Représenter, comprendre et agir sur la « crise »
Claude Bailblé
La longue vue achromatique fut au XVIIIe siècle finissant une invention géostratégique majeure : jusqu’alors, le pouvoir grossissant des lunettes d’approche était entaché d’aberrations chromatiques très gênantes, surtout lorsqu’il s’agissait d’identifier à bonne distance les couleurs d’un navire battant pavillon inconnu. Ami ou ennemi ? La mise au point par les seuls anglais d’un verre correctif — le flint — dispersant les couleurs en sens contraire de l’habituel verre crown assura un bon moment à la marine britannique l’identification précise des couleurs distantes, identification d’où dépendait la maîtrise des mers, c’est-à-dire celle du commerce maritime. Voir au loin — identifier un navire, un pirate ou une flotte — laissait en effet la possibilité d’anticiper : soit de fuir à temps et d’éviter un inutile combat, soit de fourbir ses armes et se préparer à l’attaque, avec une bonne longueur d’avance sur l’ennemi.
Paru dans La Revue Documentaires n°25 – Crises en thème. Filmer l’économie
L’instrumental en solo
Claude Bailblé
Il y a au moins trois manières d’aborder la technique et la pratique instrumentale lors des tournages documentaires en solo, sous condition d’utiliser un matériel portatif et relativement léger. La première consiste à laisser agir les réglages automatiques de la caméra de façon à libérer entièrement les ressources mentales du cinéaste sur la relation filmant/filmés, avec toute la proximité et l’attention requises. Les malfaçons ou les artefacts obtenus dans le champ-image sont alors tenus pour négligeables – voire intéressants – devant l’intensité ou la singularité de ce qui se joue dans le champ-objet, résultat de l’interaction forte entre cinéaste et personnes/situations enregistrées.
Paru dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e
Le son direct et le documentaire
Claude Bailblé
Dès la seconde moitié du XIXe siècle, la photographie capte et enregistre la vie « en direct ». Au tournant du siècle, les opérateurs de cinéma, munis de caméras portables, ramènent des vues noires et blanches de tous les continents. Ne manque donc que le son pour que l’observation soit complète, pour que le témoignage soit entier.
Paru dans La Revue Documentaires n°11 – Héritages du direct
Le documentaire à l’épreuve de sa diffusion
Claude Bailblé
Le documentaire est-il un genre second, un spectacle suffisamment ennuyeux pour décourager l’amateur de cinéma et de divertissement, ou au contraire un objet culturel trop impliquant, ou alors plus simplement une production journalistique améliorée, destinée à un public minoritaire et averti, scrutateur nocturne des réalités diurnes ?
Paru dans La Revue Documentaires n°9 – Le documentaire à l’épreuve de la diffusion
Le corps autant que la pensée…
Claude Bailblé
Penser et ressentir, s’émouvoir et comprendre : le spectateur du documentaire est implicitement invité à partager avec le cinéaste une réalité filmique construite par assemblage de séquences et effacement des rushes inutilisés. Un chemin de réalité – déjà tracé pendant l’enquête et délimité par le tournage – est ainsi proposé, selon un ordre et une intensité que le montage a réussi à installer. C’est précisément cette “installation” que j’aimerais questionner, en évoquant les interactions entre la pensée en images (préconsciente et corporelle) et la pensée verbale (consciente et réflexive), toutes deux mobilisées par le déroulement d’un film.
Paru dans La Revue Documentaires n°24 – D’un corps à l’autre
Le cinéma des solistes
Claude Bailblé, Thierry Nouel
Avec « filmer seul·e », nous nous proposons d’interroger un type de regard et d’écoute de plus en plus pratiqué, et qui bouscule non seulement le documentaire, mais aussi bien tous les gestes filmiques. D’entrée de jeu, il nous est apparu que « filmeuses-filmeurs en solo » étaient opérationnels depuis longtemps, explorant largement les sphères de l’intime, de l’ethno-sociologique, de l’expérimental, du social et du politique, tout en ouvrant l’art cinématographique à de nouvelles expressions.
Paru dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e
Laissons vibrer les sons
Claude Bailblé
Bien qu’assez souvent cantonné dans l’utilitaire –l’intelligibilité des voix– le son d’un documentaire nous surprend parfois par une originalité esthétique et scénographique, originalité qui l’éloigne clairement du reportage en nous faisant partager les bonheurs d’une écriture ouverte et inventive.
