Pardevant notaire

Gaëlle Hermant

De façon étrange pour un huis-clos, le film s’ouvre sur une vue aérienne. Nous survolons une paisible région de Haute-Auvergne, pour atterrir dans le Cantal, en pleine campagne. Nous traversons alors le village presque désert d’Église-Neuve avant de pénétrer dans l’office notarial local.

Les réalisateurs nous proposent un voyage dans la France profonde, pour observer en spectateur muet — et c’est là toute la force du film — des gens dont on entend rarement la parole, des agriculteurs et propriétaires terriens sans revendication, dans une situation qui nous est encore moins accessible, puisque confidentielle et protégée par le secret professionnel.

Le contraste entre le calme de la rue et l’activité frénétique du bureau est saisissant : le téléphone sonne de façon quasi incessante, la quantité d’archives et de documents surprend et deux secrétaires travaillent au service du notaire, un homme rigoureux, pressé et pressant.

Autre paradoxe, le comique qui ressort de situations pourtant très sérieuses. Car bien qu’il y soit question de ventes et de successions, Pardevant Notaire est un film drôle, présenté en plusieurs actes, comme une pièce de théâtre dont le personnage principal serait le notaire.

Maître, Claude Faucher-Garros l’est, assurément.

Il évoque même à plusieurs reprises un instituteur, tant dans le geste que dans le verbe. Il dicte, rappelle à l’ordre, coupe la parole, tranche et impose, le tout avec maestria.

Maître aussi, de par sa position de notable. Il apparaît comme un homme de pouvoir et certainement l’une des figures les plus importantes du village après le maire. Et ses clients de reconnaître : « Il faut faire comme Maître a dit ».

Maître, enfin et surtout, dans l’art de suggérer, de ménager des effets de suspens. On le sait manipulateur, et pourtant cela ne l’empêche pas d’inspirer confiance. Il est à la limite du théâtral sans jamais trop en faire. Ainsi, la séquence d’une vente où il s’efforce de concilier l’inconciliable. Ou encore, la scène de l’inventaire des biens d’un défunt, où, vêtu à la Sherlock Holmes, nous faisons en même temps que lui des découvertes étonnantes.

À plusieurs reprises, le film est tourné et monté comme une fiction, autour de l’argent et de la mort. Les femmes, loin d’y tenir le premier rôle, occupent une place traditionnelle : filles ou épouses, elles accompagnent leurs maris, jouent les interprètes, influencent certainement, mais ne décident pas.

Les cinéastes semblent avoir complètement réussi à se faire oublier des protagonistes, ce qui est surprenant étant donné l’exiguïté du lieu et les contraintes de tourner en 35 mm.

De fait, chacun discute, se comporte et se révèle comme si nous n’étions pas là, avec ses tics, mimiques et réflexions. Les motivations profondes apparaissent, car s’il est toujours question d’argent, personne ne semble paradoxalement en avoir réellement besoin. La question des honoraires du notaire est pudiquement laissée de côté. On vend parce qu’on vieillit et, comme on n’est pas pressé, cela peut prendre des années. L’argent devient un moyen de participer à un jeu dans lequel on essaie d’en « arracher un peu plus » à l’autre, de s’affirmer comme supérieur à son voisin, ou simplement de garder la face. On peut ici s’interroger sur le rôle de la caméra, se demander combien elle pèse dans les négociations. Et se tromper. Ainsi, lorsque Monsieur Chanet cède un peu plus d’argent à Monsieur Gauthier, il semble influencé par la caméra, impression que pourrait confirmer le regard qu’il lance brièvement à l’objectif. Il n’en est rien. Le réalisateur M.A. Roudil a raconté, lors d’une rencontre, que Maître Faucher-Garros et Monsieur Chanet ont au contraire établi une stratégie, hors-champ, pour convaincre Monsieur Gauthier.

Pardevant Notaire n’a donc pas pour but de nous faire connaître un métier, mais nous convoque plutôt au spectacle, réjouissant, de la comédie humaine. Et s’il n’y a pas beaucoup d’amour, il y a en revanche beaucoup d’humour.


  • Prix du Patrimoine au Festival du Cinéma du Réel 2000

  • Pardevant notaire
    1999 | Belgique, France | 1h11
    Réalisation : Sophie Bruneau, Marc-Antoine Roudil

Publiée dans La Revue Documentaires n°16 – Mémoire interdite (page 127, 4e trimestre 2000)