Michelle Gales
Ce numéro est livré à l’imprimeur au moment même d’une grande lame du fond : les salariés intermittents du spectacle et autres précaires s’insurgent contre le protocole du 26 juin modifiant les annexes 8 et 10 du régime du chômage. Cette dislocation du système par les organisations patronales est en contradiction avec leurs objectifs annoncés et aura des conséquences dévastatrices sur les capacités de production et de diffusion dans les domaines du cinéma, de l’audiovisuel, de la radio, de l’édition phonographique et du spectacle vivant.
Ces mesures s’inscrivent dans u ensemble d’attaques contre le système de protection sociale conduisant à la précarisation aggravée des salariés dans tous secteurs publics et privés. Le programme « en clair », soutenu par le gouvernement actuel, poursuit le démantèlement des services publics, l’abandon de la culture comme de l’agriculture et de toutes les ressources humaines, naturelles, industrielles, sociales et culturelles, aux intérêts des grands groupes mondiaux. Ce phénomène s’intègre dans la logique de l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services, l’AMI revu et remis sur le tapis). Au même titre que les conditions de vie et de survie au plan local et global, les capacités d’expression démocratique et artistique sont des enjeux majeurs.
Nous, créateurs et partisans du documentaire social, qui portons notre attention et notre soutien aux mouvements sociaux dans notre pays et à travers le monde, pouvons-nous rester indifférents à ce mouvement ? Pouvons-nous ne pas nous joindre aux artistes, techniciens, ouvriers et administrateurs, ainsi qu’aux travailleurs des autres secteurs, du privé et du public, grévistes de McDo comme enseignants, chercheurs et archéologues, qui ont vu la menace que font peser ces mesures et se sont mobilisés à côté des intermittents et d’autres précaires en lutte, en région comme dans la capitale ?
Quelques-uns de nos collègues ont déjà pris position et assumé leurs responsabilités dans la production et la diffusion du documentaire : arrêt de productions en cours, retrait de films des festivals et des programmes, transformation de projections en débats publiques, et expression, sous toutes les formes, du soutien à ce mouvement.
Nous les saluons, et demandons à nos lecteurs de continuer à s’informer et à s’engager dans leurs activités professionnelles et associatives, pour que ce mouvement puisse aboutir au retrait de ce protocole cynique et destructeur, et à une réelle réforme équitable et cohérente, concertée et adéquate du système de financement de la culture. Qu’une autre « charge sociale » se mobilise de notre côté, au plan local et mondial, contre cette tyrannie des « lois du marché », pour la liberté d’expressions multiples et pour une société de créativité et de partage, de justice et de paix.
Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 102, 3e trimestre 2003)
