Reflets de l’Iran à la télévision française

Jamshid Golmakani

À mon arrivée en France, fin 1982, je suis demandeur d’asile. Plus tard, j’aurai le statut de réfugié politique. J’ai eu immédiatement le projet de comprendre la perception que les Français avaient de l’Iran et des Iraniens et cette étude m’a tout naturellement amené à élucider le mécanisme de fabrication de l’information à la télévision qui est toujours la référence de la plupart des Français.

Actuellement, la proposition d’un reportage ou d’un documentaire à la télévision française est soumise à une grille-modèle comprenant un thème pour chaque pays en dehors duquel le responsable d’une société de production privée répondra invariablement avant de refuser : « Ce ou ces projets sont intéressants mais à quelle émission peut-on les proposer ? Aucune. »

Or, supposons que le pays « X », dans son point de vue sur la France, soit intéressé uniquement par les sujets de la prostitution ou de la violence des banlieues. À partir de ces présentations sélectionnées par les programmateurs du pays « X », que pourra-t-on attendre de la réflexion du public de ce pays sur la France ?

De même, l’image présentée de l’Iran n’est qu’un fragment infime de la réalité du pays, souvent traité sans aucune recherche approfondie ni vérification par des personnes compétentes. Ces exceptions de l’Iran, recherchées par les réalisateurs français, le choix de fermer les yeux sur d’autres éléments du pays constituent l’entrée dans un discours de mésinformation.

Ceux qui assument la programmation à la télévision ne retiennent pour chaque événement dans um pays que les éléments liés au thème convenu, traitant ainsi une seule facette du pays. Cette image unique correspondra pour les téléspectateurs à l’identité du pays. Ainsi, pour l’Inde, l’image unique, c’est la misère absolue car il n’existe pas de films à diffusion large et régulière qui montrent d’autres aspects. Donc, de l’Inde aux grandes richesses culturelles et naturelles, il ne reste que la misère.

Également, pour chaque thème, il n’y aura qu’un seul point de vue légitime. Ce point de vue unique n’est pas seulement déterminé par la décision d’un haut responsable de la télévision. Il l’est aussi par une sorte de (selon l’expression de Marc Ferro) « regard du haut vers le bas » de l’ensemble des personnels publics et privés qui produisent des films et qui est lié au passé colonialiste de la France face au monde en voie de développement. Ainsi, nombre de réalisateurs, en réponse à la demande des programmateurs, appuient chaque fois, en ce qui concerne ces pays, l’idée d’une population non civilisée et non modernisée.

L’identité donnée à chaque pays par la télévision française n’est cependant pas le fait de tous les réalisateurs français. Ces points de vue sont plutôt ceux des orientations de la télévision. Les réalisateurs, en proposant leurs projets à la télévision, n’ont que l’obligation de répondre aux demandes de la télévision. Si, par hasard, un jour, la télévision française adoptait un ton de liberté, alors on ne se retrouverait pas face à l’uniformisation. Et, le public pourrait profiter d’un ensemble d’informations équilibrées sur un thème. Mais cette image uniforme contribue à conforter le sentiment de supériorité du public français.

Par qui est fabriquée cette information uniforme ? Les maisons de production qui proposent et réalisent pour la télévision sont souvent des sociétés appartenant à de jeunes journalistes. Une grande partie d’entre eux vient de la presse écrite ou de la radio. La plupart a commencé à travailler dans la presse audiovisuelle sans aucune formation cinématographique. Pour réaliser leurs films, ils sont toujours aidés par des cadreurs et des monteurs qualifiés en audiovisuel. Ces journalistes-réalisateurs ne s’occupent que du traitement du contenu du sujet. Il existe également des journalistes qui font eux-mêmes l’image. Ceci a permis une nouvelle forme de mise en scène de l’image en France, mais toujours en lien avec les sujets stéréotypés et leurs modes de traitement. Par exemple dans un thème donné, il faut mettre en évidence les particularités malheureuses de la situation ; il s’agit d’abord de mettre en scène la misère et le malheur des gens, de retenir l’image choc d’une situation, de montrer les problèmes d’autres pays et de rassurer le public que rien de tel n’existe en France.

