Louisette Faréniaux, Michael Hoare
Autobiographie et trajectoire
Comment les gens de Riquita se sont-ils rencontrés ? Quels étaient leurs parcours avant de faire du cinéma ? D’où venait cette passion pour le cinéma, cette volonté d’en faire ?
Riquita est issu de la rencontre de trois personnes d’origine différentes. L’autochtone se nomme Dominique Deparis; rescapé de la classe laborieuse. Quant aux deux autres, Djamel Zaoui et Mehmet Arikan, leurs paternels sont venus d’Algérie et de Turquie pour prêter main-forte au développement de l’économie française.
Fin des années 70, Dominique et Djamel se rencontrent au lycée. Ils ont grandi dans les quartiers ouvriers d’une des grandes cités industrielles du Nord. Durant leurs jeunesse, les cinémas de quartiers vivent leurs dernières heures. Le cinéma est leur quasi unique moyen de distraction et d’évasion.
De leur rencontre va s’affirmer un goût certain pour un cinéma réaliste et populaire. L’envie d’en faire commence à se manifester au milieu des années 80.
Pour apprendre le métier, ils effectuent des petits boulots, des stages de formation (écriture, montage, mise en scène…).
L’expérience aidant, Riquita est créé en 1987. Faute de moyens, dans un premier temps, Riquita réalise occasionnellement quelques petits films en 8 mm et commence à se poser la question d’une démarche documentaire propre.
Pendant ce temps de gestation, l’équipe est rejointe par Mehmet. Il arrive en France en 80 à l’âge de 15 ans comme réfugié politique. Très vite il découvre le cinéma et s’initie en s’impliquant dans divers projets. Il trouve chez Riquita une démarche sociale et politique en laquelle il se reconnaît.
En 1989 se met en place et débute la réalisation du film 10, impasse Saint-Louis, premier volet de la série Les intouchables.
Comment travaillez-vous ? Avez-vous fixé quelques règles de travail ?
Nous n’avons pas de recette générale, chaque sujet nécessite un regard et une approche différente. C’est pendant le tournage et le montage, que se définit la forme du film. Nous sommes très empiristes.
Comme point de départ, nous essayons de retranscrire la réalité telle que nous la voyons, le plus simplement possible. Mais, en même temps, on essaie à chaque fois de développer une écriture différente des précédentes pour être en phase avec le sujet filmé. L’idée est que chaque réalité appelle une écriture et une structuration formelle différente. Le problème est qu’il faut à chaque fois partir à la découverte de cette structure ; elle n’est jamais donnée d’avance.
Jusqu’à présent, nous considérons chaque réalisation comme une situation d’apprentissage ; nous n’avons pas, outre cela, de prétention artistique ni cinématographique.
Quel est le sens de cette signature collective ?
Au début, il était difficile de quantifier l’apport personnel de chacun et cela ne nous intéressait pas. Le travail final n’était pas seulement une compilation de capacités mais aussi une synthèse des différentes sensibilités dans toutes les phases de l’élaboration du film.
Pour nous, le plus important était de réaliser les films parce qu’on avait des choses à dire, surtout à montrer. La question de qui fait quoi et quel titre lui donner dans le générique ne s’est jamais posée.
Vivez-vous du cinéma ?
Jusqu’à présent, notre travail ne nous a jamais permis d’en vivre. Néanmoins l’aspect social de nos films commence à nous ouvrir quelques portes, comme l’organisation d’ateliers audiovisuels en collaboration avec les différentes structures socio-culturelles de la région.
Quid de l’avenir ?
Juridiquement, Riquita est une association 1901. Cela nous permet une certaine liberté d’expression. Mais ce statut nous limite dans le choix de nos partenaires et le plus souvent nous ferme les portes des maisons de production.
Mais en ce moment Riquita est en pleine mutation. Nous essayons de mettre en place un nouveau fonctionnement ou chacun des individus qui composent le groupe puisse s’exprimer en s’appuyant sur l’expérience et la compétence des autres. Cela nous permettra d’abord de nous ouvrir vers d’autres horizons et de multiplier les réalisations au sein de Riquita. Pourquoi ne pas devenir un jour une maison de production pour partager notre expérience avec d’autres qui travaillent dans le même sens ?
