Non à l’interdiction d’Histoires d’A !

Tract d’appel du Comité pour la suppression de la censure

Alors que la commission de censure a donné par trois fois un avis favorable à la projection du film de Charles Belmont et Marielle Issartel Histoires d’A (avec interdiction aux mineurs de moins de 18 ans), le gouvernement, en la personne de Druon, a décidé de passer outre et d’interdire le film.

Nous savons aujourd’hui que derrière cette décision se cachent deux hommes trop connus pour leurs attitudes profondément réactionnaires : Foyer, l’ex-ministre de la Santé (nous lui devons à propos de l’avortement la sinistre formule : « Le vice des riches ne doit pas devenir le vice des pauvres ») et Lortat-Jacob, président du conseil de l’ordre des médecins. Tous deux ont fait personnellement pression afin d’empêcher la diffusion du film.

Cette interdiction rappelle une fois de plus l’exceptionnel état de servitude dans lequel est maintenu le cinéma. Alors que depuis longtemps livres, journaux, publications les plus diverses ne cessent de prendre position sur l’avortement, publient des témoignages et font le récit détaillé d’avortements clandestins, alors que 343 femmes déclarent publiquement s’être fait avorter, que 330 médecins déclarent ouvertement avoir pratiqué des avortements, que des centres d’orthogénie fonctionnent en France, un simple film d’information sur le problème de l’avortement, réalisé à partir d’interviews et de reportages, se voit interdit, ses copies saisies, ses spectateurs matraqués avec une rare férocité (Le flic qui a matraqué la jeune lycéenne grenobloise l’a fait avec une pelle !).

Pourquoi une même information, admise ou tolérée dans un livre ou une publication écrite, se voit-elle interdite et sauvagement réprimée dès qu’elle se présente sous la forme d’un film ?

Pourquoi le gouvernement et plus spécialement le ministère des finances refusent-ils obstinément de reconnaître le film comme un objet culturel au même titre que le livre, malgré les admonestations de l’UNESCO depuis des années ?

Pourquoi le gouvernement et le conseil de l’ordre acceptent-ils que le cinéma parle de l’avortement sous la forme d’un film pornographique comme Avortement clandestin (sorti sur les Champs-Élysées au printemps 1973) et répriment-ils avec violence un film d’information sur le même sujet ?

On connaît la réponse gouvernementale : Histoires d’A offre le spectacle d’un avortement réel et tombe de ce fait sous le coup de la loi de 1920. Alors pourquoi ne pourchasse-t-il pas le couple et les médecins qui l’ont pratiqué ? Parce qu’en toute justice ce seraient des centaines de médecins, des centaines de milliers d’hommes et de femmes qu’il faudrait à leur tour juger et condamner, à commencer par les femmes et les filles de la bourgeoisie.

En réalité, Histoires d’A ne nous montre pas un avortement au sens physiologique du terme. Ce que Ch. Belmont et M. Issartel ont voulu filmer, c’est l’exemple typique d’un acte médical réputé dangereux et traumatisant, devenu bénin et sans danger dès qu’une véritable coopération s’instaure entre le médecin et son patient. C’est une pratique médicale dans laquelle le travail du médecin cesse d’être un mystère, et où le patient sait, à tout moment, ce qu’on lui fait, pourquoi et comment on le lui fait. Voilà le véritable corps du délit ! Voilà le film qu’il fallait interdire !

Pour nous, directeurs et animateurs de salles et de lieux de projection, le problème est de savoir si nous allons tolérer que des policiers pénètrent dans nos murs et frappent des spectateurs jusqu’à ce qu’ils tombent dans le coma !

Plus essentiellement, le problème est de savoir si nous allons tolérer plus longtemps qu’une infime minorité de personnes décident à notre place de ce qu’il est bon que nous fassions ou ne fassions pas ! Allons-nous tolérer que le gouvernement manipulé par des groupes de pression nous empêche d’accomplir le travail d’information qui constitue pourtant l’une de nos tâches et qu’il lui appartient plutôt de favoriser en dotant le cinéma d’une véritable politique culturelle !

Pouvons-nous accepter que le cinéma soit maintenu dans un état d’infériorité culturelle et de servitude politique, et conserve le privilège de la dépendance et de la répression ? À moins de disparaître à court ou moyen terme, le cinéma ne saurait demeurer à l’écart de la réalité sociale : il doit avoir le droit et la possibilité d’en fournir au spectateur, alors seul juge, le reflet le plus complet et le plus fidèle possible.

Face à cette situation les faits ont suffisamment montré qu’il était inutile d’attendre des autorités la moindre réforme susceptible de sortir le cinéma français de son impasse. Malgré cela et jusqu’à ce jour, l’ensemble de la profession s’est montrée extraordinairement passive et silencieuse, bien que le parc de salles dont elle a la gestion constituât un extraordinaire moyen d’information et de mobilisation du public. Il est temps de porter tous ces faits à la connaissance du grand public et d’organiser une campagne nationale sur des buts à court terme (levée de la mesure de censure sur le film Histoires d’A, réduction de la TVA au taux du livre, au moins pour les films d’art), et à moyen terme (mise en place d’une véritable politique culturelle du cinéma).

L’autorisation du film Histoires d’A dont l’interdiction de fait est impossible dans le contexte actuel et rencontre l’opposition active de larges couches de la population – deviendra le symbole d’une lutte victorieuse contre l’institution de la censure et préparera son anéantissement de fait sinon de droit.

Dès aujourd’hui, nous demandons aux directeurs et animateurs de salles et de lieux de projections de prendre publiquement position sur l’une ou plusieurs des propositions suivantes :

  • Demander en son nom personnel et au nom de sa salle la levée de la mesure de censure sur le film Histoires d’A ;
  • Mettre tout en œuvre à l’échelon local ou régional afin d’assurer la diffusion de ce film auprès des plus larges masses ;
  • Porter la lutte contre la censure à la connaissance du grand public (l’affichage de ce tract peut constituer un premier pas dans ce sens ?).

Plus que jamais nous devons sortir de notre isolement : afin de discuter et de mettre au point les formes d’actions concrètes, il est indispensable que nous nous réunissions les plus nombreux possible.

Joignez-vous à la lutte !

Contactez le Mouvement pour la suppression de la censure !

Exigeons la levée de la mesure de censure contre le film Histoires d’A !

Exigeons la suppression pure et simple de la censure !

Non à la politique de répression des films porte-parole des mouvements sociaux.

Pour la défense de la liberté d’expression et son corollaire, la mise en place d’une véritable politique culturelle du cinéma.

Pour prendre contact, écrire à :
LE ZINZIN D’HOLLYWOOD
Librairie du cinéma
7, rue des ursulines
75005 Paris
(avec la mention MSC)


  • Tract paru dans plusieurs publications, juillet-août 1974.

  • Histoires d’A
    1973 | France | 1h25
    Réalisation : Charles Belmont, Marielle Issartel

Publiée dans La Revue Documentaires n°22-23 – Mai 68. Tactiques politiques et esthétiques du documentaire (page 200, 1er trimestre 2010)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.022.0200, accès libre)