Il est vrai que l’information dirigée n’est pas seulement un phénomène français, mais mondial. Le point de vue de la télévision d’un pays est évidemment lié à la fois aux intérêts divers du pays et à leur mode de traitement qui est culturel.

La fabrication de l’information a plus ou moins une méthode et un ton uniques en Occident. Les réunions régulières des pays les plus puissants ont certes pour but de trouver des réglementations pour se partager la richesse du monde, mais elles ont aussi pour effet de véhiculer leur système d’information.

Les exemples sont nombreux : l’image façonnée de défense des Droits de l’Homme par les forces alliées pendant la guerre du Golfe, l’intervention humaniste en Somalie en 1993, l’absence d’images de l’invasion des Américains à La Grenade en 1984 et le peu d’informations crédibles sur l’intervention de l’armée américaine au Panama.

Arme aux mains du pouvoir, un tel point de vue, par sa dureté et sa fermeté et selon l’importance de l’événement, est révélateur de l’ensemble des enjeux et des intérêts qui doivent être pris en considération pour chaque pays traité par l’information.

En France, le point de vue et le langage de la télévision sur les pays moins riches que la France sont en général déterminés sur la base du pouvoir économique. Je me rappelle une émission de la Marche du siècle en 1993 sur France 3. Jean-Marie Cavada, responsable et présentateur de l’émission, avait choisi comme sujet de la semaine : l’armement en ex-URSS. Au général russe, présent sur le plateau, Monsieur Cavada n’arrêtait pas de demander d’une manière agressive et désagréable : « À qui et pourquoi vendez-vous vos armes ? » J.-M. Cavada revenait sur cette question avec un ton toujours plus élevé quand le général lui répondit : « Nous vendons nos armes à qui nous voulons. Est-ce que vous vous posez cette question pour votre propre pays ? Pourquoi pensez-vous que je devrais répondre à votre question ? ».

En résumé, la plupart des personnes chargées de produire des informations pour la télévision française ont ce type de regard de supériorité économique et culturel.

On peut remarquer, pour l’anecdote, que par exemple dans n’importe quel programme de la télévision française, lorsqu’un Africain francophone intervient, bien qu’on le comprenne très bien, la parole est souvent sous-titrée. Mais en revanche, jamais l’accent incompréhensible des gens de certaines régions de France ne l’est. De même, chaque fois qu’un Américain est interrogé par la télévision, si l’interviewé prononce quelques mots incompréhensibles en français, la télévision, sans aucune hésitation les diffuse, évidemment sans sous-titres !

Mais qu’en est-il de l’image de l’Iran à la télévision française ? Pour mon analyse, j’ai consulté le fichier de l’Ina des films diffusés sur l’Iran et visionné tous les films possibles. J’ai constaté sans trop de surprise que l’image de l’Iran est stéréotypée.

Cette image uniforme de l’Iran des islamistes à la télévision française est devenue un produit standardisé pour la plupart des diffuseurs occidentaux. Cette marchandise sert d’outil aux chaînes de télévision à la solde des pouvoirs politiques ou des grands capitaux pour fabriquer une opinion publique au sujet de ce pays.

La mise en forme de l’image actuelle de l’Iran commence en 1978, au moment du sommet en Guadeloupe des sept grandes puissances, qui ont décidé de soutenir l’Ayatollah Rouhollah Khomeini, alors en exil en Irak, comme remplaçant indispensable du Shah.

