Dans le tissu complexe de relations et citations qui constitue la trame de Local Angel, probablement le plus frappant est la figure de l'ange.
Michael Hoare
Dans le tissu complexe de relations et citations qui constitue la trame de Local Angel, probablement le plus frappant est la figure de l’ange.
Venant d’une observation de Benjamin, cet ange vient pour sauver l’humanité mais constate son impuissance, ne peut que lever les yeux sur une montagne de destruction qui grandit devant lui au fur et mesure que passe l’histoire de l’humanité, notre histoire. L’ange est bien l’émissaire d’un Dieu faible, d’un Dieu malade qui a besoin de notre compassion et de notre commisération. Ce Dieu-là, auquel Adoni fait référence vers la fin de son périple, est un vieillard malpropre et impotent. Ses synagogues et ses mosquées sont devenues des bijoux clinquants et vides, des monuments de silence, des tombeaux érigés à la mémoire d’un besoin bien ancien de réconfort et de consolation. Maintenant au cœur de la terre sainte, c’est lui qui sollicite réconfort et consolation. Les erreurs de l’histoire, les tragédies passées provoquées par des peuples aveugles ou aveuglés, dont les événements actuels ne sont que ricochets et prolongements, lui ont ôté toute crédibilité. D’où la grande mélancolie du film. Des chants peuvent glisser comme des lettres sinueuses d’amour, peuvent exprimer la douleur de l’enterrement, ou encore la révolte et les explosions de la colère face à l’injuste, ces chants signent un deuil, une perte, et cette perte est celle de la religion elle-même.
Si Israël est une terre sans religion, où Dieu n’est qu’une absence phantomatique, si la terre est nettoyée de ses scories idéologiques et mythiques, que reste-t-il ? Le film pose la question. Il reste deux peuples dont l’un assujettit l’autre pour de basses raisons d’intérêt matériel et de pouvoir politique. Le film ressemble à une prière de deuil, parce que son système d’interrogation et sa mélancolie lancinante pointent la même absence. Israël, sans Dieu, n’est qu’une terre d’injustice. Une parmi tant d’autres, peut-être, mais une dont la nature réelle se voile aux yeux de ses habitants à cause du cadavre pourrissant de ce Dieu moribond. Que les hommes, les femmes, le laissent mourir, lavent le défunt, lui donne un enterrement digne de son grand âge et de la dignité de son statut ancien, peut-être peuvent-ils envisager un autre futur que la montagne de destruction qui désole tant son ange, qui le rend si impuissant.
Le film finit par ressembler à une prière, une prière pour que, enfin, l’homme s’assume sur cette terre sans Dieu. D’où l’importance du mot d’Aloni à Arafat lui demandant quelles seraient les conditions d’un pardon palestinien au peuple d’Israël. D’où l’importance du conflit d’idées entre fils et mère, mère qui malgré son immense courage politique n’ose pas lâcher le lien à Dieu, ou à une histoire, qui, seul, justifierait à ses yeux la nécessité que son ethnie soit majorité dans l’état. La paix ne peut se construire qu’à partir du moment où les droits de la minorité sont respectés, et en conséquence où l’on accepte d’être minorité. C’est vrai ici comme ailleurs. Ce film est un grand film car il médite cette leçon en Israël en Palestine ici et maintenant; et il chante une prière de deuil et d’apaisement non pas à la gloire d’un Dieu mythique qui justifierait tous les cataclysmes, mais précisément pour qu’advienne la fin de ce même Dieu.
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Local Angel
2002 | 1h10
Réalisation : Udi Aloni
Publiée dans La Revue Documentaires n°19 – Palestine/Israël. Territoires cinématographiques (page 95, Juin 2005)