Aux salles citoyen(ne)s

Sylvie Agard

Nous sommes à la fin des années 90. Viviane Forrester vient de publier L’Horreur économique1. Ignacio Ramonet signe, dans le Monde diplomatique, un éditorial intitulé « Désarmons les marchés » 2, qui précède de peu la création de l’association Attac qui va compter jusqu’à 30 000 adhérents. L’urgence est de combattre la « pensée unique » libérale, qui s’incarne dans le modèle de société promu par Ronald Reagan et Margaret Thatcher : le fameux TINA (« There is no alternative » ou, en français, « Il n’y a pas d’alternative »).

Lorsqu’on parcourt la liste des films qui abordent les effets de la mondialisation, on est, en effet, frappé de voir que leur nombre augmente en même temps que la mobilisation. Les réalisateurs, qu’ils travaillent pour le cinéma ou pour la télévision, n’ont pas tardé à relever le défi. Ils répondent ainsi à une forme de commande d’un « mouvement citoyen » qui s’organise et qui a besoin d’images.

Ce sont les évolutions technologiques qui, simultanément, vont permettre à ceux qui ont du mal à trouver des débouchés sur les principales chaînes ou dans les salles de trouver leur public. Comme le matériel de tournage qui s’est allégé et, par voie de conséquence, démocratisé, le matériel de projection évolue, facilitant l’organisation de projections à partir de supports vidéo. Les associations, les organisations, les particuliers s’équipent. La galette de dvd permet de se saisir du film. La communication par l’internet, en multipliant les sources d’information, accélère le mouvement.

Reste à utiliser les moyens offerts pour organiser des projections-débats et investir les espaces publics.

À l’usage des programmateurs débutants, voilà un petit vade-mecum dont nous espérons qu’il sera utile, avant que d’autres urgences et d’autres évolutions n’apparaissent.

Pour chercher un film

Vous avez une thématique à mettre en débat et vous cherchez quels sont les films qui traitent de cette thématique.

Deux bases de données particulièrement intéressantes, et régulièrement actualisées, peuvent vous aider dans votre recherche.

Le portail du film documentaire : http://www.film-documentaire.fr/

La base cinéma et société : http://www.autourdu1ermai.fr/

Ces bases vous renseignent sur le contenu et les caractéristiques de chaque film : réalisateur, producteur, durée, année de production…

Vous pouvez également chercher sur les sites des festivals qui abordent des thématiques sociales, économiques, écologiques et politiques, en France, mais aussi dans tout l’espace francophone.

Certains existent depuis longtemps, d’autres se créent au gré des opportunités.

En croisant les propositions, il est relativement facile de trouver les films qui ont retenu l’attention des programmateurs et du public, et parfois des perles rares.

Pour trouver les ayants droit

Un film, c’est un projet qui a mis en relation un réalisateur et un producteur, ou un réalisateur et… un réalisateur dans le cas d’une autoproduction. Ce sont les ayants droit du film, donc vos interlocuteurs pour l’organisation d’une projection.

Pour les trouver lorsque vous ne connaissez que le titre du film, vous pouvez, bien sûr, utiliser Google ou Bing, mais il existe aussi des meta-moteurs (qui puisent des informations à travers plusieurs moteurs de recherche généralistes), non intrusifs, qui ne vous « tracent » pas, ne vous inondent pas de contenus publicitaires, et que nous vous encourageons à tester, comme DuckDuckGo ou Ixquick. Les différents moteurs sont loin de donner les mêmes résultats.

Attention, vous aurez souvent en « tête de gondole » des aspirateurs de clics qui ne vous fourniront aucun renseignement véritablement utile dans votre recherche.

Si vous pouvez déjà associer au titre du film le nom du réalisateur, vous trouverez plus facilement le nom du producteur (et vice-versa).

En sélectionnant l’onglet « vidéos » des moteurs de recherche, vous pouvez trouver les bandes-annonces proposées par les producteurs et les diffuseurs, mais aussi les films mis « gracieusement », et intégralement, à disposition de tous par des internautes bien intentionnés qui ne courent que le risque que les ayants droit se manifestent auprès de Youtube, Dailymotion, Vimeo et les autres pour demander la suppression des vidéos en question.

