Daniel Goudineau
Michelle Gales, Michael Hoare
Bref rappel de l’histoire des aides au documentaire
D’une façon schématique, on peut dire qu’on est passé, dans le secteur de l’audiovisuel, d’un système d’aide assez modeste en volume, prenant en compte des critères de qualité des programmes, indépendamment de l’apport financier des chaînes de télévision, à des aides beaucoup plus importantes en volume pour les émissions qui sont achetées par les télévisions – ce qu’on appelle le Compte de soutien. Mais on a tout de même conservé des aides apportés sur les crédits du ministère de la Culture et qui sont destinées à aider des programmes ou des émissions sur des critères uniquement culturels. Dans la période d’avant 1984, on avait un certain nombre d’organismes – l’Agence OCTET, l’OCCAV, une cellule d’aide à l’audiovisuel au sein du CNC – qui tous intervenaient dans les programmes en fonction de leur qualité afin de constituer un patrimoine intéressant. On avait là un système de subvention du ministère de la Culture de type classique.
La deuxième période va de 1984 à 1986. À ce moment a été créé l’ancêtre du Compte de soutien qui s’appelait le Fonds de soutien aux industries de programmes. Il s’agissait essentiellement d’interventions sous forme d’avances remboursables. Un certain nombre de programmes, notamment des fictions, ont été aidés pendant cette période par ce Fonds de soutien qui était relativement modeste – cinquante millions de francs à peu près.
Enfin, en 1986, a été créé le Compte de soutien aux industries de programmes, avec des règles plus précises. L’une de ces règles notamment était incontournable: l’argent du Compte de soutien ayant pour provenance un prélèvement sur les recettes des chaînes de télévision, il fallait que les œuvres aidées aient pour objectif de nourrir les programmes des chaînes, et donc qu’elles aient fait l’objet d’un achat par la télévision, soit en préachat, soit en co-production. Depuis 86, ce système s’est développé avec de plus en plus de moyens, puisque de 50 millions en 1985-86, on est passé à plus de 700 millions cette année (522 millions pour l’automatique et un peu plus de deux cent millions pour le sélectif. C’est une progression spectaculaire.
L’automatique et le sélectif
En ce qui concerne le Compte de soutien, on avait une double pratique: premièrement, le texte fixait une répartition entre le Compte de soutien automatique et le Compte de soutien sélectif (70% pour le premier et 30% pour le second). L’objectif du Compte de soutien sélectif était de permettre à de nouvelles sociétés de voir le jour. Bizarrement, le Compte automatique ne concernait que l’animation et la fiction et pas le documentaire, tandis que le Compte sélectif prenait en compte les trois genres. Au sein du Compte sélectif il y a eu une sorte de répartition entre le documentaire, la fiction et l’animation. En fonction des besoins et du nombre de projets, le documentaire pouvait bénéficier d’aides plus importantes que ne la prévoyait cette répartition a priori.
Quand je suis arrivé en 1989, Catherine Tasca était très désireuse de voir le documentaire accéder à l’automatique. Il y avait deux obstacles majeurs. Le premier était que l’on craignait de voir les productions de documentaires venir générer au sein du Compte automatique une série de petits comptes qui n’auraient eu aucune utilité économique. La production de documentaires étant extrêmement éclatée en comparaison avec la production de fiction, il nous semblait déraisonnable d’ouvrir une centaine de comptes à des producteurs de documentaires qui auraient eu peut-être 20 000 F ou 30 000 F sur leur compte, ce qui ne leur aurait pas servi à grand-chose. On s’est aperçu pour la fiction et l’animation que tous les petits comptes étaient les plus difficiles à utiliser, qu’ils restaient le plus longtemps stagnants sur le Compte automatique et qu’on avait ainsi entre 15 et 20% du Compte qui était bloqué. Par ailleurs, lorsque ces petits comptes étaient utilisés, en général ils n’étaient pas suffisants pour financer à eux seuls une production et les producteurs étaient obligés de repasser au Sélectif pour demander un complément.