Pendant la guerre froide, cette décision politique avait pour objectif d’assurer le soutien d’un pays qui partageait 2500 km de frontière avec URSS. Peu de temps après, Khomeini a été amené en France. Les médias occidentaux l’ont présenté alors comme l’unique leader populaire de l’Iran. C’est seulement plus tard, quand Khomeini a commencé à imposer son Islam au monde musulman et à mettre en danger les intérêts des pouvoirs occidentaux (notamment la prise en otage des diplomates américains en novembre 1979), qu’une autre image du pays a été mise à l’ordre du jour pour les diffuseurs. Cette image devait véhiculer au moins les trois thèmes suivants :

  • le malheur d’un pays cent pour cent musulman, malheur auquel vous, téléspectateurs occidentaux, êtes heureux d’échapper ;
  • que cet Iran islamiste radical mérite d’être châtié par un embargo économique pour avoir enfreint la loi diplomatique internationale en prenant en otage les diplomates américains ;
  • et, enfin, une population de musulmans intégristes peut mener une guerre sanglante avec l’Irak pendant huit ans, sans provoquer ni l’intervention ni une quelconque initiative diplomatique de la communauté internationale.

Derrière ces thèmes fréquemment évoqués, se cache en réalité la concurrence des pouvoirs occidentaux entre eux pour faire des profits à la fois en Iran et en Irak. C’est ainsi que Allemagne est devenue le premier exportateur occidental vers l’Iran, et que les États-Unis et la France ont fait de belles affaires pendant la guerre en vendant des armes aux deux côtés.

Pour mon enquête sur les images, je me suis basé délibérément sur les reportages, magazines et documentaires de plus de 13 minutes afin de m’assurer que cette présentation uniforme et inexacte de l’Iran ne relevait pas d’une simple erreur involontaire due à la préparation à chaud d’um journal télévisé, bien que les deux types de productions soient liés. En effet, en général, les films de cette longueur peuvent être considérés comme un travail de plus grande réflexion.

En dépouillant le fichier de l’Ina, en consultant des microfilms de Télérama et en visionnant les films disponibles, je me suis aperçu que l’Iran a été régulièrement présent à la télévision française de 1978, date correspondant à la révolte dans le pays, à la mort de l’Ayatollah Khomeini en 1989. La représentation de l’Iran s’est limitée aux actions des dirigeants, des membres actifs de leurs groupes et factions, et de leurs sympathisants-croyants musulmans. Ces actions sont porteuses d’actes de violence, mais pour le compte de l’ensemble de la population iranienne. Il s’agit d’un cas typique de mésinformation, présentant une image stéréotypée des mouvements de la liberté du peuple iranien, au titre de la « révolution islamique ».

Puis viennent l’affaire de la prise en otage des diplomates américains à Téhéran, huit années de guerre Irak-Iran, la condamnation à mort de Salman Rushdie par l’Ayatollah Khomeini, le septembre noir de 1986 à Paris avec ses multiples attentats meurtriers et aussi les assassinats d’opposants iraniens en France, notamment celui de Chapour Bakhtiar, le dernier Premier ministre du Shah, tué en août 1991 dans la banlieue parisienne.

Le visionnage de tous les films disponibles montre que les reportages-magazines de la télévision française sur l’Iran suivent tous le même traitement. Cette uniformisation de la réalisation est le résultat d’une situation générale qui existe à la fois chez les programmateurs de la télévision et les réalisateurs des films sur l’Iran.

Quelle a été la grille-modèle pour l’Iran ? Deux grands codes ont été respectés par les grands décideurs de l’image de l’Iran : aucune critique ou reproche vis-à-vis de l’Islam, des Ayatollahs iraniens et des grandes lignes de la nouvelle pensée qui règnent dans le pays, et silence sur la répression et sur l’opposition dans le pays. Ces codes sont totalement inscrits dans tous les films sur l’Iran diffusés à la télévision en France.

Une fois ces codes respectés, les réalisateurs sont libres de proposer l’image choc de l’Iran qu’ils souhaitent.

Depuis les années quatre-vingt, et la transformation des journaux télévisés en spectacle de prime time, la vogue est à l’image spectaculaire. La télévision française cherche particulièrement l’image choc qui provient d’ailleurs. Les changements imposés par les Mollahs ont été une mine de sujets extraordinaires pour les programmateurs.

Ces années ont également vu apparaître des sociétés de production privées de reportages et magazines pour la télévision. La grille de programmation au début de chaque année est annoncée à ces sociétés de production. Lorsque les salariés de la chaîne ne peuvent pas répondre aux besoins d’un programme, les sociétés de production en pleine concurrence se précipitent pour gagner la course. La plupart des journalistes-réalisateurs des films sur l’Iran pour la télévision française viennent de ces nouvelles sociétés privées.