Il y a des projets et des réalisations en cours.
À propos de Une vie de chacal
Une vie de chacal de Djamel Sellani et Riquita a été projeté en avant-première à la salle de sport La Chesnaie, Lille-Sud, le 25 octobre 1994. Il y avait un millier d’habitants du quartier et quelques élus locaux et régionaux qui ont été fortement interpellés par les jeunes durant le débat. Cette interview de Riquita et de Djamel Sellani a eu lieu quelques jours plus tard.
D’où est partie l’idée de ce documentaire ?
Riquita : L’idée de ce documentaire est née d’une chasse aux dealers survenue sur le quartier de Lille-Sud en mai 1993.
Les médias se sont contentés de présenter une vision falsifiée et dégradée du quartier sans ne jamais s’intéresser au vécu de la population, à savoir un univers où Français et immigrés vivent les mêmes problèmes. La presse et les politiques ont eu tendance à présenter cet événement sous une forme stéréotypée avec des gros titres du style : « Arabes contre Arabes », « Courage sur le quartier ».
Après avoir établi une relation de confiance avec les habitants, nous avons mis plus d’un an et demi pour réaliser ce film. La rage des gens s’est exprimée car ils avaient un besoin énorme de retrouver leur parole intacte.
Djamel Sellani : L’événement était présenté par les médias comme une « révolte des pierres à la française ».
J’habite depuis une vingtaine d’années dans ce quartier. J’ai rencontré Riquita aux États Généraux du Documentaire à Lussas. Je connais leur travail. Nous avons mis plus d’un an et demi pour réaliser ce film. Après avoir établi une relation de confiance avec les habitants, il s’agissait de trouver la forme la plus adéquate pour cerner cette réalité.
Riquita : Nous avons voulu donner à la population les moyens de prendre la parole.
D.S. : Ce quartier a une longue histoire, des racines. Aujourd’hui, on déplace les populations, au nom d’un nouveau découpage politique, avec une « volonté de mélanger les différentes couches sociales ». S’agit-il vraiment de mêler des populations diverses ou ne s’agit-il pas plutôt de « déplacer » des habitants ?
Après enquête, comment avez-vous choisi les personnages de ce film ?
Riquita : Nous souhaitions présenter un éventail pluriel des gens du quartier. Michel et Franck sont vite apparus comme très représentatifs, porteurs d’une « rage » que nous voulions exprimer.
Sylvie et son mari sont d’une autre génération, mais qui vivent les mêmes problèmes. Michel et son frère trouvent naturel de vivre avec des gens d’autres cultures. Ils sont « intégrés à l’envers » : ils ont tissé des liens avec la communauté immigrée du quartier, s’y sentent à l’aise.
Combien d’heures ont été tournées ? Comment avez-vous travaillé le montage ?
D.S. : Le montage s’est fait au fur et mesure du tournage. Les événements de la chasse aux dealers et le retour sur le traitement médiatique constituent le premier tronçon du film.
Le second a été tourné six mois après le départ de Franck et Michel du quartier. Nous les avons suivis dans leur nouvel environnement.
De deux heures de prémontage, nous sommes finalement passés à 52 minutes.
Riquita : Le montage intègre deux types d’archives : des archives du S.L.E. (Service communication) qui dispose de cinq heures de rushes sur les événements marquants de l’histoire du quartier et en particulier sur les interventions des élus, et des archives de France 2, intéressée par le projet : essentiellement les images des événements récents évoqués dans la première partie.
Quels ont été les partis-pris du traitement ?
Riquita : À partir des témoignages, un discours s’est progressivement construit. Les politiques et la population en posent les bases, Michel et Franck le prolongent.
Le film adopte ainsi une construction pyramidale, en entonnoir, qui vise à changer progressivement le regard du spectateur.
Ce traitement est né de la situation du quartier. Le film démarre sur le registre journalistique et part donc du style auquel les gens sont habitués. Peu à peu, on s’enfonce dans la vie des habitants, puis le « casting » se resserre sur quelques personnages et on bascule dans le documentaire.
Bref, on part d’une dizaine de minutes de reportage, puis s’installe le documentaire.
Les musiques tiennent une grande place dans le montage définitif.
