Zeaux Productions

Catherine Tréfousse

Michael Hoare

Zeaux Productions existe depuis longtemps : Léon Desclozeaux a une longue expérience du long-métrage et du cinéma. C’est une société ancienne qui dispose de toute la solidité du savoir-faire en matière d’organisation et de production d’un homme qui a vingt ans de cinéma derrière lui. Ma venue il y a deux ans a infléchi et créé le secteur documentaire. Auparavant, il n’y avait que deux ou trois heures de production documentaire. En deux années on a doublé le chiffre : cinq ou six heures de documentaires, dont quatre heures de film ont été diffusées en 1992. Il y en a quatre qui attendent d’être diffusées en 1993. En 1993 j’ai en projet sûr cinq heures de production documentaire. Ce sont des documentaires avec un budget moyen entre l et 1,5 MF.

Font-ils partie du documentaire de création ?

Uniquement, selon mon point de vue. Mais tout dépend de la définition que l’on donne au documentaire de création. Le documentaire réalisé par Léon Desclozeaux en 1991-1992 et diffusé en 1992, à partir du projet que j’avais défendu quand j’étais à Antenne 2 a été jugé par certains comme un reportage. D’autres au contraire ont estimé qu’il a une véritable écriture cinématographique.

Création et engagement

Quand on demande à Paul Saadoun quels sont les films qu’il est content d’avoir produit, il cite entre autres, De Jour comme de nuit. Quel serait votre choix ?

Je suis très contente d’avoir co-produit le film de Thierry Michel sur le Zaïre et je co-produirai le suivant. Je trouve que c’est un réalisateur de très grande qualité. Je suis très contente aussi d’avoir produit « Fractal » une émission scientifique un peu difficile mais qui a quand même le mérite d’être accessible au grand public. Évidemment le film de Léon me satisfait. À Zeaux Productions on a la volonté de faire du documentaire de création sans pour autant mettre le créateur et son nombril au centre du film. Je me soucie peu des problèmes intérieurs et personnels des auteurs. Je défends la même conception du documentaire de création que lorsque j’étais en poste à A2 : des sujets engagés, avec une vraie ligne éditoriale. On fait un documentaire au Bengla-Desh, au Zaïre sur la situation du pays après trente ans de dictature, au Salvador sur les guérilleros qui essaient d’apprendre la paix et surtout qui tentent avec beaucoup de difficultés d’assimiler la perte de leurs repères idéologiques. On part en Birmanie. Chaque fois, il y a un vrai engagement politique et écologique.

Vous avez été dans l’administration, vous avez aussi travaillé dans la programmation. Quel bilan tirez-vous de ces expériences ? D’où vient le plaisir d’être producteur !

Mon plaisir personnel, c’est précisément d’associer la création à l’engagement politique. C’est un vieux souci pédago et c’est une position éthique. J’ai eu une vie professionnelle variée. J’ai été prof de lettres puis j’ai connu le chômage. Je me suis retrouvée au ministère de la Culture. J’ai été au CNC, sur A2 et maintenant je me retrouve à Zeaux productions. Pendant tout ce trajet, mon intérêt pour le documentaire s’est maintenu autour de ce lien entre création et engagement. En tant que prof de lettres, j’apprécie une qualité esthétique. Mais autant en littérature je ne recherche pas essentiellement l’engagement, autant dans le documentaire, je le promeus. Le documentaire, c’est un regard sur le réel : comment faire autrement que d’y mettre le refus du monde tel qu’il est, ce qui n’est pas compatible avec la recherche esthétique pure.

Mais on a l’impression que le documentaire français a du mal à faire cette articulation. L’autre soir j’ai regardé Naissance d’un hôpital.

Exactement. Une des personnes avec qui je vais travailler certainement, c’est Jean-Louis Comolli.

Est-ce que son film n’est pas une sorte d’hymne idéaliste à la pureté du travail créateur, cet architecte insupportablement satisfait de lui-même.

Dans son film sur l’hôpital, il montre quelqu’un qui cherche à résoudre un problème social. C’est précisément l’articulation entre la création et la satisfaction d’un vrai besoin social.

La porte étroite…

Tu as été responsable de la programmation documentaire sur A2. Est-ce que cette fonction t’a donné des armes, ou des idées sur la manière de traiter avec la télévision ?

Non, car chaque fois c’est une question de personnes et de contacts humains, voire de clans. Chaque chaine a son, ou ses clans. Si on n’en fait pas partie, c’est très difficile. Il est difficile d’aller sur la Sept. Moi j’aime faire du documentaire grand public. Il y a peu de chaines qui font du documentaire et il existe peu de décideurs. Chaque chaîne a son profil et si tu ne rentres pas dans ce cadre-là, tu es atypique, tu es ailleurs, tu ne corresponds pas à la demande. Or la demande est restreinte et ne dépend que de très peu de personnes. C’est là le problème. On l’observe sur le plan international dans les co-productions avec l’Allemagne vis-à-vis de Arte. La porte est très étroite.

Alors comment sur le plan financier vous en sortez-vous ?

Nous sommes toujours en situation d’inconfort. Nous ne savons jamais à l’avance si le projet va être accepté par le diffuseur. Et nous restons dans l’inconfort financier. Le diffuseur donne peu et lentement, le CNC verse tard et les administrations aussi. Donc très souvent il faut démarrer le film avant d’avoir son financement. C’est un pari.

Vous avez un souhait pour améliorer la situation ?

Je ne vois pas d’autres issues qu’un engagement plus important du diffuseur : les ventes à l’étranger ne suffisent pas à combler les déficits. Actuellement, le diffuseur a plutôt tendance à réduire son apport. Or il faudrait que cela soit l’inverse: nous avons besoin d’accroître la diffusion des documentaires afin de permettre une variété des styles, des sujets et des auteurs. Le câble ne me parait pas une véritable alternative. Les opérateurs ne sont pas nombreux et il ne me semble pas qu’ils jouent un rôle d’éditeur pour le moment. Une chaine publique de grande écoute et de qualité est nécessaire et ferait du bien au documentaire car il n’est pas bon qu’il reste dans un ghetto tant sur le plan de l’audience que dans le domaine intellectuel.

Propos recueillis par Michael Hoare


Publiée dans La Revue Documentaires n°7 – La production (page 94, 1993)