Les aventures de l’auteur au cinéma

Jonathan Broda

L’auteur est un mot, un concept qui a eu plusieurs définitions, plusieurs sens, depuis les débuts de l’histoire du cinéma. Dès les années vingt, puis avec l’avènement du cinéma parlant, les années 50 et la Nouvelle Vague à venir, pour aboutir de nos jours à une toute autre signification.

Dans un premier temps nous fouillerons la période des années 20 et 30, pour y déceler les prémices de cette appellation saugrenue, véritable écueil de la fin du XIXe siècle.

Pour commencer cet essai d’historicisation de la notion d’auteur, il faut revenir à ce que l’on a pu appeler l’avant-garde française. Parlons de deux cinéastes qui n’en sont pas forcément les plus parfaits représentants, Jean Epstein et Jean Vigo.

Ils furent des réalisateurs que l’on pourrait nommer « auteurs » , car leur démarche allait dans un sens assez précis, parfois en phase avec leur temps : Epstein « fricotait » avec les avant-gardistes Delluc, L’Herbier, Gance ou Dulac… Quant à Vigo, certains le nommaient même : « le cinéaste surréaliste »…

Mais leur particularité est qu’ils ont essayé de parler ou d’écrire sur leur travaux, leurs démarches.

Pour Epstein, ses écrits sur le cinéma commencent dès 1920, quand il participait à la revue CINEA ; ses écrits éclectiques pouvaient s’intéresser au cinéma en général, à certains cinéastes en particulier (Chaplin), mais également à ses films, ses questions, ses recherches. Parallèlement à Vigo, les films d’Epstein sont classés parfois comme fictions, parfois comme documentaires, c’est cette dualité qui en fait un des premiers théoriciens / praticiens qui aient compté en France.

Vigo a eu une carrière plus courte. Mais dès À propos de Nice, en 1929-30, il a des aspirations cinématographiques particulières, des problématiques aussi pertinentes qu’innovantes : le point de vue documenté, un cinéma de partis pris, un documentaire pour dessiller les yeux, et enfin sa collaboration avec Boris Kaufman, frère de Dziga Vertov. Cette façon de travailler, cette attitude, démontrent que Vigo posait adroitement la question du cinéaste et de son œuvre.

En France, l’arrivée du parlant n’a pas été vécue de la même façon par tous. Dès lors, éclatèrent quelques polémiques partiellement théoriques quant à la particularité du cinéma, et du cinéma sonore ou synchrone, en particulier. Parlons de deux cinéastes qui semble être vécus, ou recensés comme des auteurs…

Les deux cinéastes auxquels je pense sont Jean Renoir et Marcel Pagnol. Pour les deux, cette frontière entre les deux décennies (le passage des années 20 aux années 30) a changé leur façon de voir, de faire, de signifier leur cinéma.

Le cas de Renoir a déjà été développé maintes et maintes fois. Son avant-gardisme sur la « chose » du son direct, n’est plus à prouver. C’est en effet grâce à ses visions de la place du son dans sa narration, de l’intégration de contraintes sonores par soucis de mise en espace, mise en scène, qu’il s’est réellement imposé dès le début du parlant. Les films les plus frappants à ce niveau-là sont La chienne en 1931 et Chôtard et compagnie en 1933.

Mais la discussion, la pertinence de « l’auteurisation », de la « panthéonisation » de Renoir n’a pas besoin d’être soulignée, tant la Nouvelle Vague s’en est chargée avec autorité et fierté.

Le cas de Marcel Pagnol est plus complexe, mais d’autant plus riche quant à ses relations avec la notion d’auteur. Il a dû lutter avec elle, pour elle… Sans énumérer tout le parcours de Pagnol, on peut remarquer l’aspect atypique de sa consécration cinématographique.

Pagnol a été à l’époque en conflit théorique avec René Clair, il insistait sur la façon dont le cinéma mettait « en conserve » le théâtre… À cette tirade provocatrice, il ajoutait que si le cinéma avait été un art à part entière, c’était pendant la période du cinéma muet (à l’instar de Rudolf Arnheim en Allemagne).

La question de l’auteur s’est donc présentée pour Marcel Pagnol de manière multiple et originale. Il est l’auteur de ses scénarii avant d’en être le réalisateur, il est le créateur d’un univers, grâce à une famille de protagonistes récurrents. Il s’est même intéressé à la variation, à la répétition, avec les quatre adaptations différentes de la même œuvre : Topaze, en 1932 réalisé par Louis Garnier, avec Louis Jouvet, en 1936 produit adapté réalisé par Pagnol, avec Antoine Arnaudy, en 1950 avec Fernandel, et en 1956 dans le cadre d’une production ORTF.