Le deuxième obstacle, c’était la difficulté de cerner ce que pouvait être un documentaire. Notre crainte était que si on ouvrait l’automatique au documentaire dans les mêmes conditions que pour l’animation et la fiction, on allait voir l’ensemble de la production de magazines, de reportages, etc. affluer au Compte de soutien sans qu’on ait vraiment des moyens pour faire le distinguo entre les uns et les autres.
Était-ce pour autant une raison d’empêcher le documentaire d’accéder à l’automatique ? Avec Dominique Wallon, j’ai pensé qu’on pouvait trouver des solutions pour résoudre ces deux problèmes et pour permettre à des sociétés comme les Films d’Ici, qui ont une grosse activité de production uniquement documentaire, d’avoir quand même un Compte automatique. La première solution a été la création d’un seuil d’accès à l’automatique. On n’ouvrirait des comptes qu’à partir du moment où on était sûr qu’ils avaient une utilité économique. On a créé un seuil au-delà duquel on est prêt à ouvrir un compte et en en-deçà duquel on n’en ouvrira pas. Ce seuil a été fixé pour l’automatique documentaire à 500 000 F.
La deuxième solution qu’on a trouvée pour éviter un afflux massif d’œuvres sous l’appellation de documentaires est de dire que seules les œuvres qui auront bénéficié auparavant d’une aide du Compte de soutien et que nous aurons classées comme documentaires de création pourront accéder à ce mécanisme. Reste pour nous à définir ce qu’est un documentaire de création. Un problème qu’on ne résoudra pas facilement, j’en ai conscience, mais qu’on est en train de s’employer à résoudre.
Ce qu’on a fait pour le Compte de soutien documentaire est un peu l’inverse de ce qui existe pour la fiction ou l’animation : les règles sont plus sévères pour accéder à l’Automatique que pour accéder au Sélectif, puisqu’au Sélectif on est susceptible d’aider des productions qu’on considère comme des documentaires, mais pas obligatoirement de création. En revanche, à l’automatique, on ne prend que les œuvres documentaires de création.
D’autres guichets
J’ajoute que depuis 1986, a continué d’exister, à côté du Compte de soutien, ce qu’on appelle le Fonds de création audiovisuelle, qui désigne en fait une ligne de crédits affectés au CNC par le ministère de la Culture et qui nous sert à plusieurs usages, par exemple l’aide à l’écriture et à la préparation que nous avons modifiée en 1992 et qui permet d’avoir, pour les documentaires, une aide au développement relativement importante: elle représente, dans un premier temps de 20 à 30 000 F pour l’auteur et dans un deuxième temps jusqu’à 50 000 F, à partir du moment où l’œuvre a été retenue par un producteur qui s’engage à investir dans la préparation de ce projet un montant identique. Cette aide à l’écriture est surtout bénéfique au documentaire, les projets trouvant assez facilement des débouchés à partir du moment où ils ont eu une aide à l’écriture.
Par ailleurs, nous intervenons pour des opérations internationales comme le FAVI ou bientôt le Fonds Est et le Fonds Sud qu’on est en train de mettre en place. Nous intervenons également sur des aides à la production pour des documentaires qui n’auraient pas obligatoirement de diffuseur mais qui nous paraissent relever, soit du domaine strict du ministère de la Culture en raison de leur contenu, soit d’une qualité réelle bénéficiant de préventes à l’étranger, par exemple. Il y a eu aussi le cas de documentaires qui ont été produits avec RFO et n’avaient pas accès au Compte de soutien. Il s’agit là d’une aide qui est à la discrétion du ministère de la Culture.
Certains ont cru comprendre que le décret mettait ce système en place pour une année, à la suite de quoi il y aurait une évaluation de ses effets…
Un décret n’est jamais conditionnel. Il peut être modifié par la suite, mais la disposition inscrite dans le décret est permanente.
Alors quels sont les critères qui permettront de dire que c’est une réussite ?
