Un élan de curiosité à l’égard du monde

Michelle Gales

Les aléas de la parution de notre publication ne doivent pas nous priver de rendre hommage à cette amie disparue depuis plus d’un an déjà, Simone Vannier. Il est vrai que nous nous sommes toujours donnés le droit d’être en décalage par rapport à l’actualité. Et tant il est vrai que les êtres chers restent avec nous, présents dans notre mémoire ; tant il est certain que Simone Vannier restera vivante dans les esprits à La Revue Documentaires.

Dès 1993, Simone s’est jointe à nos efforts, et dans une première contribution, “Retrouvailles” 1 à propos du tout nouveau projet de Documentaire sur grand écran, elle s’insurgeait :

Si le genre est en péril, ce n’est pas faute d’auteurs, mais en raison des conditions aberrantes de création. La télévision souveraine impose partout dans le monde un modèle draconien. En amont de tout repérage, il lui faut la preuve noir sur blanc de la validité d’un film. Avant même d’être confronté à la réalité, les auteurs s’épuisent et épuisent le sujet en fournissant copie sur copie…
Le retour au grand écran est une manière d’oxygéner la profession en la libérant des normes publicitaires, en suscitant une audience qui ne soit pas liée à la vie domestique, qui soit au contraire le fruit d’un élan de curiosité à l’égard du monde, le même élan qui a poussé l’auteur à tourner son film.

Un élan de curiosité à l’égard du monde : ces mots me semblent correspondre particulièrement à Simone. Nous nous souviendrons de sa curiosité et son exigence pour découvrir de vrais chercheurs aux regards neufs, aux écritures originales et son énergie infatigable, déployée pour les faire connaître.

Sa vie a été marquée par des élans : de la comédienne de théâtre vers le cinéma et la télévision, du travail de l’actrice vers celui de la mise en scène, de la fiction vers le documentaire. Cet élan, elle le mettait aussi bien au service d’un engagement à l’égard des autres, souvent du côté du plus faible, que d’un travail contre l’oubli.

L’enjeu du Documentaire sur grand écran était de faire contrepoids au pouvoir de la télévision, où le documentaire est soit relégué aux heures tardives, soit enrôlé au service d’une logique mercantile, et où les “sujets brûlants” sont accueillis à condition qu’ils ne dérangent ni les politiques ni les publicitaires. (Et c’est encore plus vrai aujourd’hui.) Comme le dit si justement Simone : “la copie renvoyée” à son auteur pour réécriture répétée, permet d’assurer la conformité du projet aux exigences de l’instance commanditaire, et a aussi pour effet d’étouffer le désir et la prise de risque du côté de la création.

Cependant, parallèlement à cette diffusion contraignante et somme toute éphémère, à la télévision, il existait déjà un autre “grand écran”, celui des festivals. Et cet autre écueil pour le film documentaire, qui devait trouver son “créneau” dans les deux ans maximum suivant sa production sous peine de tomber dans l’oubli.

Il est vrai qu’à côté des nouveautés de la production, les festivals font place aux rétrospectives d’auteurs aussi bien qu’à celles de la production d’une région ou d’un pays. Par contre, dès les premières programmations, Documentaire sur grand écran s’était résolument engagé à créer d’autres résonances afin de faire redécouvrir des films documentaires singuliers et méconnus auprès du public. En échappant à l’étau “événementiel” de la diffusion du documentaire, en proposant d’autres critères de choix de programmation, Simone Vannier défendait un autre regard sur le monde et un autre rapport du public au cinéma.

Pour reprendre encore Simone dans un texte de présentation d’une séance à Documentaire sur grand écran :

Par la nature de sa relation au réel, c’est dans les périodes de grande confusion que le documentaire est à même de jouer son rôle. Il tend au spectateur un miroir qui lui redonne une identité. Grâce à la subjectivité de ses auteurs, il propose une distance. Face aux images gloutonnes de la télévision qui collent à l’événement, il restitue au temps sa durée. Par la diversité de ses formes et de ses propos, par un langage propre qui touche à l’imaginaire, par sa singularité même, il agit comme un révélateur.

De notre amie Simone Vannier, nous nous souviendrons de sa sensibilité et de sa générosité, de sa conviction et de son courage. Avec tous ceux qui défendent le documentaire, nous lui en serons reconnaissants pour toujours.


  1. “Retrouvailles” paru dans le n° 8 La production, de la Revue Documentaires, 1993.

Publiée dans La Revue Documentaires n°24 – D’un corps à l’autre (page 183, Août 2011)
Disponible sur Cairn.info (https://doi.org/10.3917/docu.024.0183, accès libre)