La grande idée pour l’articulation de la notion d’auteur avec Pagnol, est que ses films étaient des succès populaires : il a donc gagné beaucoup d’argent, ce qui lui a permis de créer les studios Marcel Pagnol à Marseille, et d’imposer de la sorte un pôle de production délocalisé et indépendant.

À ce sujet, André Bazin dans Qu’est-ce que le cinéma ? rapproche adroitement Marcel Pagnol et Charles Chaplin : … « le seul auteur qui puisse lui être comparé aujourd’hui est Chaplin et pour une raison précise : parce qu’il est aussi avec Pagnol le seul auteur-producteur libre. Les centaines de millions que Pagnol a gagnés dans le cinéma, il ose les consacrer pour son plaisir à des monstres cinématographiques que la production organisée et rationnelle ne saurait même pas concevoir. »

Il est évident qu’ensuite, dans les années cinquante, avec le jaune des Cahiers du Cinéma et les théoriciens du cinéma français, je pense à Sadoul, Agel, Mitry…, les auteurs existaient déjà.

C’est à cette période qu’est arrivée la chimérique et scandaleuse « politique des auteurs », cette dernière avait apparemment plusieurs buts qui furent inégalement atteints.

Le premier de ces objectifs, était de confirmer, de réhabiliter certains cinéastes de renom, je pense, au fameux 2 H / 2 R : Howard Hawks, Alfred Hitchcock, Jean Renoir, Roberto Rossellini.

Le désir était d’affirmer que ces cinéastes-là (mais également d’autres) étaient des artistes de la mise en scène, et par ce biais, que le cinéma (l’art de la mise en scène) était un art à part entière.

Le second but était de dire que le réalisateur n’était pas un technicien, un faiseur ou encore un exécutant, mais le responsable, le maître à bord, le créateur. Sa position devait donc être rétablie.

L’émission de télévision Cinéastes de notre temps, qui deviendra par la suite : Cinéma, de notre temps, allait totalement dans ce sens. Elle venait de plus s’inscrire dans une double filiation.

Les critiques / cinéastes de la scandaleuse… avaient besoin de se référer à la génération précédente, qui était née avec le cinéma.

Cette génération-là, qui n’était pas la première, avait déjà eu ses aînés qui les avait influencés ( voir les paroles chaleureuses de Renoir quand il parle des Chaplin, Griffith et Stroheim…).

Je pense également aux films réalisés par Sacha Guitry dans les années 10 : Ceux de chez nous (réalisés sous le principe suivant : documentaire-fiction-conférence), c’est la première fois qu’archives et création se marient de façon imparable. Il est intéressant de remarquer que la télévision a sa petite responsabilité quant à la production, la diffusion de ces œuvres nous présentant Claude Monet, Lucien Guitry, Anatole France et Auguste Rodin chez eux, interviewés par Sacha Guitry en 1915.

Enfin, le dernier but était de pouvoir différencier ces réalisateurs / auteurs des autres cinéastes qui n’avaient pas un univers personnel, des thématiques récurrentes, un regard unique et universel.

Cette dernière démarcation est de loin la plus fumeuse, car on voit bien là que les auteurs choisis le sont avec une indéniable subjectivité qui est autant un jugement politique et un choix esthétique qu’une liste prestigieusement incomplète. Voir la liste des dix cinéastes présents dans l’ouvrage La politique des auteurs préfacée par Serge Daney.

Il est intéressant de remarquer que certains des responsables de cette sauvageonne polémique devinrent par la suite les réalisateurs / animateurs de la Nouvelle Vague à venir. Et la notion d’auteur les a suivis en acceptant les caractéristiques de ces réalisateurs.

L’auteur devenant donc une sorte de scénariste / réalisateur / fils spirituel… Le seul qui mérite toujours cette appellation serait sans aucun doute Jean-Luc Godard, car ses bifurcations, ses atermoiements, ses Histoire(s) du cinéma sont dans la lignée de la scandaleuse et des émissions de télévision citées plus haut.

C’est sûrement une des raison qui a fait que par la suite, dans les années 70 / 80, cette notion d’auteur a mué, ou s’est mutée en une autre idée : on parle à ce moment-là de film d’auteur.

La dernière utilisation du terme, plus liée à notre période, celle des années 90, transpose la notion d’auteur en une autre appellation : le cinéma d’auteur, que l’on oppose maladroitement au cinéma commercial.

