Tales from a Hard City, Étude de cas

Michael Hoare

Tales from a Hard City est un de ces films insouciants et pionniers qui frayent une nouvelle voie dans le cinéma, soulevant dans le chambardement quantité de questions politiques et éthiques dont il semble à peine conscient, et dont il n’a, de toute façon, rien à faire. Son point de départ – l’éviscération économique d’une ville par la désindustrialisation de l’occident – n’est visible que par ses effets humains, un peu comme si on démarrait un film sur une guerre atomique dans les décombres. Il s’agit de percevoir les conséquences et la manière dont les gens réagissent après-coup, de jeter un regard sur la nouvelle topographie économique et morale créée. Pour ce faire, une méthode – celle que Kim Flitcroft décrit assez minutieusement dans le débat – et un point de départ cinématographique moderne. Il s’agit non pas de partir d’une volonté d’explication, il n’y a pas de message ou de morale à illustrer. Il s’agit de suivre des êtres humains au fil des événements, de raconter des histoires en devenir, d’en sélectionner les plus porteurs d’un strict point de vue de la productivité narrative qui s’en dégage. La sélection naturelle chère à nos chefs d’entreprise battants joue à plein. Ainsi des trois « histoires » présentées dans l’extrait du dossier de présentation qui faisait, photos et texte, quatre-vingt pages, une seule est visible dans le film. Le problème, pour Kim, est de divertir son public en espérant, en annexe, que quelques considérations d’importance politique sont ainsi communiquées. Le film réussit, certes, mais avec une ambiguïté et un double jeu qui donne à son visionnement un point de cynisme, un soupçon de calcul qui ajoute à son piquant, ou au rejet que l’on peut sentir.

Car quel est le message politique de ce film ? Sous-prolétaires du monde, unissez-vous ! Il ne vous reste que deux choses à vendre : vos corps et vos images. Ainsi Glenn, chômeur, petit voleur, obligé d’arpenter la ville sans s’arrêter de peur d’un contrôle d’identité, devient chanteur de karaoké, écrivain de rap. Ainsi Sarah, dont l’image est prise dans la presse populaire anglaise comme celle d’une provocatrice sexuelle chez ces méditerranéens lubriques que sont les grecs, et qui est tentée, un moment, de devenir vedette de boîtes de nuit torrides. Ainsi Paul dont le profil est décrit ci-après filmé en dialogue tordu avec un conseiller d’image. Et Wayne, l’exploiteur et le capitaliste de l’affaire, manager filmé en train de tripoter ce champ de corps et d’images vides qui semble être la seule matière première exploitable de la région. Là où le film se révèle lui aussi assez tordu, c’est dans sa manière de vendre cette vente, de faire du marketing avec ce marketing, de décrire, de regarder, de dénoncer même. Le regard des enfants fonctionne dans le film comme jugement de vérité – ou peut-être comme hypothèque que le réalisateur donne en gage de dénonciation, on n’est pas tout à fait sûr qu’il n’est pas en train de se couvrir de ce côté-là. Ce qui est sûr, c’est que le film veut plaire. Son énergie, la mobilité de son tournage, la vigueur de son style fusionnent avec la débrouillardise du nouveau capitalisme anglais qui est son sujet. Sa narration, qui tire volontairement vers la fiction, se lit comme un roman. Le tout est volontairement séduisant. Et c’est dans cette volonté de séduire, lisible dès les premiers mots du traitement, que réside le secret de l’énergie de ce film. Quant au bien et au mal, autant demander à Pulp Fiction de croire en les sornettes religieuses qui ponctuent son scénario. Avec sa déstructuration industrielle et ouvrière, la société anglaise a passé au-delà du bien et du mal, on le sent. Le film aussi d’une certaine manière. Et c’est bien là le problème.

Extraits du dossier de présentation du projet

Tales from a Hard City un film de Kim Flitcroft & Sandra Goldbacher *

Introduction – le projet

L’intention est de produire un film documentaire de long métrage (80 à 90 minutes)
Une version de 60 minutes sera produite si nécessaire.
Le film racontera des Histoires de la ville… De la Haute Finance et des Bas-Fonds, De Magouilleurs, de Boîtes de Nuit, d’Entrepreneurs, de Vendeurs de Métal Récupéré, de Trafiquants, de Débutants et de Bagarreurs… De Reines de la Scène vieillies, de Rues Malpropres, d’Évangélistes New-Age, de Putains, d’Indics… D’Affaires financières, de l’Esbroufe, de la Prédétermination, de Hashish, de Nuits entre les Meufs. En racontant des Histoires qui proviennent de la ville… nous voulons raconter une Histoire de la ville. Une histoire de survie, d’espoir, de rêves, d’argent, de magie.

