Global / Local

Deux ou trois questions que nous nous posons sur elle (la mondialisation)

Sylvie Thouard

Les flux que suscite l’économie libérale vont du financier à l’humain et invitent à parler de « mondialisation » terme vague, en vogue et sans doute utile. « Anti-mondialisation » ne rassemble-t-il pas sous un vocable, et physiquement en certains points du globe, des résistances éparses et diverses ?

Cependant, nous avons préféré soulever d’emblée des questions d’échelle et de positionnement. Quelle place adoptent les documentaristes qui s’attaquent à la difficile figuration d’un procès en cours ? Le filment-ils à la maison, dans l’usine d’une multinationale implantée au coin de leur rue, adoptent-ils la distance et l’ubiquité des déchiffreurs de nos sociétés ? D’où écrivons-nous ces contributions à l’analyse du champ documentaire contemporain ? Parler de « global et local » ne nous permet pas de faire l’impasse sur le national : nous publions de France, ancienne puissance coloniale, participante active à la construction de l’Europe, membre du Conseil de l’ONU et fière d’opposer aujourd’hui la philosophie des Lumières au bellicisme aveugle des États-Unis. Jusqu’où ira cette noble résistance à la superpuissance économique américaine, cela reste à voir… Nos approches varient mais nous avons en commun de chercher à résister, d’ici, à l’éclipse du politique. Cette éclipse va de pair avec nos difficultés à figurer une économie dérégulée, omniprésente sur la scène politique internationale comme dans nos vies quotidiennes. Il s’agit d’affirmer l’importance politique du documentaire — dont on sait bien qu’il n’est vu qu’à doses homéopathiques — par l’analyse, le questionnement théorique, et la discussion de pratiques filmiques.

La diffusion d’un documentaire, même s’il n’est projeté qu’à une dizaine de personnes dans une pauvre salle de réunion, est une pratique filmique. Il est essentiel de lui rendre hommage alors qu’en France aujourd’hui encore la production d’un documentaire est liée à sa diffusion télévisée.

Certes, nous sommes au pays de l’« exception culturelle ». Il n’en reste pas moins que la télévision est l’espace privilégié de circulation des images à l’échelle globale, espace déjà largement commercialise. Les télévisions publiques sont en danger dans tous les pays, et bien sûr il faut les défendre ainsi que les salles de cinéma indépendantes. Mais il est plus que temps de défendre aussi tout espace public de projection, si humble soit-il, de légitimer les micro-publics face à une distribution culturellement indifférenciée, déterritorialisée.

Au souci de localiser théories et pratiques documentaires, s’ajoute celui de les historiser. Rejetant l’appellation, d’origine incontrôlée, « documentaire africain » Thierno Ibrahima Dia convoque diverses temporalités : longue durée de l’Histoire de l’Afrique, période post-coloniale et pratiques filmiques actuelles. Noël Burch se souvient d’un « espace oublié », cependant indispensable à l’expansion du capitalisme mondialisé : il propose une enquête sur l’économie politique de la mer. Quand au juste, commence la « mondialisation » ? Michael Hoare choisit de retracer son histoire au fil des quelques décennies de sa vie étudiante puis militante. C’est au présent que travaillent les documentaristes combattant la brutalité expansionniste d’un capitalisme triomphant : pratiques militantes qu’il défend et re-contextualise avec leurs auteurs. Marine Sentin retrace l’histoire des Ateliers Varan et, avec quelques-uns de ses membres actifs, examine les difficultés de mise en réseaux de pratiques locales. Et je propose un repérage de termes fréquemment mis en œuvre ces dernières années, des questions sur leurs glissements de sens et leurs usages, en particulier dans le champ documentaire.

Temporalités multiples, analyses et pratiques diverses, mais des préoccupations communes souvent formulées comme des questions. Ainsi le questionnement inéluctable de la télévision, des images qu’elle dissémine ou qu’elle ne montre pas. Si la « mondialisation » est la circulation marchande des images, denrées, — et hommes –, quels parcours emprunter, dans le champ documentaire, pour échapper à sa force motrice ?


Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 5, 3e trimestre 2003)