Cette petite énumération cerne une simplette histoire du cinéma français, et de plus ne parle quasiment que du cinéma de fiction. Hors les films documentaires, les auteurs documentaristes ne furent intégrés dans cette histoire du cinéma que par le biais de deux cinéastes aussi différents que non complémentaires : Flaherty et Vertov. On a pu tout lire sur ces deux aînés, ces deux sourciers, ces deux avant-gardistes du cinéma documentaire, et des évidentes interactions qu’ils opéraient, ou pas, avec le cinéma de fiction.

Le lointain et sinueux rapport qui lie ces deux maîtres / précurseurs aux cinéastes plus contemporains qui s’expriment dans les canaux de distribution liés au documentaire, est à clarifier…

Une des définitions, voire une des pistes pour cerner les héritiers de cette notion d’auteur, pourrait être le concept de démarche cinématographique. En effet des réalisateurs qui ont une démarche spécifique quant à l’écriture, le filmage et le montage de leur film, pourraient être intégrés dans cette nouvelle catégorisation.

Le sujet qui me préoccupe serait l’étude de deux cinéastes contemporains, qui selon moi ont une démarche cinématographique qui peut évoluer au gré des sujets et des partis pris de leurs films.

Ces deux cinéastes sont : Abbas Kiarostami et Elya Suleiman.

Partir du point de vue des Cahiers du cinéma et de sa romantique et artificielle politique des auteurs, n’est pas un hommage ou une référence absolue. Au contraire, c’est plutôt mettre l’accent sur l’introduction d’un concept mort-né. Les différents écrits de Jean Vigo ou les articles d’Epstein prouvent que la réflexion sur le cinéaste, ses responsabilités politiques, et esthétiques étaient questionnées avant que la politique des auteurs ne soit définie.

Vigo incorpore et discute la notion de commande dans À propos de Nice, la présence dans la production de « découverte de la France » pose aussi les bases de sa démarche. Son rapport à la commande s’apparenterait quelque part avec certains Franju…

La notion de démarche cinématographique permet-elle d’octroyer à un cinéaste plusieurs cheminements à son œuvre ? Plus exactement, le droit (?) d’avoir un discours différent de film en film, d’avoir une place en tant que cinéaste, différente dans ses projets ?

Prenons le cas d’Abbas Kiarostami quand il tourne ce que l’on appelle sa trilogie : Où est la maison de mon ami ? (en 1987), Et la vie continue… (en 1992), Au travers des oliviers (en 1994).

Il y a là, un triptyque cohérent à différents niveaux :

Sur le plan historique, il y a un réel désir de témoignage, de militantisme, d’imprimer une page géopolitique de l’Iran.

Sur un plan esthétique aussi, il y a cohérence : certains enfants sont présents dans les trois films, une manière de rester en « famille » Mais ce qui est récurrent c’est une manière d’appréhender le(s) décor(s) avec le fameux chemin en Z, présent dans les trois épisodes de la trilogie, mais également cité dans Le goût de la cerise… Il y a aussi une façon d’éloigner sa caméra, d’intégrer un intervalle entre la captation et la représentation, qui dénote un questionnement cinématographique.

Enfin, dans un axe que j’appellerai d’éthique, Kiarostami n’est pas dans une logique « Antoine Doisnel » avec une situation, des personnages et des lieux qui se répercutent de film en film. Il est plutôt dans une attitude de respectueuse manipulation quant à ces gens qui existent, ayant accepté l’arrivée du cinéma dans leurs vies.

À ce propos, je citerai deux événements qui se sont produits pendant les cinq années de la confection de la trilogie : tantôt d’origine naturelle, le tremblement de terre qui s’est produit à l’endroit où Kiarostami avait tourné le premier opus. Tantôt, d’origine fictionnelle, l’histoire d’amour née du rapprochement purement cinématographique que le cinéaste a opéré pendant le second opus, et qui lui a servi de base scénaristique pour le troisième volet.

Ces événements extradiégétiques sont récupérés de manière cinématographique, avec un souci d’éthique à définir…

Cela fait-il de Kiarostami un auteur ?

Là où le bât blesse par rapport à la conception erronée de la politique des auteurs, c’est qu’entre temps, c’est-à-dire pendant qu’il filmait sa trilogie, Kiarostami a fait deux autres films, où son positionnement en tant que cinéaste n’était plus le même. Ces deux films sont : Devoirs du soir (en 1989) et Close up (en 1990).

