R, comme réminiscences

À propos du film de Dominique Dubosc

Martine Caselli

Encadrement d’une fenêtre sur mer, bruit des vagues… Une voix d’homme monocorde, sur écran noir et flashs d’images, égrène des couleurs associées à des objets vus . Bleu… Vert… Noir… Blanc… Rouge… Puis, elle annonce le propos du film et ses circonstances objectives.

Ensuite les mots deviendront des bruits s’entremêlant à d’autres tour à tour mélodieux ou assassins; les voix révéleront l’urgence, la vie, la mort à Ramallah, Gaza, Jérusalem.

Et toujours, les écrans noirs ponctueront, structureront, aggraveront…

Le crayon crisse sur la feuille à dessin. Sous nos yeux, la page blanche se remplit d’images. Nous les comprenons. Le dessinateur se souvient. Nous entendons les sons qui baignent ses souvenirs. Nous voyons les images filmées auxquelles il nous convoque. Après lui, après eux, nous éprouvons les émotions du voyage, écrasés par la douleur d’un bombardement qui répand la mort sur des hommes-insectes, submergés par la beauté d’un lever du jour, assourdis par les cloches des églises de Jérusalem, captés par les mains des étudiants-dessinateurs, ballottés sur des routes peu sûres, saisis par l’apparition titubante, spectrale, d’un homme environné de ruines qui surgit de nulle part, nous sommes réveillés à minuit par le ballet nocturne d’un tank et d’un bulldozer qui détruisent. Au matin, nous contemplons au milieu des éboulis l’épave plantée d’une voiture qui se découpe sur le ciel, le tragique est devenu œuvre d’art… Sur la feuille de dessin, un rhinocéros dégage de sa corne acérée les humains gênants, c’est la rhinocérite qui ravage tout.

Cependant, là-bas, plus tard, au milieu des décombres, blottis derrière les barbelés, deux blocs de pierre, que le hasard de la destruction a réunis, échangeront un baiser.

Fruit de la complicité de deux amis dans l’exercice de leur art réciproque, Réminiscences d’un voyage en Palestine travaille, sonde nos sensibilités et c’est ainsi que l’immersion dans le quotidien de l’oppression s’y fait naturellement, profondément. Le choix du non-commentaire (peu de mots prononcés mais beaucoup suggérés) favorise cette descente émotionnelle, soutenue par le flot continu d’un fond sonore riche, multiple, étudié pour signifier au-delà, en deçà, ailleurs, en résonance. La distanciation introduite par le travail sur la mémoire plutôt que sur les événements objectifs du voyage déloge les éventuels jugements ou opinions intellectuels. Alors, l’issue, pour le spectateur renseigné sur l’existence de l’outrance de cette oppression transformée en folie ordinaire et sur la réalité des polémiques, c’est la reconnaissance dans ce film d’une vraie, et peut-être unique, contribution poético-politique à la paix.


  • Réminiscences d’un voyage en Palestine
    2004 | France | 38’ | Vidéo
    Réalisation : Dominique Dubosc
    Production : Kinofilm

Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 59, Juin 2005)