Ces réalisateurs, souvent jeunes, se soumettent aux désirs des programmateurs de la télévision en ne soulevant que des aspects choquants et spectaculaires de l’Iran et en ne retenant que ses particularités, à savoir : « les Mollahs barbus, les femmes voilées, les sympathisants de Khomeini », etc.

Les films reportages-magazines ou documentaires français sur l’Iran, en raison du marché de l’audiovisuel en France, de leur manque de recherche, de leurs préjugés, peuvent être résumés ainsi : en Iran, la vie est encore pire que ce qu’ils connaissent chez les Maghrébins depuis la colonisation par la France.

Par ailleurs, dans l’esprit général du public, on identifie les réalisateurs comme « militants des Droits de l’Homme ». Ce public, peu informé, porte ce jugement pour deux raisons principales : premièrement, parce qu’en France, depuis une vingtaine d’années, le militantisme a perdu de la crédibilité. L’humanitaire a pris sa place. Or, une partie visible de l’humanitaire aux journaux télévisés touche aux journalistes, notamment ceux qui sont victimes d’oppression, de censure ou d’assassinat et dont les cas sont divulgués par des organismes comme Journalistes Sans Frontières. Du moment que le sujet frappe la sensibilité du public, et surtout son « droit » en tant que spectateur d’avoir des images de partout, il est considéré comme un choix militant. De plus, par manque d’informations exactes présentant la situation globale d’un événement, le simple choix d’un sujet sur un pays dit « sensible » apparaît comme un choix militant.

Une partie de ces journalistes-réalisateurs, soucieux exclusivement du goût des responsables de ce type d’émission, font régulièrement des reportages-magazines pour la télévision et gagnent des sommes importantes. Nombreux sont ceux qui ont l’esprit commercial et qui se lancent dans la production de films informatifs pour la télévision.

En regardant plusieurs fois chaque film, je me suis aperçu que, de façon très systématique, tous les films comportent les mêmes éléments, pas totalement inexacts, mais à force de présenter des images uniformes, l’Iran et les Iraniens deviennent ainsi marqués dans l’esprit du public. Ce dernier, privé d’autres sources d’informations, n’a d’autre choix que de reprendre cette image unique, sans savoir qu’elle est totalement stéréotypée. Les réalisateurs ont filmé presque toujours aux mêmes lieux et plus au moins avec le même commentaire.

Le point de vue des films est le même que celui que nous, les Iraniens en France, recevons de la part des Français. Lors de leurs premiers voyages, les réalisateurs, souvent jeunes, sont partis en Iran avec un préjugé. Ils vont filmer un pays plein de désert et de pétrole, le noyau dur de l’Islam et montrer une image choc. De plus, l’expérience montre que la production de la télévision française ne vérifie pas les informations données auprès d’Iraniens compétents, ou de chercheurs français. En un mot, sans parler des erreurs d’informations dans ces films, on repère aisément les images uniformes : celles de la prière officielle du Vendredi à Téhéran ou au cimetière de Téhéran. Dans ces films, d’autres Iraniens, non adhérents au régime, sont considérés comme « les occidentalisés de l’époque du Shah ». Si ce surnom

donné aux opposants ou aux mécontents du régime n’est pas considéré comme une insulte, il relève sûrement de l’ignorance des réalisateurs de ces films. Un tel jugement dénote la supériorité que les Français ressentent par rapport aux gens des pays appelés selon le terme courant : « les pays du Tiers-Monde ».

Dans les séquences de prière, les réalisateurs mettent l’accent sur le symbole de la première République islamique dans le monde. Ce sont des femmes iraniennes en tchador noir. Dans un film par exemple, quand un journaliste-réalisateur filme dans un petit village aux alentours de Téhéran, il revient sur le tchador en disant : « Au tchador noir des femmes de la capitale, les paysannes préfèrent leurs habits traditionnels ». Mais nous devons savoir que le port du tchador n’est pas général chez les femmes iraniennes. Ce reportage et aucun des autres films n’indiquent non plus que le régime islamique a dû mettre quatre ans pour officialiser l’obligation du port du tchador, après de multiples répressions sanglantes lors de manifestations des femmes au travers du pays.