Dans Close up, Kiarostami existe dans son film. J’entends par là, qu’il tient le rôle d’Abbas Kiarostami, cinéaste en train de tourner son film. Il est présent à l’image, dans un long plan séquence où il demande à son protagoniste, Sabzian, si lui, Kiarostami, peut faire un film sur le fait divers dont Sabzian est le principal. Il est présent ensuite dans différents plans au son, surtout dans trois moments cruciaux dans le film, c’est-à-dire avant le procès, quand il met en place son dispositif cinématographique avec le juge… Puis durant le procès où il intervient de façon autoritaire. Et à la fin du film où, toujours au son, il discute de la pertinence ou non d’avoir un micro H.F. sur le vrai Makhmalbat.

Un autre moment intéressant par rapport à Kiarostami se trouve dans le film de Jean-Pierre Limosin, dans la collection Cinéma, de notre temps consacré au cinéaste iranien : Abbas Kiarostami vérités et songes. Il y a dans ce film des moments où Limosin a mis des choses en place, où des partis pris sont en action ; et d’autres moments où Limosin donne l’impression de laisser un espace de pouvoir où Kiarostami pourra s’immiscer, et finalement, mener la danse comme dans les films signés par lui. Je pense notamment aux passages en voiture, aux moments avec les enfants / acteurs du film Où est la maison de mon ami. Ce rapport au pouvoir que réussit à instaurer Limosin est la réussite de son film, car la faiblesse des « mauvais » Cinéma, de notre temps, est présente justement quand l’enjeu lié au pouvoir n’est pas sain, quand un nuage de respect impose un faux rapport de force entre les deux cinéastes en présence.

Cette (omni)présence du cinéaste est le pivot de mon questionnement par rapport à ce concept de démarche cinématographique. En quoi le fait d’être réalisateur / acteur fournit-il une nouvelle épaisseur quant à l’auteur du film ? Pas au sens « Nanni Moretti ou Woody Allen » du terme, c’est-à-dire que le cinéaste tient un rôle précis : lui-même…

L’autre cinéaste qui, selon moi questionne cette « épaisseur » serait le palestinien Elia Suleiman, dans son film Chronique d’une disparition, Suleiman est le protagoniste principal d’une histoire de la Palestine vu par un homme qui ne rentre pas dans le carcan établi par le cinéma palestinien, et surtout pas dans la rhétorique télévisuelle liée à la Palestine. Il n’est pas musulman, il ne vit pas dans un camp de réfugiés, il ne s’attaque pas frontalement à l’armée israélienne (sur ce dernier point, il n’est pas le premier, le cinéaste palestinien de Gaza, Rashid Masharawi, l’a précédé dans cette non-diabolisation de l’armée d’occupation) ; il est juste un cinéaste qui contemple l’absurde quotidien de son peuple, de sa famille, de ses proches, et bien sûr de lui-même.

Suleiman avait réalisé un autre film au préalable : Introduction to the End of an Argument ; ce film est un plaidoyer original et percutant : Suleiman a remarqué que depuis les débuts de l’histoire du cinéma, l’arabe au sens générique était représenté de manière partiale, comme étant le pleutre, le traître, celui agissant par derrière… Son film est donc un cri d’injustice, mais pas envers quelqu’un ou quelque chose de précis, ce serait plutôt une remarque adressée à tous les cinéastes / producteurs / scénaristes, qui depuis un siècle respectent et colportent des clichés racistes… Ce film, bien que son idée de départ semble excellente, ne tient pas totalement ses promesses, si ce n’est que nous avons affaire là, à un jeune cinéaste qui ne se sert que de stock shots, qui fait un film de « montage » dans la lignée d’autres cinéastes politisés, comme Dziga Vertov de l’école constructiviste, mais également comme Santiago Alvarez, qui bien qu’il n’ait jamais tenu une caméra, est un des cinéastes les plus importants des années 60.

Dans son second film, Chronique d’une disparition, contrairement à Kiarostami, Suleiman n’a pas les pleins pouvoirs, sa place dans le dispositif est flexible voir malléable. Tantôt il impose au film une ironie, un recul qui lui permet de le guider dans une direction autonome, tantôt il est récupéré par la situation politico-sociale de Nazareth, sa ville.

Ces différentes errances quant aux postulats principaux du film donnent à Suleiman une place à part, un positionnement unique et conjoncturel. Là, il rejoint davantage Kiarostami, qui lui aussi aborde des plans avec une méthode de « fiction », mais la récurrence, l’existence de ces situations ne pourra pas se reproduire…

Il y a des ressemblances et des dissemblances entre les deux démarches en présence, la comparaison est possible…

L’autre interrogation porte sur le rapport que ces deux cinéastes ont avec les « comédiens / acteurs / personnages / protagonistes » de leurs films. Cette question est importante car tous deux ont des rôles / présences / actions dans leurs films.