Je ne sais pas si on peut parler de critères de réussite. Ce qu’on peut espérer d’un tel dispositif, c’est qu’un certain nombre de sociétés qui ont une activité régulière et importante en matière de documentaires trouvent les fonds nécessaires pour financer leurs productions futures. C’est bien ça le but du compte automatique. Je pense que le critère de réussite sera qu’un certain nombre de sociétés se trouveront confortées par ce dispositif et pourront avoir avec les chaînes des discussions un peu plus sereines lors du montage des plans de financement. En sachant en outre que le Compte automatique leur donne la possibilité de réinvestir dans les deux ans trois quart qui suivent (puisque c’est deux ans après le 31 décembre de l’année à laquelle on a notifié le compte). Donc même si elles sont dans une mauvaise passe, ça leur permet d’attendre des jours meilleurs pour produire.
Y a-t-il « trop » de producteurs ?
Lors de nos discussions, nous avons rencontré en gros deux discours. D’un côté, il y a l’USPA qui estime, un peu comme vous, qu’il y a trop de petites maisons de production, ce qui disperse le Fonds de soutien. D’un autre côté, on peut lire par exemple dans Info Spectacles une analyse selon laquelle la force de la production en France c’est au contraire d’avoir des sociétés qui peuvent être plus ou moins actives selon le moment.
Je n’ai jamais dit qu’il y avait trop de maisons de production. C’est vous qui me le faites dire ! J’ai simplement constaté que la production de documentaires était éclatée en de nombreuses sociétés. Je ne dis pas si c’est un bien ou si c’est un mal. Je n’ai pas à avoir d’opinion sur la structure de la production. En revanche, il nous paraissait dommageable d’ouvrir des comptes qui n’aient pas d’utilité économique pour ces maisons de production.
Je pense qu’il y a des petites sociétés qui ont une activité sporadique mais de qualité et qui peuvent très bien survivre. D’ailleurs on s’aperçoit que les toutes petites structures ont une durée de survie presque supérieure à celle des structures moyennes. On a le sentiment qu’entre les petites et les grandes il n’y a pas tellement de place. Soit on a dépassé un seuil critique et on arrive à bien vivre, soit on reste à un niveau petit et très artisanal et on s’en sort. Mais dès qu’on se trouve dans une zone intermédiaire où les carnets de commandes gonflent alors qu’on n’a pas vraiment les moyens de suivre, notamment en trésorerie et en capital, on est en difficulté.
Je ne condamne pas les petites sociétés. Je dis simplement que pour nos mécanismes d’aide, nous avons deux façons d’intervenir qui sont adaptées à deux types de structures différentes. Le Compte de soutien automatique est fait pour des sociétés qui ont quand même un volume de production important. Il n’a d’intérêt qu’à partir du moment où il a un certain montant, sinon il ne sert à rien dans la négociation avec les chaînes. C’est une fausse sécurité parce que de toutes façons il implique, pour monter une production, de revenir au sélectif. En plus il distrait un volume d’argent qui ne sera pas utilisé pour cette année et qui est nécessaire à la production.
Et d’autre part nous avons le Compte sélectif, qui ne doit pas être considéré comme une sanction, ni comme une punition. Il s’agit d’une aide adaptée à un autre type de situation, destinée à des activités moins régulières de petites sociétés qui ont parfois des produits très haut de gamme, et qui permet de les aider quand elles en ont besoin, sans pour autant mobiliser de l’argent.
Et ce double dispositif est destiné à perdurer ?
Oui. En tout cas dans l’état actuel de la réglementation, il n’a jamais été envisagé de supprimer le sélectif. D’ailleurs, cette année, on a plutôt un léger renforcement (200 millions contre 180 millions l’an dernier). De toutes façons, il n’est pas question de changer la clause de répartition qui est de 70 % pour l’automatique et de 30% pour le sélectif. Bien que nous ayons beaucoup de pression au sélectif, nous n’envisageons pas de diminuer l’enveloppe de l’automatique au profit du sélectif, car ce serait accroître la fragilité de la production. Mais encore une fois, l’aide du sélectif n’est pas une sanction.