Si vous disposez du dvd, tous les éléments figurent dans le générique. Dans le cas d’une co-production, l’ayant droit principal est le « producteur délégué ».

Pour se procurer le film

Désormais, la plupart des sociétés de production ont leur propre site internet où elles présentent un catalogue complet et indiquent les conditions et les contacts, soit directement auprès d’elles, soit auprès d’organismes auxquels elles ont délégué la gestion des droits de projection. Pour les films sortis en salles, votre interlocuteur sera le distributeur.

Quelques organismes facilitent l’organisation de projections non-commerciales et vous fournissent le support de projection :

Images de la culture, qui dépend du CNC :

Les films sont destinés à des diffusions publiques et gratuites pour tous ceux qui mènent une action culturelle en contact direct avec le public. http://prep-cncfr.seevia.com/idc/data/Cnc/index.htm

L’ADAV, qui permet à des structures non-commerciales d’organiser des projections ponctuelles (hors exploitation cinématographique) http://www.adaveurope.com/

Les conditions sont précisées par ces organismes.

Lorsque vous vous adressez directement à la société de production, vous pouvez éventuellement négocier le forfait de location. Mais c’est à vous qu’il incombe de financer une éventuelle « gratuité » de la projection, pas au producteur et aux ayants droit.

Pour projeter le film

La projection peut avoir lieu dans une salle de cinéma à condition de s’accorder, avec l’exploitant de la salle, sur les conditions financières et techniques : paiement des droits, tarif d’entrée, partage des frais et des recettes, support de projection, temps consacré au débat, lieu de ce débat. Cette projection peut être qualifiée de « non-commerciale » même si l’entrée est payante.

Si le film est en cours d’exploitation commerciale, l’exploitant émet une billetterie « CNC » et encaisse les recettes.

Quoi qu’il en soit, il vaut mieux s’y prendre longtemps à l’avance.

Hors la salle de cinéma, les lieux de projections sont multiples. D’une salle associative à une salle des fêtes, en passant par un café ou un local syndical, parfois une bibliothèque, une librairie ou un amphithéâtre, voire un gymnase, tout est possible. La salle trouvée, il reste à savoir si elle dispose d’un équipement permanent de vidéo-projection ou si vous devez prévoir de l’installer.

Qu’il soit permanent ou non, cet équipement doit comprendre :

  • un vidéo projecteur de bonne qualité (c’est-à-dire dédié à la projection des images vidéo, et pas à la présentation informatique),
  • un lecteur : ordinateur, lecteur de dvd ou tout autre matériel permettant la lecture du support dont vous disposez,
  • un écran (ou à défaut un mur blanc),
  • un équipement supplémentaire pour le son dont la source doit être en concordance avec l’image, donc proche de l’écran : c’est un point non négligeable pour une projection réussie,
  • et tous les câbles et rallonges électriques permettant de relier les éléments les uns aux autres.

La salle doit également pouvoir être occultée (volets ou rideaux opaques), sinon il faudra attendre que la nuit soit tombée pour démarrer la projection !

Il est donc impératif de repérer les lieux et tester la projection bien avant l’arrivée des spectateurs, ce qui suppose que quelqu’un soit totalement en charge des aspects techniques de la projection.

Enfin, il vaut mieux vérifier le support de projection sur le matériel qui le lira. Un dvd peut être défectueux, le bon format (4/3, 16/9) ne pas être détecté par le lecteur, les prises électriques trop éloignées ou en nombre insuffisant.

Il convient également de régler le niveau sonore, quitte à le retoucher légèrement selon le remplissage de la salle, et de vérifier la hauteur de l’image pour que les spectateurs aient une bonne vision (notamment lorsqu’il y a des sous-titres à lire).

Ce n’est pas lorsque tous seront assis que vous pourrez gérer calmement les aléas !

Rassurez-vous : la première expérience est formatrice.