D.S. : Oui. Nous avons voulu les diversifier et rompre avec la pauvreté habituelle de la musiques dans le documentaire. Sans voir le générique, on ne sait plus d’où viennent toutes ces musiques qui se mélangent.
Il y a même une séquence de « fausse musique in ». Au départ, nous avions eu l’idée de faire cadeau à un des personnages rappeur d’un vidéo-clip. Il a introduit cette scène de telle manière que nous avons eu envie de la garder. Cela fait partie de sa culture. nous voulions montrer les passions de chacun, le sport, le romantisme pour l’un ; le foot, le rap pour l’autre.
Comment le film a-t-il été financé ?
Au départ, on pensait boucler un document rapidement « à chaud ». Un habitant avait filmé les faits. Nous, on n’était pas là à ce moment. On a ensuite eu à faire face à un tournage plus long que prévu, et c’est pendant ce tournage que nous avons monté les dossiers de demande de subvention. Les financeurs étaient sensibilisés au sujet. Tout le monde était impliqué politiquement. À ce jour, la thèse des gens au Ministère des Affaires Sociales reste « l’actualité récente a montré que les chasseurs de dealers étaient eux-mêmes des dealers ». Donc après un premier mouvement positif, les subventions demandées au Ministère de la Santé et des Affaires Sociales, ainsi qu’au Fonds d’Aide aux Initiatives des Habitants ont été soit refusées, soit retirées.
Nous avons donc travaillé avec des moyens plus réduits. Nous avons d’abord bénéficié de l’aide de l’OMJC (de Villeneuve d’Ascq) pour maquetter le film, et de celle du CRRAV pour la conformation.
Cela dit, ce film est le plus coûteux que nous ayons réalisé à ce jour et nous avons eu quand même un certain nombre de subventions. Nous avons bénéficié de la participation de la Communauté Urbaine de Lille, du Conseil Régional du Nord Pas de Calais, de l’OMIC de Villeneuve D’Ascq, du DRAC (Ministère de la Culture), du Ministère de l’Équipement, du Transport et du Tourisme, du Ministère de la Jeunesse et des Sports, et du CROUS de Lille.
Nous avons été soutenus par France 2 et la SLE (organisme de logement) pour les images d’archives, et par la ville de Lille et GSARA Bruxelles en infrastructure.
Comment s’est faite la diffusion ? Les télés étaient-elles intéressées ?
ARTE a refusé de diffuser le film car « en raison de son traitement, faisant du film un document local, il n’entre pas dans la politique éditoriale de la chaîne ». Ont-ils seulement regardé le film en entier, au-delà des dix minutes de reportage ?
France 2 n’a pas de créneaux actuellement pour la diffusion du film. Des contacts ont été établis ou sont prévus avec la Belgique, la Suisse et l’Angleterre.
L’avant-première a été organisée avec le soutien de la communauté urbaine de Lille (CUDL) dans le cadre des assises de la banlieue. Par la suite toute une série de projections-débats a été organisée dans les quartiers défavorisés de la Région. Cette expérience a permis au film de servir d’outil d’analyse sociale. Lors des projections-débats, les discussions ne tournent jamais autour du film en lui-même, les gens rebondissent sur les propos des protagonistes afin d’exprimer leur propre réalité.
Au niveau des jeunes, le film et les projections-débats ont permis aux jeunes de prendre la parole, voire de s’organiser. Au niveau individuel, Franck travaille dans la mécanique et Michel a suivi une formation vidéo. Le film, enfin, a suscité des rencontres avec les élus et les politiques.
Avec cette expérience, le film devient un outil d’analyse sociale.
Nous voulons continuer et faire émerger d’autres productions de ce type – voire monter une boîte de production pour ces projets.
Propos recueillis par Louisette Faréniaux
Notes financières sur les films de Riquita
(ou comment réaliser quatre films pour 400 000 FF).