Qui accède ?
En ce qui concerne les seuils d’accès, nous avons cru comprendre qu’à l’issue d’une discussion assez longue et difficile avec un certain nombre de partenaires, on avait abouti à une sorte de compromis, exprimé en terme d’heures et non pas de montant, à savoir six heures de diffusées sur trois ans…
Vous confondez deux choses. Il y a le seuil d’accès nécessaire à l’ouverture d’un Compte automatique. Ce seuil, et c’est peut-être discutable, est fixé en volume financier, soit 500 000 F. Ce compte s’appuie sur les diffusions de l’année précédente. Les diffusions de 1992 généreront un compte 1993 et nous vérifierons si le seuil de 500 000 F est atteint. Cette somme correspond à peu près à deux heures diffusées. Un autre problème nous a été posé par des professionnels qui avaient eu par exemple une activité en 1991 ou en 1990 et qui, tombant mal par rapport à la date du décret, vont être sanctionnés alors qu’ils ont pu avoir une activité extrêmement florissante les années précédentes. On a donc imaginé une mesure de transition qui permette d’entrer dans le système et qui a été effectivement exprimée en heures et non pas en volume financier. En d’autres termes, si une société de production a diffusé dans les trois années précédentes au moins six heures de documentaires, preuve d’une activité régulière, nous sommes d’accord pour la rattraper et lui ouvrir un compte de 500.000F forfaitairement. Mais il s’agit là uniquement d’une mesure transitoire.
Où vont les documentaires produits ?
Selon Paul Rozenberg, qui siège à la Commission du Compte de soutien, le nombre de dossiers de documentaires présentés avec des lettres de contrat de chaînes dépasse de loin le nombre d’heures diffusées par les chaînes…
D. G. : C’est effectivement une de nos surprises et de nos préoccupations. Depuis environ trois ans, on voit grossir de mois en mois le nombre de dossiers de documentaires présentés à la Commission. L’an dernier, nous en étions à environ quatre-vingt-dix dossiers toutes les six semaines. Or quand on fait la somme des cases documentaires sur les chaînes, on n’arrive pas à ce chiffre. Et ce, en dépit du fait que nous excluons désormais les sujets magazine. Auparavant, nous prenions éventuellement, au cas par cas, des sujets de Thalassa, de Montagne, d’Envoyé Spécial, etc. Nous ne le faisons plus, sauf s’il s’agit de sujets exceptionnels qui font 52 minutes. Mais malgré cette restriction, on a encore un volume croissant de documentaires. D’où sortent-ils ? Une explication est qu’une partie au moins d’entre eux sont assis sur des conventions avec des chaînes régionales. Comme ces stations interviennent souvent avec des moyens de production et non de l’argent frais, on peut supposer qu’il y a une certaine facilité à délivrer des accords de coproduction sur des sujets strictement régionaux. Mais néanmoins, on a le sentiment qu’il y a énormément de documentaires produits par les chaînes sans qu’on sache très bien quels sont leurs débouchés. Il y a sûrement du stockage quelque part. Quand Laure Adler est arrivée à Antenne 2, elle a trouvé un stock de deux cent et quelques heures dans les caves. Apparemment, il s’agit d’un stock qui a été acheté plutôt que co-produit par la chaîne. Il est vrai aussi que La Sept est grosse consommatrice de documentaires et qu’elle a un stock d’avance assez important. Mais cela ne suffit pas et je pense qu’on va faire une étude pour vérifier où sont passés tous les documentaires présentés à la Commission.
Nous savons que la clef de l’avenir repose en grande partie sur la télévision et sur ses choix en matière de programmation. À votre avis, que pouvons-nous faire les uns et les autres pour essayer d’encourager les chaînes à diffuser plus et mieux les documentaires ?