L’Islam est la religion imposée à l’Iran suite à l’invasion des Arabes au VIIe siècle. Depuis, Islam a eu ses croyants chez les femmes et les hommes en Iran. Petit à petit, le tchador est devenu une habitude rituelle dans l’habillement des femmes iraniennes, surtout en milieu rural. Mais le tchador, encore aujourd’hui, n’a pas trouvé sa place chez toutes les ethnies qui font l’Iran. Les femmes nomades de la région Fars au centre du pays, les Baloutchis dans le Sud-Est, les Kurdes au Nord-Ouest, İes Turkmans et Guilaks au Nord ne portent pas le tchador. Il ne fait pas partie de leur habillement traditionnel.

Les femmes de ces régions s’habillent de vêtements de couleurs gaies et refusent toujours le tchador imposé par le régime islamique. Le tchador est surtout porté par les femmes d’origine persane, majoritaires dans le pays.

Le tchador, coutume iranienne, a toujours eu sa place et n’est pas indépendant de la religion islamique. Il est certain que les règles islamiques empêchent les simples mouvements des femmes iraniennes, mais elles avaient et elles ont encore une marge de liberté qui n’intéresse pas la télévision française. En dehors de l’image des femmes voilées iraniennes, symbole du fanatisme du pays, d’autres images réelles ne sont pas présentées aux Français, sont inconnues des journalistes-réalisateurs.

Si les femmes iraniennes continuent à porter le tchador, il faut savoir que celui-ci n’est pas limité à la couleur noire, que l’on voit régulièrement à la télévision française. Le tchador noir est réservé pour les cérémonies de deuil et les réunions religieuses. En dehors, ces femmes portent des tchadors d’autres coloris, souvent gais. Les femmes pendant les grandes têtes, comme la célébration de la fête du nouvel an — Nowrouz — jouent du tambour, montent sur des balançoires et dansent.

Les fêtes libertines des femmes iraniennes sont également ignorées.

Les femmes en tchador ont leurs propres fêtes auxquelles les hommes n’ont pas le droit de participer. Ces têtes, par rapport à l’image stéréotypée de la télévision française sont inhabituelles. Ces fêtes « vulgaires » sont l’occasion pour les femmes de s’habiller de façon très sexy, de jouer et de chanter des chansons anciennes sur les rapports sexuels entre épouses et maris.

En 1975, le réalisateur iranien Réza Mirlohi a réalisé une série de films pour la télévision nationale du pays. Ces films contribuent à montrer et à conserver une partie de la mémoire des femmes iraniennes au cours de ces fêtes féminines.

En Iran à l’époque du Shah, les femmes voilées et non voilées vivaient dans le respect mutuel. La relation entre celles qui portaient le tchador et celles qui ne le portaient pas était basée sur le célèbre proverbe persan : « Chacun sa religion ».

Les femmes non voilées vivent tranquillement à l’intérieur d’une famille. Les filles d’une mère qui croit au port du voile peuvent selon leur propre décision ne pas accepter le tchador. Ceci n’étonne personne à l’intérieur du pays.

Les femmes non voilées en Iran de l’époque du Shah étaient actives dans tous les domaines. Dans l’opposition clandestine contre le Shah, les femmes qui ont donné leur vie étaient nombreuses.

Comme la présence des femmes voilées iraniennes est indispensable dans les films télévisés français, pour les opposants de Khomeini, au lendemain de la victoire de la révolution, le refus de porter le voile a été essentiel. Pour les Ayatollahs, arriver à mettre le voile sur la tête de toutes les femmes du pays a été considéré comme un point important de la politique de répression. Tous les opposants savaient que la contrainte du port du voile était un des principaux objectifs du régime. Les manifestations des femmes contre le port du voile à Téhéran et dans des grandes villes ont toujours été réprimées violemment par l’armée du Hezhollah, et toujours protégées par des chaînes humaines d’hommes opposants. Pour l’opposition de l’époque, il fallait lutter sur tous les fronts, et particulièrement sur celui du voile imposé.

