Janine Euvrard
Introduction à l’ouverture du festival
Gérard Vaugeois : Il me faut accueillir et souhaiter la bienvenue, à ceux qui connaissent ou qui font connaissance avec Les trois Luxembourg, le premier complexe art et essai construit à Paris.
Il y a presque 10 mois lorsque Janine Euvrard m’a proposé d’organiser cette manifestation, j’ai accepté avec enthousiasme. J’imaginais qu’on allait rencontrer un certain nombre de difficultés mais je n’imaginais pas que cela allait se tenir dans un moment de guerre ouverte. Au fil du temps, on a vu qu’on s’était fait traiter, un peu plus souvent qu’à l’accoutumée, de fous. En tout cas, vous êtes là, nous sommes là, les films sont là.
Je laisse la parole à Janine Euvrard car c’est elle qui a fabriqué et conçu cet événement.
Janine Euvrard : Merci à l’équipe, surtout à Gérard et Anne Vaugeois. Un immense merci du fond du cœur. Sans eux, nous ne serions pas ici ce soir.
Il y a des moments dans la vie où l’on a honte. Honte d’appartenir à une humanité où tant de droits fondamentaux sont bafoués. Mais la honte est stérile. Elle ne produit rien. Avec la honte, on a envie de pleurer de tristesse.
Et puis il faut réagir. Et c’est un peu comme cela que s’est décidée cette semaine. Notre tristesse, notre honte s’est transformée en rage, une rage positive, active qui nous a donné la volonté, l’énergie de mettre sur pied envers et contre tout, cette manifestation.
Je veux aussi et surtout remercier les cinéastes qui, tous, ont sans hésitation donné leurs films et qui ont constamment, par courrier ou par téléphone, soutenu ce projet. Certains sont avec nous ce soir. Des Israéliens, malgré l’inquiétude, la peur de laisser leurs familles dans cette période de guerre, sont venus. Ils sont et seront parmi nous. Merci.
Merci à ceux, Israéliens et Palestiniens qui pour l’instant vivent à Paris, et qui durant notre travail ont toujours et constamment été à nos côtés. La honte et la rage viennent aussi du fait qu’aucun des cinéastes des territoires occupés ne sera parmi nous. Aucun des billets d’avion qui avaient été mis à leur disposition n’a pu être utilisé. L’un d’eux, Sobhai Al-Zubaidi s’est battu durant des mois, et nous nous sommes battus avec lui, pour obtenir un visa.
Jusqu’à la dernière minute, jusqu’à hier soir à une heure du matin, il a espéré être avec nous. Les Israéliens lui ont refusé son visa et les conditions drastiques du passage par Amman expliquent son absence. C’est le cas d’autres cinéastes invités.
La fatigue et la lassitude de ce bouclage inhumain épuise jour après jour le désir, la force dont ont besoin nos amis palestiniens pour simplement survivre et résister. Ce bouclage des territoires les enferme, les séquestre, au point où ils ne peuvent, et parfois n’ont même plus la force de se battre pour essayer de sortir. Mais ils sont là et seront ô combien présents parmi nous à travers leurs films.
Cette semaine leur appartient. Cette semaine vous appartient, à vous qui êtes et serez parmi nous… Notre seul souhait est que les images, les paroles que le public sera amené à voir et entendre pendant cette semaine ne seront pas trop vite oubliées. Nous espérons que chacun partira avec la conviction qu’il faut que les guerres cessent, que les Palestiniens vivent en paix dans un pays qui est le leur, que les humiliations s’arrêtent, que les Israéliens vivent eux aussi dans la paix à leurs côtés. Les films des deux côtés expriment ce désir, cette volonté
Il faut le savoir, il faut le dire. Il y a en Israël des Israéliens qui ont le courage de se battre, le courage de dire: « Non à l’occupation, non à l’apartheid ». Ils ne sont pas encore assez nombreux, il faut qu’ils grandissent en nombre et en force. Et un jour on pourra alors parler de dialogue et de réconciliation…
Que les paroles, les images qui accompagneront cette semaine restent en vous le plus longtemps possible. Ainsi, nous pourrons continuer à nous rencontrer, à faire bloc plus nombreux encore, pour nous battre avec ceux et celles qui désirent si ardemment la paix, la dignité et les vies normales.
Merci à vous.
Propos d’introduction du festival le 26 mars 2003
Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 61, Juin 2005)