Introduction – Sheffield- La Ville

Sheffield était jadis la ville industrielle la plus célèbre du monde. Son acier a construit la révolution industrielle. Mais tout changé et à la fin des années 80, les aciéries ont été fermées. On arrache le cœur de la ville. 80 000 ouvriers perdent leur emploi… La ville connut alors une époque désespérée. Tales of the City a comme sujet la bataille de Sheffield pour survivre. Sheffield a toujours été une ville isolée. 250 ans d’industrie lourde ont engendré une culture musclée et vigoureuse, développée indépendamment du reste du pays. Une culture de la force physique. Lorsque l’industrie de l’acier disparaît, la ville se lance dans une stratégie de revitalisation économique par le développement du tertiaire. Les Loisirs, le Sport, le Shopping, les Médias, les Services sont aujourd’hui la seule chance de survie de la ville. La culture du muscle peut-elle devenir une culture des services ?

La Vallée du Bas Don

Située à l’est de Sheffield, s’étendant à perte de vue, la Vallée du Bas Don était le cœur de l’activité économique de la ville. C’est aujourd’hui un immense terrain vague laissé à l’abandon. Le destin de la Vallée se trouve entre les mains de trois organismes : Le Sheffield Development Office, qui bénéficie de l’appui du Conseil Local, et Sheffield Partnerships, un organisme semi-public. Ils ont les mêmes objectifs : développer une nouvelle infrastructure ; attirer de nouvelles entreprises dans la ville.

Vendre Sheffield

Les trois organismes mettent en œuvre une stratégie de revitalisation économique s’appuyant sur les industries des loisirs, du shopping, des sports, du tourisme et des services. La « vente » de Sheffield s’avère un combat rude et les trois organismes s’accordent à reconnaître un problème central : la mauvaise réputation de la ville.
SDC – « Notre tâche principale est de changer l’image de la ville. Celle-ci est perçue comme primitive, sale, violente et administrée par des incapables. L’image de la ville n’avait pas d’importance à l’époque de la prospérité, quand les aciéries étaient ouvertes; Mais aujourd’hui, elle représente un véritable défi. »
SDO – « L’image de Sheffield est abominable et il faut absolument la changer. Personne ne veut venir ici. »
Le SDC, le SDO, le monde de la Finance, constituent le contexte de notre histoire. Mais le cour de notre film, ce sont les gens de Sheffield, les histoires de la classe ouvrière de Sheffield, de gens qui se débrouillent pour survivre à cette extraordinaire période de transition historique.

Rencontre avec Paul Wallace, le débrouillard.

Paul Wallace est un boxeur professionnel.Son palmarès… trois combats… trois défaites. Bref, c’est de la merde. Mais Paul a un talent – sa gueule.

Jusqu’à aujourd’hui, il s’est débrouillé pour se faire prendre en charge par : un sponsor pour sa viande, un sponsor pour ses équipements de sport, un sponsor pour ses costumes, un sponsor pour ses vitamines, d’autres pour ses nettoyages à sec, pour ses fruits et légumes, pour son poisson.

« Il faut se mettre au goût du jour, tu vois, et c’est ce que je fais. Aujourd’hui, un boxeur peut gagner plus d’argent en dehors du ring que dedans. C’est l’image et ce qu’on représente pour les gens. Les athlètes de nos jours doivent etre des artistes, des célébrités. Nous sommes dans le secteur de la communication et c’est ce que j’essaie de mettre en pratique à Sheffield. »

« Le problème c’est que, dans cette ville, les entreprises ne sont pas tellement prêtes à accepter le concept de parrainage. Il a vraiment fallu que je me bagarre tous les jours pour les pousser en avant. En Amérique par exemple, ils comprennent les avantages commerciaux d’une association avec les meilleurs athlètes, mais à Sheffield, ça prend du temps. » Nous aimerions voir Paul dans le feu de l’action, en train de mener à bien une de ses affaires. Nous aimerions rencontrer ses sponsors, comme Richard le Boucher…

« C’est vrai que je n’ai jamais vu Paul se battre, mais être associé avec lui ne peut qu’amener du bon, non ? Vous savez, la viande a vraiment pris un coup récemment avec toutes ces histoires de produits de régime et de maladie de la vâche folle. Alors quand on a des liens avec un type costaud et en forme comme Paul, c’est bon pour l’image de la viande, n’est-ce pas ? »

Paul n’arrête jamais de se battre. Il se lance maintenant dans le cinéma comme mannequin (il ne mesure que 1, 60 m !) dans un film qui s’intitule Il faut bien se débrouiller.