Les actions de protestation contre l’obligation du port du voile à travers le pays ont laissé des centaines de blessées et d’invalides. Mais la télévision française ne s’intéresse pas à présenter cette image des femmes iraniennes, parce qu’elle ne correspond pas à l’image choc qui apporte des clients-spectateurs de l’Iran islamisé.

Les manifestations des femmes iraniennes contre le port forcé du voile ont été largement évoquées dans le film Woman in exile, réalisé par le réalisateur iranien Manouchehr Abrontan pour la télévision hollandaise en 1990.

En 1981, la République islamique d’Iran a réussi à imposer le port du voile aux femmes, ainsi que d’autres contraintes dans la vie quotidienne des citoyens. Suite à l’erreur tactique de l’Organisation des Moudjahidin, une manifestation non-autorisée a été réprimée de façon très sanglante.

Le régime, sous le prétexte de la suppression des Moudjahidin, a réussi à mettre le voile sur les cheveux de toutes les femmes.

D’autres séquences des films sont consacrées aux huit années de la guerre entre l’Irak et l’Iran. Ces images présentent les volontaires de la guerre pour défendre l’Islam et obéir au Djihad (guerre sainte), l’ordre islamique de l’Ayatollah Khomeini. Aucun film ne s’intéresse à comprendre quelles sont les causes du déclenchement de la guerre, ni à tous ceux qui sont contre cette guerre et s’enfuient du pays.

Quant à la prise en otage des diplomates américains à Téhéran en novembre 1979, elle est présente dans de nombreux films, une fois de plus sans aucune analyse sur ses raisons réelles et ses conséquences. Ces séquences sont un rappel historique qui vise à mettre l’accent sur la pratique révolutionnaire d’un peuple musulman-intégriste, mais sous le nom d’« Étudiants dans la ligne de l’Imam », un nouveau pouvoir provisoire du régime à l’époque.

J’ai dit « Imam », le titre réservé à l’Ayatollah Khomeini, non seulement dans tous les films, mais aussi par l’ensemble des médias français. L’Imam, en arabe, signifie le guide. Il s’agit d’un surnom, progressivement imposé par les hommes du régime islamique, après Ayatollah Ozma (grand Ayatollah), Nayébol-Imam (remplaçant du douzième et dernier Imam de l’Islam chiite, considéré comme absent-caché et qui reviendra un jour sur la terre pour sauver le monde, envahi par le mal), puis Imam pour le monde musulman. C’est ainsi que selon des principes de base de l’histoire de l’Islam, Khomeini, porteur du titre d’Imam, s’autorise à lancer le Djihad pour la guerre sainte contre l’Irak ou à ordonner la Fatwa à mort contre Salman Rushdie, l’écrivain britannique.

A mon avis, il faut noter que les éléments mentionnés dans ces films sont l’image officielle que le régime iranien a envie de montrer de l’Iran, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. C’est-à-dire : l’Iran, un pays entièrement islamique.

À leur décharge, il faut reconnaître que tous les journalistes étrangers sont sévèrement contrôlés par le régime iranien qui impose notamment la présence des traducteurs-contrôleurs iraniens, mais cela ne peut excuser le choix uniforme systématique effectué par tous les réalisateurs français de ces films. De plus, dans leurs films, ils ne disent jamais qu’ils étaient contrôlés, ils ne critiquent pas le régime, ils ne donnent pas la parole aux opposants au régime résidant en France. Bien sûr, s’ils faisaient cela, ils ne passeraient pas à l’antenne ou bien, automatiquement il serait hors de question pour eux d’avoir un prochain visa pour Iran. Donc, profession oblige !