À notre modeste niveau, je pense que nous avons fait tout ce que nous pouvions pour encourager le documentaire. Si le CNC et La Sept n’avaient pas été là, le documentaire aurait sans doute chuté beaucoup plus qu’il ne l’a fait. Et je pense que si on a encore un savoir-faire important en matière de documentaire, c’est bien grâce aux aides publiques qui lui ont été apportées. C’est vrai que le moteur essentiel, dans un secteur qui se veut encore dans l’économie, c’est que les commanditaires commandent. Donc ce qui est important, c’est que les chaînes commandent du documentaire et le programment à des heures d’écoute satisfaisante…
À mon avis, le problème qui se pose est de savoir ce qu’on met sous l’appellation documentaire. Je pense qu’actuellement, on est dans une période où le regard sur le réel a quand même repris une position importante dans la grille des chaînes. Est-ce que ce regard sur le réel est strictement ce qu’on peut appeler du documentaire et du reportage, est-ce que c’est de l’actualité ? C’est extrêmement difficile à déterminer. Le reportage sur l’Éthiopie réalisé par Mitterrand, par exemple, est-il un documentaire ou un reportage ? Il y a un vrai point de vue d’auteur, ne serait-ce que par le commentaire, le montage. D’un autre côté, c’est indéniablement du grand reportage et pas du documentaire au sens où on pouvait l’entendre autrefois. Est-ce que Poussières de Guerre de Ponfilly et Laffont ou Justice en France de Daniel Karlin sont du documentaire ou du reportage ?
Pour nous, le documentaire de création se définit par le regard d’un auteur, par une préparation de l’écriture et par un montage soignés. Voilà ce qui, en gros, distingue pour nous le documentaire de création de simples reportages. Mais il est vrai qu’à la marge on trouve des styles différents qui co-existent et il est parfois difficile de faire le tri. Donc ma réponse est un peu une réponse de Normand: je crois que jamais le regard sur le réel n’a été aussi important à la télévision (il faut citer aussi des émissions de faits de société comme celle de Cavada ou de Paul Nahon à des heures de grande écoute). Mais il est bien difficile de dire si ces documents correspondent à ces classifications qu’on a encore dans la tête et que sont les vieilles écoles du documentaire, de nouvelles écoles de journalisme ou de reportage, etc. On voit bien dans un festival comme le FIPA qu’entre la catégorie reportage et la catégorie documentaire les classements pourraient parfois être discutés.
Pour aller plus loin, nous serons sans doute obligés de nous en remettre soit à des expertises communes avec des professionnels, vraisemblablement la Scam ou la SRF, ou encore les nouvelles associations qui sont en train de se créer, soit à l’arbitrage d’une commission en cas de difficulté.
L’Europe ?
Sur le plan européen existe-t-il des lieux de réflexion, de discussion entre le CNC et les institutions européennes en ce qui concerne l’aide et le soutien au documentaire de création ? Comment voyez-vous l’avenir, étant donné que le Compte de soutien est un des derniers remparts d’aide étatique à la création audiovisuelle face à des gens qui pensent surtout en termes de marché ?
En ce qui concerne la discussion au niveau européen, j’ai participé, avec Jacques Bidou et Olivier Masson pour la partie française, à la création de Documentary. La France apparaissait, avec l’Angleterre, comme un des rares pays où la production est organisée et où elle peut parler au nom de l’ensemble des acteurs du documentaire. Dans les autres pays, on a le sentiment que c’est beaucoup plus fractionné. Soit il y a des aides étatiques très fortes sur un certain nombre de productions, soit il y a des petits producteurs complètement essaimés, soit il y a les producteurs exécutifs des chaînes et dans ce cas ce sont les chaînes qui contrôlent la production. Donc nous nous trouvions avec l’Angleterre dans une situation assez exceptionnelle dans le débat initié autour de Documentary. Comme c’est le cas de tous les débats du programme MEDIA, nous nous sommes trouvés partagés entre la volonté des petits de ne pas être oubliés et la méfiance vis-à-vis des grands qui sont supposés remporter l’ensemble des crédits. De façon assez amusante, Jacques Bidou s’est même fait traiter de capitaliste par un producteur étranger. C’est dire dans quel rapport de force on se trouvait !
