Réponses de Henri Herré

1- UNE DÉMARCHE ET/OU UNE DÉCISION

  • a- Toujours ? Non, j’ai commencé par des fictions avec équipes complètes, sans imaginer faire de documentaires un jour.
  • b- Non.
  • c- En 1990, j’ai eu une bourse de la Villa Médicis hors-les-murs pour faire un film dans la Réserve indienne des Cherokees de Caroline du Nord, avec la famille Cherokee qui m’avait accueilli à mon 1er voyage aux États-Unis quand j’avais 16 ans. Je désirais savoir ce que ça voulait dire d’être immergé dans la réalité d’une Réserve. Triste expérience…

2- TOURNAGE

  1. La toute première fois
    • a- Dans cette Réserve Cherokee, isolée de tout.
    • b- Caméscope SVHS et micro directionnel.
    • c- Expérience très difficile, la vie dans une Réserve était épouvantable, et je me sentais très vulnérable techniquement. Mais la nécessité de témoigner, d’enregistrer, était plus forte.
    • d- J’ai fait un montage d’une heure, avec le soutien d’AGAT films. Le film a été refusé par ARTE, trop austère, et surtout trop loin du fantasme qu’on se fait des Indiens d’Amérique. “On n’y croit pas” a été le commentaire de Thierry Garrel. Des amis l’ont vu et aimé – notamment Georges Didi-Huberman, Ross Mc Elwee, Rob Moss – mais pas de diffusion.
  2. Différences et spécificités
    • a- Solitude, autonomie, doute, responsabilité.
    • b- « Outil de résistance » oui, absolument. Résistance à tout consensus, on ne demande la permission à personne.
    • c- Outil d’introspection, etc. ? Oui, également.
  3. La caméra tourne
  1. Ce qui déclenche le geste de tourner :
    • a- Dans une improvisation sans préparation, il sort le pire de soi : automatisme, naïveté, démagogie.
    • b- En fiction, avec une équipe, j’ai l’impression d’être dans une chasse à cours, avec tout un dispositif pour traquer la proie. En documentaire, seul, c’est comme à la pêche. Il faut se poster discrètement dans un endroit, fort de son expérience et de son instinct. Et sans presque bouger, en attendant longtemps, quelquefois on arrive à attraper ce qu’il faut – sans savoir à l’avance que ce serait ça.
    • c- Non, sans idée de montage. Mais on sent bien, par exemple, la naissance d’un plan-séquence ou d’un personnage qui structureront le montage.
    • d- Toujours des prototypes il me semble, mais certains y verront peut-être un fil.
  2. Quelle relation avec l’autre (filmeur/filmé) ?
    • a- Intimité surtout, complicité secrète, c’est à dire que ni l’un ni l’autre ne sait très bien ce qui se passe, mais on a envie que ça se passe.
    • b- Droit à l’image : Je ne force jamais personne, si ce n’est que je dis que ce n’est pas une hagiographie. Les accidents, les défauts, les failles (du filmeur et du filmé) font la véracité du film.
    • c- Partenariat ? Par-dessus tout la confiance, et le lâcher-prise, une aventure partagée.
    • d- Retournement : Non, sauf Nina Davenport qui m’a piégé une fois de façon très pertinente.

3- L’IMAGE

  • a- Automatique : oui.
  • b- Réglages : Rarement, il faut que j’oublie la technique pour filmer.
  • c- Un pied très rarement, jamais d’éclairage.
  • d- Une esthétique ? Bien sûr.

4- LE SON

  • a-b-c- Micro directionnel fixé sur la caméra. Très rarement un petit appareil audio que je dissimule dans le décor pour renforcer le son, quand je sais que je filmerai de loin. Le plus souvent mono. C’est un problème constant, un inconfort, une angoisse, mais je n’ai pas trouvé meilleure technique. Et un preneur de son changerait complètement la donne.

5- LA PRODUCTION

  • a- Dialogue avec un producteur, heureusement.
  • b- Décisions seul ou partagées ? Difficile à dire, on est si peu dans la théorie pour ce genre de film, toutes les analyses sont a postériori et ponctuelles.

6- LES RATAGES ET LES EXTASES

  • a- Extase ? Oui, c’est un sentiment très particulier, que seul offre ce genre de films.
  • b- Rater quelque chose ? Choisir entre vie et film ? La question est mal posée, je la scinde. On a toujours l’impression de manquer des choses, et souvent le plus important, mais ce serait comme de dire que ce qui est hors-cadre manque au cadre. Donc c’est une question bien naïve. Quant au dilemme film vs vie, c’est une tarte à la crème.
  • c- C’est être hors du cinéma commercial, mais le souci du spectateur et le désir d’être vu est aussi grand que si on faisait du cinéma commercial. Rien à voir avec un romantisme de la marginalité.

7- MONTAGE ET ÉCRITURE

  • a- Seul ? Non, sauf contrainte budgétaire extrême.
  • b- Retravailler le direct ? Le moins possible.

8- FIN DE LA SOLITUDE

La solitude est finalement rare puisque la relation humaine est constante, nécessaire. Les grands moments de solitudes sont quand je regarde les rushes le soir, que je sais ce que j’ai raté. Et quand je cherche pendant des jours comment me placer pour bien filmer telle ou telle situation.

9- DIFFUSION

  • a- Le problème est que le “cinéma vérité” est rejeté par les télés e t même les festivals. À partir de là, il faut trouver des solutions qui parfois sont très enrichissantes. Mais il ne faut compter que sur soi pour garder son éthique envers et contre tous.
  • b- Si possible avec les autres, ceux qui étaient filmés.

10- CONSÉQUENCES

  • a- Intimes : Bien sûr, puisque c’est un travail sans consensus social ou économique.
  • b- Dans le cinéma, médiatiques : Les conséquences sont infinies, impossible à préciser en quelques lignes.
  • c- Sur votre cinéma ? Le fait de tourner seul est un genre de cinéma en soi. Esthétiquement, éthiquement, politiquement, financièrement. Ainsi, j’ai pratiqué plusieurs cinémas dans ma vie. Et aujourd’hui j’aurais du mal à retourner à un cinéma d’équipe, plus lourd.
  • d- Pertes et acquis ? Il y aurait tant à dire, qui est distillé dans toutes les réponses ci-dessus. Le “cinéma vérité” est une heuristique : questions, doutes, tremblés, parcellaire, qui grandit avec les surprises et les accidents. Tous les autres genres sont axiomatiques et fuient l’accident.

Publiée dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e (page 222, 2e trimestre 2016)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.026.0115, accès libre)