Mais le rêve de Paul, c’est de se faire sponsoriser une voiture. Là, nous pourrons peut-être l’aider, parce que nous espérons travailler avec l’unique point de vente Skoda de Sheffield. Nous y reviendrons plus tard, car avec lui rien n’est jamais évident. Paul ne sait pas conduire.

Rencontre avec Steve Baxendale, le plus dur des durs à Sheffield

Steve Baxendale a grandi dans le quartier Est de Sheffield – « Je viens d’une famille de 9 gosses avec un père extrêmement violent. »

À quinez ans, il descend dans la mine. À dix-huit ans, il laisse tomber et commence à travailler comme gardien des boîtes de nuit. Il « garde les portes » depuis vingt ans.

« Dans ma famille, on a tous travaillé en night-club. Nous savons que nous pouvons être extrêmement violents, nous sommes bien entraînés et nous savons nous battre. On est bagarreur de naissance, vous savez. C’est comme les chevaux de course, c’est génétique. On a ça dans le sang. On a une agressivité innée, on est naturellement fort. »

« Si vous “faites les portes” dans cette ville, il vous faut une réputation parce qu’à Sheffield, les gens aiment échanger un coup de poing avec les videurs. C’est un vrai sport ici. Mais quand les gens se montrent violents avec moi, ils savent que je ne leur fais pas de quartier, et qu’ils risquent de finir dans un sale état. Si les gens savent que ce sont là tes conditions, alors tu t’es fait une réputation. Et parce que ce sont mes conditions, et que je l’ai prouvé plus d’une fois, les gens savent que je suis le plus dur des durs de Sheffield. » Steve est aussi un chef d’entreprise prospère.

Il vient d’ouvrir un gymnase : l’Impact Fitness Gym.
« Nous offrons de la boxe, de la boxe thailandaise, du catch, et de l’aérobic pour les nanas. »
Il est aussi propriétaire de la boîte de nuit Heavy Metal : Rebels.
Sa toute dernière initiative a été le rachat d’un ancien cinéma désaffecté situé dans le quartier Est, l’Adelphi. « Je veux le rénover et y ouvrir une salle de boxe dans le style des années quarante avec une ambiance réelle. On montera des spectacles de boxe, de boxe thaïlandaise, de catch et de Heavy Metal, aussi de bras de fer et de pugilat. »

« Je connais bien la violence, la nuit, le Heavy Metal, et le bâtiment, donc c’est un développement naturel pour moi. Une verticalisation, si tu veux. Mais aussi je comprends la classe ouvrière de Sheffield. Je sais ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent payer. Je connais cette ville par cœur. »

L’histoire de Steve est celle d’un entrepreneur… typique de Sheffield. I revend à la ville la culture du muscle. Steve est plus que cela, c’est un habitué du bras de fer et un professionnel de la bagarre. Il y a des zones extrêmement troubles dans sa vie, mais il y a aussi chez lui quelque chose qui n’appartient qu’à Sheffield.

Rencontre avec Charlie Torrens

Charlie Torrens est une jeune femme de 22 ans, jolie et intelligente. Elle possède une entreprise prospère à Sheffield et la ville a fortement besoin de gens comme elle, avec sa verve, son dynamisme, son imagination.

« J’adore le monde des affaires. Pour moi, c’est une drogue. »

Charlie a commencé à travailler pour une agence d’hôtesses à l’âge de dix-sept ans. Peu de temps après, elle la dirigeait.

« Je travaille dans les loisirs, l’industrie qui monte dans les années 90 du moins à Sheffield, car personne n’a de boulot. Mais c’est moi la meilleure. J’offre un service de grande classe, de la qualité. J’essaie de redonner de l’éclat à la profession. Toutes les filles que nous engageons suivent une formation. Elles reçoivent toutes des cours de maintien et de présentation donnés par une agence de mannequins à Sheffield. Après, je leur apprends un certain nombre de choses, comprendre le client, trouver sa sensibilité, la gestion de leur temps, des trucs du métier. Le produit que nous offrons existe depuis très longtemps, mais il a besoin d’être revitalisé. C’est ce que je suis en train de faire. J’introduis des techniques modernes, le travail de formation, le suivi, la présentation, le marketing, les services pour le personnel – la qualité. »

Charlie a un réel talent de chef d’entreprise et de femme d’affaires, et elle a de grands projets.