Kiarostami utilise parfois des comédiens, parfois des gens sur place, parfois il mélange les deux. Mais, dans Close up, il tient lui aussi un rôle, celui d’Abbas Kiarostami, cinéaste en train de tourner son film. Ce rapport à l’actant est représenté, questionné longuement dans le film de Limosin. Les réactions traumatiques chez certains, insouciantes et fières chez d’autres, prouvent que ce n’est pas un jeu d’enfant (même si Kiarostami a travaillé plus de quinze ans au sein de l’Institut pour le Développement Intellectuel des Enfants et Jeunes Adultes), de se présenter devant la caméra de Kiarostami.

Suleiman, dans le cadre de Chronique d’une disparition, tenait le rôle principal ; sa compagne, ses parents et ses amis jouaient aussi leur propre rôle. C’est autour de ceux-là, les militaires israéliens, les différents intervenants dans les saynètes de Nazareth, que l’on trouvera des acteurs (professionnels ou non ?). L’implication, la démarche en est décalée par rapport à Kiarostami.

Ces différences, ces convergences au niveau de la démarche cinématographique de chacun posent la question suivante : une démarche cinématographique est liée au film en particulier, elle ne peut être qu’évolution et révolutions, elle ne s’accorde donc pas avec les notions de carrière, d’œuvre, d’auteur…

Cette façon de nommer une méthode cinématographique qu’auraient tous les réalisateurs, met l’accent sur un point important.

Au-delà de la notion de style, de particularité, de thématiques récurrentes, cette démarche cinématographique propre serait un réseau d’attitudes de réflexions, une éthique filmique.

Pour ce que l’on nomme maladroitement les documentaristes, cette question de l’éthique filmique n’est pas nouvelle, elle serait même à la base d’un (ou du) travail. Un film documentaire s’appuie apparemment davantage sur la personnalité de son créateur, tant ce dernier passerait un contrat avec le spectateur. Ce contrat ou postulat de contrat est lié à la démarche que le cinéaste présente.

Quel est son rapport avec les protagonistes ? Quelle est son degré d’implication personnel ? En quoi ce film le met-il en danger ? Comment son traitement filmique est-il présenté ? Quel est l’influence de la commande ? Toutes ces questions ne sont d’ailleurs pas forcément résolues de manière didactique.

La démarche cinématographique n’est pas liée aux genres des films réalisés, j’entends par là documentaire / fiction. On pourra donc la radiographier sur un spectre théorique sans les frontières opaques des problèmes de genres audiovisuels…

La démarche cinématographique se nourrit, s’émancipe des paramètres divers que représente la fabrication d’un film : les contraintes de production, le cahier des charges, l’espace de liberté imposé, gagné ou revendiqué par le réalisateur, le producteur, les protagonistes…

On a donc pu voir que la notion d’auteur était vague et changeante dans cette histoire du cinéma. Il faut donc mieux définir ce que l’on entend par auteur. La proposition de parler de démarche cinématographique n’est pas l’unique solution, mais elle permet cependant de répercuter certains des acquis de « la politique des auteurs » , et de sa lignée théorique, tout en s’adaptant à une situation actuelle moins polémiste et provocatrice.

L’auteur existe toujours, mais la politique des auteurs n’est plus, si elle a réellement existé un jour.


  • À propos de Nice | Jean Vigo, Boris Kaufman | 1930 | France | 24’ | 35 mm
  • Abbas Kiarostami, vérités et songes | Jean-Pierre Limosin | 1994 | France | 52’ | 16 mm
  • Au travers des oliviers | Abbas Kiarostami | 1994 | Iran, France | 1h43
  • Chronique d’une disparition | Elia Suleiman | 1996 | Israël, États-Unis, Allemagne | 1h28
  • Close-up | Abbas Kiarostami | 1990 | Iran | 1h38
  • Devoirs de classe | Abbas Kiarostami | 1989 | Iran | 1h26 | 16 mm
  • Et la vie continue | Abbas Kiarostami | 1991 | Iran | 1h31
  • Histoire(s) du cinéma | Jean-Luc Godard | 1998 | France, Suisse | 4h27 | Vidéo
  • Introduction à la fin d’un argument | Elia Suleiman, Jayce Salloum | 1990 | Palestine | 42’
  • Le Goût de la cerise | | 1997 | Iran, France | 1h39
  • Où est la maison de mon ami ? | Abbas Kiarostami | 1987 | Iran | 1h19

Publiée dans La Revue Documentaires n°14 – L’auteur en questions (page 135, 1er trimestre 1999)