Pour accompagner le film

Il ne s’agit pas ici du pot de fin de soirée (vous pouvez certes y penser), mais de l’organisation du débat.

Il faut bien évidemment inviter le réalisateur, ou au moins le prévenir qu’une projection de son film va avoir lieu, ce que le producteur du film oublie parfois de faire.

Pour un cinéaste, accompagner son film représente un investissement personnel important. Au point que le problème de la rémunération est posé aujourd’hui par plusieurs associations de cinéastes documentaristes, dont le texte est consultable sur le site d’Addoc. http://addoc.net/action/accompagner-son-film-aupres-du-public-demande-remuneration/

Vous avez choisi un film pour aborder un sujet précis : la présence d’un spécialiste permet d’approfondir divers aspects de ce sujet. Quel spécialiste ? Ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent, « bons clients » selon la terminologie des médias. Souvent sollicités, ils répondent favorablement beaucoup plus facilement qu’on ne l’imagine. Cependant, la question des frais de déplacement et d’hébergement peut obliger à chercher en proximité, en explorant les réseaux associatifs, les unités de formation et de recherche des universités, les organisations syndicales et professionnelles, bref toutes les ressources locales.

Un modérateur est indispensable : il doit savoir écouter, faire circuler la parole et veiller à la qualité des échanges. Le projet du film, les conditions de production, le dispositif mis en œuvre, le point de vue de l’auteur, le choix de la forme, sont autant d’éléments nécessaires pour nourrir le débat et aider à comprendre les enjeux liés à la représentation du monde qui est proposée par le film. C’est sans doute là que réside la clef d’une projection-débat réussie : dans l’articulation entre les images et le sujet. Le risque d’une instrumentalisation trop rapide au profit du seul sujet peut être évitée si on demande au spécialiste invité, comme à n’importe lequel des spectateurs présents, d’exprimer son point de vue sur ce qu’il vient de voir. Ainsi naîtra un espace de réflexion commun où ne seront lésés ni ceux qui sont venus pour le film, ni ceux qui sont venus pour le débat. Et, vraisemblablement, l’envie de renouveler l’expérience.

À propos de la rédaction de ce vade-mecum

Souvent, lors de projections-débats, les mêmes questions reviennent : « Comment peut-on se procurer ce film ? Pourquoi n’a-t-il pas été diffusé à la télévision ? »

C’est pour apporter une réponse, modeste, que l’association Voir&Agir a été créée.

Animée par des bénévoles, Voir&Agir s’est d’abord fixé pour objectif, dès 2001, de constituer un catalogue raisonné et de proposer à la vente des documentaires mettant en question le libéralisme.

L’internet, avec sa culture d’une gratuité largement fantasmée (car : « Si c’est gratuit, c’est toi le produit ! »), n’a pas contribué à clarifier les enjeux économiques que la diffusion représente pour la production indépendante.

Être propriétaire d’un support n’implique pas qu’on puisse diffuser un film dans n’importe quelles conditions. C’est la raison pour laquelle le respect des ayants droit a été également un élément essentiel de l’action de l’association, qui a signé avec les producteurs dont les films sont au catalogue des contrats sans ambiguité.

L’invitation a donc pu être faite aux associations pour qu’elles organisent des projections-débats, « des projections associatives », avec des installations plus ou moins provisoires, en expliquant sans se lasser ce qu’est le cercle de famille et ce qu’est la projection non-commerciale.

Mais c’est en devenant, à son tour, organisatrice de projections-débats mensuelles (« Les Rendez-vous du documentaire engagé » avec l’hebdomadaire Politis) pendant plus de 10 ans, que Voir&Agir a acquis une expérience qu’elle a souhaité partager ici.


  1. Viviane Forrester, L’Horreur économique, Fayard, 1996.
  2. Ignacio Ramonet, « Désarmons les marchés », Le Monde diplomatique, décembre 1997.

Publiée dans La Revue Documentaires n°25 – Crises en thème. Filmer l’économie (page 137, Mai 2014)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.025.0137, accès libre)