« J’ai monté une nouvelle société qui s’appelle Total Impact, une société de marketing des loisirs. Son objectif est d’aider les entreprises au niveau de leur marketing, la présentation de la société, de l’hospitalité et du protocole. Par exemple, j’ai rencontré un ferrailleur d’ici qui recevait des hommes d’affaires néerlandais pour parler d’une affaire qui mettait en jeu de très grosses sommes. S’ils avaient été accueillis à la descente du train avec un protocole correct, emmenés dans un bon hôtel, invités à dîner et envoyés se coucher avec une ou deux bonnes filles et une caisse de champagne, cela aurait créé une bonne ambiance pour discuter affaires. Ce genre de service, cette qualité d’hospitalité d’entreprise, est apprécié par les hommes d’affaires du monde entier, mais il n’est pas encore arrivé à Sheffield. Maintenant, j’ai les contacts, l’expérience, et le savoir-faire pour diriger ce type d’affaire. »

Tales from a Hard City un film de Kim Flitcroft & Sandra Goldbacher *
Ce projet a été développé grâce à Documentary et E.A.V.E, MEDIA 95
Picture Palace, London ; JBA Production, Paris,  Contact: Jacques Bidou

Budget

 Dépenses françaisesDépenses anglaisesCoût total  
1. Droits artistiques   
Scénario et développement081 61081 610
Musique originale076 34776 347
Musique préexistante01 5801 580
Archives01 4721 472
Établissement sous-titres27 867027 867
Traductions4 26004 260
Duplication2 00002 000
2. Personnel & Charges   
Producteurs délégués80 000131 616211 616
Réalisateur0235 397235 397
Direction de production34 00045 72779 727
Administrateur comptable5 00027 42732 427
Assistant de production15 0009 85224 852
Secrétaire de production   
Conseiller technique   
Documentaliste   
Chefs opérateurs019 14719 147
Cameramen07 6657 665
Ingénieurs du son020 43520 435
Chefs monteurs13 81484 38798 201
Assistants monteurs83 60055 401139 001
Charges sociales France115 7070115707
(CS inclues dans salaires anglais)   
3. Moyens techniques   
Caméra vidéo054 71154 711
Machinerie0167167
Matériel son010 99710 997
Éclairage02 2602 260
4. Pellicules et Laboratoire   
Pellicule image film035 82135 821
Pellicule image vidéo, Bandes report020 22920 229
Beta,UMatic, VHS03 3533 353
Pellicule 6,2502 4402 440
Magnétique 16 mm son / Bandes mixage3 91603 916
Développement24 9009 24134141
Tirage046 84046 840
Piétage04 2134 213
Montage négatif010 77410 774
Report magnétique11 040011 040
Report optique21 783021 783
Transfert Beta-UMatic26 772026 772
Transferts H18-VHS9 87309 873
Transfert d’archives   
Kinescopage12 00051 59263 592
Salles de montage26 52152 63279 153
Télécinéma   
Sous-titrage19 120019 120
Synchronisation rushes   
Photos07 9257 925
Générique   
Mixage38 000038 000
Projections4 00004 000
Copies et PAD4 86004 860
5. Transport et Régie   
Frais de bureau et Tél.67619 50720 183
Transport6 590,940 35446 944,9
Hébergement/défraiements9 32665 20074 526
Régie12 70039 23051 930
6. Assurance et Divers   
Assurance012 41012 410
Frais financiers et juridiques3 03642 63945 675
Total616 361,91 330 6071 946 968,9
Frais généraux 7%43 145,330 
Totaux659 507,231 330 6071 990 114,23
Total général  1 990 114,23

Plan de financement

JBA ProductionProducteur170 000
La Sept/ArteCo-production200 000
La Sept ArtePré-achat300 000
COSIP/CNCAutomatique200 000
EurimagesSubvention125 000
Total 995 000
   
Participation française0,5 
dont participation JBA0,16 
Picture PalaceCo-producteur163 424
Channel 4 TVPré-achat457 270
Yorkshire TVPré-achat249 420
EurimagesSubvention125 000
Participation britannique0,5 
dont Picture Palace0,16 
   
Total Général 1 990 114

* Kim Flitcroft réalisa seul le film.



Publiée dans La Revue Documentaires n°11 – Héritages du direct (page 191, 1995)