Paru dans La Revue Documentaires n°21 – Le son documenté
IO Productions
Claude Bailblé, Amalia Escriva, Michael Hoare
Paru dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales
Interview d’Hubert Sauper
Claude Bailblé
La révolution s’est produite il y a plus de vingt ans quand les Danois (Dogma) ont commencé à faire des films avec des petites caméras utilisables aussi par les documentaristes. J’ai acheté avec mes derniers sous une caméra Hi-8 et suis parti au Congo faire mon premier film africain. Ce n’est pas seulement l’œil du cinéaste qui prend la petite caméra pour représenter la réalité, mais c’est aussi la caméra – en me prolongeant – qui me permet d’être « ici et là », « absolument », et de me concentrer sur l’instant. Je la tiens à côté de mon œil et de mon oreille, et je sais que c’est là le moment important.
Paru dans La Revue Documentaires n°26-27 – Filmer seul-e
Entendre, écouter, agir…
Claude Bailblé
Aujourd’hui tout le monde (ou presque) fait de la prise de son avec … son téléphone portable. Le résultat n’est toutefois pas terrible : “J’entends rien… qu’est que c’est que ce boucan derrière toi… ? Mais où tu es, là ?” dit l’un. “Attends je vais à côté, au calme, je ne t’entends pas non plus” dit l’autre… C’est que ladite prise de son se fait en monophonie, avec un seul microphone, et sa restitution avec un seul écouteur, un écouteur faiblard qui n’arrive pas à couvrir le bruit ambiant…
Paru dans La Revue Documentaires n°21 – Le son documenté
En marche
Claude Bailblé, Michael Hoare
Je suis à la fois réalisateur et militant… séparément, et quelques fois ensemble ! Mon engagement date des luttes lycéennes des années soixante-dix avec une sensibilité politique « communiste libertaire » brassant les apports des anarcho-syndicalistes et du « marxisme libertaire » tel que le comprenait, en tout cas, Daniel Guérin…
Paru dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales
Écouter, voir
Claude Bailblé
Chaque système sensoriel transforme l’énergie excitatrice en sensation codée par un capteur, en image structurée et organisée. La perception est donc polymodale. Elle assemble les diverses excitations émergentes en une représentation unifiée, multisensorielle. L’insertion de soi dans le monde sensible suppose l’éveil général des perceptions sensori-motrices, et non la réduction aux seules perceptions audiovisuelles, comme au cinéma.
Paru dans La Revue Documentaires n°13 – La formation du regard
Documentaire recherche auteurs
Claude Bailblé
À en croire certains pédagogues du scénario, « tout a déjà été écrit… Les cas dramaturgiques sont très peu nombreux : la santé, l’amour, la haine, la jalousie, le besoin de vengeance, la promotion sociale etc. et toute histoire, invariablement tournera autour de ces thèmes » Ou encore : « Au moins quatre-vingt-dix-neuf pour cent des films sont conçus sur un schéma prenant le personnage principal pour fil conducteur… ». Mais faut-il les croire ? Le spectateur peut-il se contenter de quelques schémas narratifs éprouvés, d’évasions standardisées, au motif qu’il consent à se projeter dans l’imaginaire ?
Paru dans La Revue Documentaires n°14 – L’auteur en questions
Corps en danger
Claude Bailblé
Deux films sur le Chili, deux démarches complémentaires sur une même histoire douloureuse : Nostalgie de la lumière de Patricio Guzman, Images d’une dictature de Patricio Henriquez nous parlent du corps en danger.
Paru dans La Revue Documentaires n°24 – D’un corps à l’autre
Ce mot obscène : l’expression
Claude Bailblé, Michael Hoare
Après l’Idhec, en 1985, j’ai réalisé un documentaire pour l’Ina. Ce film, Ragazzi, tourné en 1986, parlait de ma découverte de la Sicile. À cette époque, l’Ina, issu de l’éclatement de l’ORTF, avait l’obligation de produire des émissions pour les chaînes nationales. TF1 commandait des heures à l’Ina ; la diffusion avait lieu pendant l’été mais elle était assurée.
Paru dans La Revue Documentaires n°15 – Filmer avec les chaînes locales