Notre position était de dire: si Documentary doit faire un effort, c’est essentiellement au moment de l’aide au développement parce que c’est là que les créateurs ont le plus besoin d’aide. Je pense que nous avons eu gain de cause. Documentary est un petit programme. Jacques Bidou s’est beaucoup dépensé. Le programme est intéressant, mais je pense qu’il reste insuffisant.
Le deuxième point européen sur lequel on peut discuter, c’est Eurimage, qu’on a trop tendance à oublier. Eurimage intervient soit sur les films de cinéma, soit sur les documentaires télévisuels. Bon an, mal an, Eurimage a aidé de façon non négligeable des grands documentaires, à condition qu’ils soient co-produits par plusieurs pays. C’est une importante source de réflexion mais aussi d’argent au niveau européen. Nous sommes beaucoup moins présents sur les autres programmes Média. Script ne s’est pratiquement jamais intéressé au documentaire, Babel s’y intéresse assez peu. Reste Map-Tv. Je pense du reste qu’il n’est pas exclu qu’on voie des regroupements de programmes au sein du programme Média entre par exemple Map-TV et Documentary, afin de renforcer le documentaire.
Quant à l’avenir de la production documentaire, c’est difficile d’imaginer quelque chose à long terme pour un genre qui est soumis aux pressions du court terme et à des effets de mode ou à des effets de changements de responsables tellement rapides. Donc je ne m’aventurerai pas sur ce terrain.
Quant à savoir si la pérennité du dispositif du CNC est utile ou non, il vaut mieux le demander aux producteurs qu’à nous qui sommes un peu juge et partie. Mais je pense que le dispositif du CNC a beaucoup d’utilité lorsqu’il touche des genres qui sont en difficulté.
Le documentaire et le marché
Le documentaire a des atouts et des inconvénients. Il présente le même inconvénient que la fiction dans la mesure où il est difficile d’internationaliser les contenus. Les documentaires que regardent les Anglais ou les documentaires que regardent les Français ne sont pas forcément les mêmes, alors que le dessin animé est quasiment unifié sur l’ensemble du monde. Les enfants regardent les mêmes programmes, sans doute en raison de l’influence des États-Unis. Et il est parfois difficile d’imaginer des documentaires vraiment internationaux, en dehors des films animaliers, des films de nature ou de voyages, ou encore des montages d’archives sans point de vue d’auteur. À noter aussi qu’il est rare de voir plus de deux pays intervenir dans la co-production d’un documentaire, ce qui n’est pas le cas de la fiction. En revanche, le documentaire ne se vend pas mal, ce qui est un peu contradictoire avec ce que je viens de dire. En outre, contrairement à la fiction, il a plus de chances d’être multidiffusé, à la fois en vidéo cassettes et dans le circuit non commercial – un aspect qui n’a peut-être pas été suffisamment exploré et qui représente à mon avis une des pistes d’avenir pour le documentaire. En ce qui nous concerne, nous essayons de développer la diffusion non commerciale, non pas directement au CNC, mais à travers des associations, notamment Arcanal. Je pense que l’édition de cassettes est également une voie d’avenir à condition d’éclairer le spectateur sur les choix. On voit fleurir beaucoup de séries, comme les programmes d’archives que sont en train de lancer Pathé et Gaumont, mais au bout d’un moment le public s’y perd un peu et n’a pas les repères qu’on peut avoir pour les disques ou les livres par exemple. Il n’y a pas d’émissions de critique pour les vidéo cassettes qui sortent. Si on arrive à résoudre ce problème, ainsi que celui des lieux de diffusion non commerciale (l’Éducation nationale en est un des plus importants), je pense qu’on pourra assurer au documentaire d’autres sources de diffusion que la télévision.
Propos recueillis par Michelle Gales et Michael Hoare
Publiée dans La Revue Documentaires n°7 – La production (page 12, 1993)