10, impasse Saint-Louis
Frais Riquita | |
Repérage | 1 000,00 |
Cassettes | 2371,50 |
Conception Boîtier | 1700,00 |
Duplication copies | 904,59 |
Divers | 300,00 |
SOUS-TOTAL | 6726,09 |
Participation industrie CRRAV 1 | |
Unité de tournage | 4 012,60 |
Banc de montage | 9 930,00 |
Banc-titre | 3 340,00 |
SOUS-TOTAL | 17 282,60 |
COÛT DU FILM | 24 008,69 |
Le Maboul du quartier
Frais Riquita | |
Repérage | 410,79 |
Cassettes | 3 018,27 |
Mixeur | 1 000,00 |
Packaging conception | 1 700,00 |
Duplication copies | 627,59 |
Divers | 250,00 |
SOUS-TOTAL | 7 006,65 |
Participation industrie CRRAV 1 | |
Unité de tournage | 4 495,00 |
Banc maquette | 4 000,00 |
Banc montage | 3 680,00 |
Banc-titre | 3 340,00 |
SOUS-TOTAL | 15 515,00 |
COÛT DU FILM | 22 521,65 |
Les Voleurs de Poules
Frais Riquita 2 | |
Repérages | 1 000,00 |
Cassettes de tournage | 2 380,00 |
Cassettes de montage | 2 223,00 |
Monteur | 4 000,00 |
Mixeur | 1 000,00 |
Conception packaging | 1 700,00 |
Duplication copies | 627,59 |
SOUS-TOTAL | 12 930,59 |
Participation Industrie CRRAV 1 | |
Unité de tournage | 9 926,00 |
Banc maquette | 10 000,00 |
Banc de montage | 7 360,00 |
SOUS-TOTAL | 27 280,00 |
COÛT DU FILM | 40 216,59 |
Une Vie de Chacal est le premier film où le plan de financement, encore modeste, permet de payer le travail des participants. Ci-après le « coût film » suivi par le solde des financeurs. Le budget était, au départ, calculé selon les normes de la télévision pour atteindre un total TTC de 791 383,00 FF. Il est clair que si les réalisateurs avaient attendu que ce budget soit financé même pour moitié avant de tourner, le film n’aurait jamais vu le jour.
Une vie de chacal
Gestion production | |
Scénario | 30 000,00 |
Repérages | 4148,12 |
Documentation/Poste | 2 912,60 |
Téléphone | 3 120,69 |
Production | |
Unité de tournage | 6969,00 |
Cassettes de tournage | 2154,64 |
Duplication | 474,40 |
Techniciens | 60 000,00 |
Restauration | 1 903,65 |
Post-production | |
Cassettes de dérushage | 513,00 |
Techniciens | 20 000,00 |
Banc de montage | 15 000,00 |
Monteur | 6 000,00 |
Techniciens | 10 000,00 |
Cassettes de montage | 1 482,75 |
Restauration | 812,90 |
Technicien mixage | 4 000,00 |
Avant-première et diffusion | |
Restauration | 2494,49 |
Location véhicule | 250,00 |
Traduction-soustitrage | 3 000,00 |
Packaging Conception | 5 000,00 |
Flashage | 1 885,74 |
Duplication copies | 1 518,55 |
COÛT DU FILM | 183 640,53 |
Subventions | |
Crous | 10 000,00 |
Communauté Urbaine de Lille | 50 000,00 |
Direction départementale de la Jeunesse et des Sports | 20 000,00 |
Conseil Régional | 60 000,00 |
Ministère de l’Équipement | 30 000,00 |
Drac | 35 000,00 |
TOTAL | 205 000,00 |
- CRRAV : Centre Régional de Ressources Audiovisuelles, le service d’appui et de co-production en industrie alimenté par le Conseil Régional du Nord.
- L’association Riquita a été aidée par une subvention de 30 000 F de la part de la D.R.A.C. pour ce film.
-
10 Impasse Saint-Louis
1990 | France | 26’ | Vidéo
Réalisation : Riquita -
Le Maboul du Quartier
1991 | 26’ | Vidéo
Réalisation : L. Bourdon, D. Deparis, D. Zaoui
Production : Riquita productions, CRRAV -
Les Voleurs de poules
1992 | France | 35’ | Vidéo
Réalisation : Riquita -
Une vie de chacal
1996 | France | 52’
Réalisation : Djamel Sellani, Riquita
Publiée dans La Revue Documentaires n°12 – Entre texte et image (page 86, 3e trimestre 1996)