Quels écrans pour l’école ?

Anne Henriot, Monique Ridel

Nous enseignons à l’école primaire et au lycée, et nous avons toujours pris en compte l’image sous toutes ses formes, quelle que soit notre discipline. Depuis plusieurs années déjà nous nous interrogeons sur les liens que tisse le documentaire avec la réalité, sur ce qui le différencie des reportages télévisuels, et sur son avenir. Nous pensons, comme le rappelait René Rodriguez 1 dès 1987 dans le numéro 2 de la revue APTE, que « le réel ne fait jamais irruption dans l’école par la simple magie du film ou de la cassette vidéo » et que « donner à voir le monde implique que l’on enseigne en même temps l’image ».

En 1994, nos objectifs sont plus que jamais actuels. Nous essayons de faire en sorte que nos élèves apprennent à distinguer le réel de ses représentations, à gérer leurs choix et le temps qu’ils consacrent aux médias; nous tâchons de les sensibiliser aux enjeux économiques; nous les initions à la lecture de l’image et autant que possible à son écriture.

Nous ne sommes donc pas seulement engagés dans l’enseignement par les médias, mais surtout dans l’enseignement des médias.

Le documentaire – au sens le plus large du terme – nous intéresse parce que son contenu interroge, crée une curiosité et propose un lieu de métissage culturel. Mais nous nous y arrêtons surtout parce qu’il permet d’étudier avec nos élèves le va et vient complexe entre la réalité et ses images. À ce titre, il constitue pour nous un matériau privilégié pour apprendre à analyser les moyens d’écriture utilisés par les cinéastes et les médias audiovisuels pour rendre compte de la réalité.

De plus, comme le rappelle Geneviève Jacquinot, si le documentaire, qui noue des alliances avec tous les secteurs de la société en est l’écho probable, il est surtout l’écho de la relation que le réalisateur entretient avec ce dont il veut témoigner. C’est pourquoi la démarche du documentariste rencontre souvent celle de l’enseignant puisqu’elle consiste à aller du connu à l’inconnu. Et l’alchimie opérée entre le filmeur, le filmé et le regardeur est une école de découverte et d’interrogation d’autant plus riche qu’elle s’exerce sur des sujets déjà vus ou supposés connus.

Nous travaillons à partir, avec, et sur toutes sortes de documents construits à partir de la réalité, mais nous sommes surtout demandeurs d’un certain type de documentaire: celui qui suscite l’imagination parce qu’il est objet et outil de création; celui dont la lecture critique permet de déterminer quelle connaissance il apporte et quelle mémoire il trace; celui qui ouvre des pistes de recherche et permet une réflexion sur de nouvelles formes d’écriture.

Où trouver ces documentaires ? Actuellement la télévision reste la source principale de diffusion. Mais parallèlement, les établissements scolaires commencent à constituer des vidéothèques avec des crédits alloués à l’achat de vidéo-cassettes. Nous souhaitons voir se développer ce mode de diffusion, mais nous manquons d’informations sur les films dont la sortie ne sera jamais assurée par le circuit commercial. Certaines publications pédagogiques 2 consacrent une rubrique à la parution des vidéo-cassettes en vente dans le commerce… Nous aimerions que les producteurs utilisent ces rubriques – ou tout autre canal – pour informer les enseignants et les documentalistes des parutions récentes.

Par ailleurs, une diffusion se met en place avec des directeurs de salles indépendantes qui font le choix d’une programmation de documentaires avec séances scolaires. C’est, pensons-nous, une bonne façon de faire découvrir le plaisir du grand écran et d’entamer un dialogue entre le spectateur et ceux qui, de la réalisation à la production, font exister le documentaire. (Ce type de diffusion est d’autant plus fructueux qu’il est complété par une cassette vidéo du même film permettant une étude de construction et d’écriture).

Nous sommes donc aussi demandeurs d’espaces et de supports de diffusion. Nos objectifs, nos recherches, notre travail, impliquent une relation d’échange entre artisans du documentaire et enseignants. Ces derniers, dans la mesure où ils peuvent donner à leurs élèves l’envie d’être des spectateurs actifs et de se constituer une vidéothèque personnelle, ne pourraient-ils pas devenir l’un des éléments moteurs d’un nouveau processus de diffusion ?

Anne Henriot et Monique Ridel, enseignantes et membres de l’association APTE 3


  1. Conseiller pédagogique à la FEMIS, membre fondateur de APTE
  2. TDC Magazine et Telescope
  3. APTE, Association pour la promotion de l’audiovisuel dans l’éducation, Poitiers

Publiée dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion (page 119, 3e trimestre 1994)