à mesurer, souterraine, élusive… “In the beginning I had this naive and pretentious view that there were some kind of one to one relationship between film and social change… whether it’s maturity, expérience, or get-ting more conservative as I get older, I am more inclined to think that if there is any contribution to social change, it is impossible to measure. It is elliptical, subterranean…” (suivi d’une plaisanterie sur le Mariage de Figaro et sa contribution à la révolution française).

  • American Dream | Barbara Kopple | 1990 | États-Unis, Royaume-Uni | 1h40
  • Dont Look Back | Donn Alan Pennebaker | 1967 | États-Unis | 1h36 | 16 mm
  • Happy Mother’s Day | Joyce Chopra, Richard Leacock | 1963 | États-Unis | 26’ | 16 mm
  • Primary | Robert Drew, Richard Leacock, Donn Alan Pennebaker, Albert Maysles | 1960 | États-Unis | 53’
  • The Store | Frederick Wiseman | 1983 | États-Unis | 1h58 | 16 mm
  • Who Killed Vincent Chin? | Christine Choy, Renee Tajima-Peña | 1987 | États-Unis | 1h27

Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 45, 3e trimestre 1994)