Mais la grille envisagée pour l’Iran n’est pas si rigide qu’on croit. Si on a du poids dans le système, il y a la possibilité d’élargir le cadre prévu. Au cours de cette recherche, j’ai trouvé des émissions sur la famille des Pahlavi. Elles sont toutes faites pour blanchir le Shah et sa monarchie. Quand il s’agit de La Cinq, défunte chaîne privée à ne pas confondre avec « La 5ème », on peut comprendre la raison de faire de la propagande sous forme d’émissions publicitaires. Mais il y a aussi plusieurs émissions de Frédéric Mitterrand dans l’émission Destins, en 1988, un numéro consacré au Shah et deux émissions de deux heures avec la présence de Farah Diba, la veuve du Shah, sur le plateau de la chaîne publique Antenne 2, en 1989. Farah se présente comme le porte-parole des Iraniens de l’opposition et fait de la propagande pour les bonnes réalisations de cinquante ans de la monarchie des Pahlavi.

Cette absence d’éléments importants et primordiaux sur l’Iran est le produit à la fois de la politique des responsables des émissions de l’information de la télévision et du traitement qu’ils attendent de la part des réalisateurs. Le cadre envisagé nous montre que la République islamique d’Iran n’est pas critiquée pour les exécutions de milliers d’Iraniens. Et la voix de l’opposition iranienne est également absente, malgré l’existence d’environ quatre millions d’Iraniens expatriés, dont un grand nombre est présent ici en France.

Le point de départ pour la télévision française est ce qui est appelé la « révolution islamique » et ses Mollahs au pouvoir, sans aucune analyse de sa complexité réelle. Derrière l’extermination de la monarchie du Shah et la reprise du pouvoir par les islamistes, malgré la réalité de l’existence d’un mouvement populaire, il y avait aussi de fortes manipulations menées par les hommes politiques iraniens et occidentaux. Ces absences relèvent du mode de traitement d’un sujet par la télévision française. Celle-ci ne s’intéresse pas à faire connaître la profondeur d’un phénomène à son public. Elle fait plutôt un balayage de façade d’un sujet donné.

Dans cette partie de recherche, à titre comparatif, j’ai visionné aussi autant que possible des reportages, des magazines et des documentaires sur l’Iran, diffusés dans d’autres pays européens. Ce n’est pas par hasard que j’ai choisi La Grande-Bretagne et les Pays-Bas. La première, pour le ton de sa liberté d’expression, et la deuxième pour le pluralisme de la télévision dans le partage des heures d’antenne entre les principales pensées politico-religieuses du pays.

Je n’avais pas tort. Les films diffusés à la télévision de ces deux pays ne sont pas uniformes, comme c’est le cas pour la télévision française. Ils sont moins portés à généraliser sur la population iranienne que les réalisateurs français. Presque tous les films critiquent en partie le régime iranien. Ils ont tous donné la parole aux opposants iraniens présents dans leurs pays. Dans les génériques des films sur l’Iran en Grande-Bretagne, on trouve les noms d’Iraniens dans l’équipe de recherche ou de réalisation.

Il existe aussi des films réalisés par des exilés iraniens qui critiquent profondément la répression du régime islamique d’Iran. Évidemment, nous savons tous qu’en France, on est très loin d’envisager des films politiques réalisés par les ressortissants d’un pays donné.

Les années passent, l’image de l’Iran à la télévision française reste uniforme, seuls les éléments changent. Depuis 1997, date de l’arrivée de Mohammad Khatami, président de la République islamique, de nouveaux termes apparaissent pour qualifier l’Iran. La télévision le traite de Président « modéré » et « réformateur » ; elle prétend que la population respire un air de liberté grâce à lui. Il y aurait beaucoup à dire !

La nouvelle image officielle de l’Iran à la télévision est toujours déterminée par les considérations politico-économiques. La France, afin de justifier ses relations économiques avec l’Iran, n’a d’autre choix que de montrer les dirigeants du pays, populaires et humains. Mais la répression continue en Iran. Les années du mandat du Président Khatami montrent qu’il continue à réprimer les voix opposantes, aux côtés de ceux que les médias français appellent « conservateurs », au pouvoir depuis 1997.



Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 143, 3e trimestre 2003)