Thierry Nouel
Amsterdam Global Village est un film-fleuve qui vous emporte, vous déborde, puis vous dépose, à la sortie, médusé. Avant, il est bon de s’y être préparé, comme lorsqu’on se rend à la rétrospective d’un grand peintre ou a un match d’envergure. Pendant, il ne faut pas craindre de se laisser emporter, couler même, pour sentir toutes les secousses et les effleurements d’un torrent d’images bénéfiques. Après, un lent travail intérieur s’empare de l’esprit, avec des questions comme des vagues, ressac d’interrogations qui se font longuement entendre, après qu’on a quitté les rivages de ce film majeur.
Ailleurs est ici
« Il n’y a pas de différences, n’est-ce pas ? »
« Sois dur avec toi-même, généreux pour les autres
Tous sont nés égaux, tous ont droit au bonheur. » 1
Une symphonie moderne, “asymétrique”, directe.
« Il s’agit toujours de déstabiliser la façon dont on voit les choses, afin d’atteindre, ne serait-ce qu’un instant, l’expérience », dit Johan van der Keuken. Cette fois, l’expérience est énorme, 242 minutes pour ce 47e opus qui synthétise tous les précédents. Et comme d’habitude, chez ce « compositeur de films » , ni le sujet, ni la structure formelle ne sont donnés d’avance. On doit accepter de recevoir les éléments comme ils viennent, en un apparent désordre. C’est progressivement qu’ils s’organisent : soubresauts tragiques qui déchirent les peuples, gouttes de l’aléatoire qui remuent l’individu, calmes plats des vacances et agitation des fêtes, marée rock ou techno, échos footbalistiques, grand vent de l’Histoire ou petits frémissements de l’anecdote, tout se succède, à égalité. En cela, Amsterdam s’affirme comme une œuvre foncièrement moderne, qui ne se soumet pas à une forme, un genre ou à des hiérarchies extérieurs, mais se construit de chacun des éléments qui le constituent et avec le travail actif de notre regard 2.
De même dans les nombreuses rencontres, pas de hiérarchie, pas de différence d’attention perceptible. C’est subrepticement qu’émergent les personnages principaux, cinq « solistes » dont les parcours et les récits vont s’entrecroiser : un jeune coursier d’origine marocaine, un musicien bolivien agent de nettoyage dans un supermarché, un homme d’affaires refugié de Tchétchénie, une disc-jockey amstellodamoise, une vieille chanteuse juive. Chacun jouera sa mélodie, chacun dira son histoire, nouvelles variations de la « fonction fabulatrice des pauvres » instaurée par le cinéma-vérité. 3 Même les figures secondaires tiendront l’avant-scène — un groupe rock bosniaque, des joueurs de bridge, une immigrante au visage triste… — gommant toute différence entre ceux qui passent et ceux qui restent.
« Ce qui compte dans un montage de ce type » dit Keuken, « ce sont les détails. De grandes et de petites choses se succèdent, et la construction est asymétrique. » Ce déséquilibre assumé et harmonisé, cette façon savante d’orchestrer la succession de l’essentiel et de l’infime, du micro et du macro, d’aller régulièrement du total à l’infinitésimal troublera le spectateur qui s’agrippe aux formes pré-réglées. Paradoxalement, cette non-hiérarchie est la bouée qui permet de rester à flot, car le spectateur, qui accepte de rencontrer l’inattendu à chaque nouveau plan, entre dans ce kaléidoscope sans tension, ni préjugés : mobilisé par un conflit majeur (la Tchétchénie), il peut ensuite se détendre d’un micro-événement (l’achat d’un tissu par une Ghanéenne ou les conversations quotidiennes chez un poissonnier), suivre de longues interviews jusqu’à ce qu’elles se réfractent dans des unités de paroles plus petites (mots attrapés au vol, propos de rues, mini-récits ou conflits de voisinages).
Sensation appréciable d’immédiateté qui nous fait littéralement sentir à vif les situations, vision sans filtrage (débarrassée de « l’habillage » et des « lancements » que la télévision inflige aux images). Nous recevons tout, simplement, de plein fouet : lumière d’une naissance ou horreur d’un massacre, villes en fête et cités en ruines, jeux de l’amour et de l’argent, luttes sportives ou déchirements de la guerre… Pas d’enrobage avec des harmonies rassurantes, rien qui tempère les couacs déchirants, qui nous protège des à-coups d’un monde déboussolé, rien qui évite un contact direct, physique, sensoriel avec les réalités qui se succèdent.
« Mon système », disait Keuken « c’est l’établissement de lignes, d’angles et de pointes. » C’était en 1982, mais aujourd’hui cet agencement en dents de scie ferait dérailler le subtil équilibre d’un film qui avance sur la corde raide. Aussi, dans cette œuvre-globe, plus de mise en morceaux du plan, plus d’éparpillement de la prise en bouts récurrents. Ce n’est plus une construction par emboitement, avec interpénétrations des fragments et retour du même sous un autre point de vue, mais une accumulation perpétuelle, par succession de plans-segments qui viennent s’adjoindre aux précédents, en poussant dans le passé et la mémoire du déjà vu tout ce qui a été montré, qui ne le sera qu’une fois et une seule. Ce que le générique visualise d’entrée : chaque lettre d’A.m.s.t.e.r.d.a.m., prélevée sur un bout de réel, chasse l’autre, pour former progressivement le mot complet. Ce n’est plus du montage-puzzle, mais un jeu de cubes en mouvement, avec jointures nettes entre des blocs rectilignes.
Cette structure générale est animée par trois temporalités qui se succèdent ou se superposent :
- La première, matérialisée par de longs travellings, toujours dans le même sens, c’est l’Immuable, auquel rien ni personne n’échappe, et qui emporte le film tout entier. C’est comme si nous étions embarqués sur un convoi qui jamais ne stationne, à un poste d’observation d’où notre œil peut observer tranquillement la vie des habitants, l’agencement confus ou géométrique des paysages urbains, constater l’éternelle rotation des constructions et des destructions, et jouir de la variation cyclique des saisons et du renouvellement magnifique de la lumière.
- Le deuxième temps est variable. Il s’adapte à la respiration du terrain exploré. A chaque communauté son tempo (plus ou moins rapide), son espace (découpé ou fluide), sa musique (aux diverses pulsations) : fixité fascinante de la techno, vibration sentimentale du classique, chaloupement sensuel du folklore, fragmentation allumée du hard-rock. On s’enfonce dans le Moment, le Rythme, puis, à l’issue de ces histoires séparées, on revient à l’imperturbable défilement sous-jacent, qui nous transporte ailleurs.
- Dans la troisième temporalité, l’Événement est si fort qu’il arrête la marche du Temps qui se condense sur place. Nous sommes alors dans un Pur Présent, avec ces plans-séquence où le rapport avec la réalité fugitive se fixe, dans un face-à-face avec la vérité de l’Instant.
Irréductibles, ces espace-temps suspendus dépassent les récits, rendent comme mythiques les personnages qui les soutiennent, les universalisent.
Cette succession-superposition d’images-temps hétérogènes conditionne l’articulation des séquences : lorsqu’elles ne sont pas séparées par le lent défilement du travelling, elles se succèdent bord à bord, violemment. Après des années de subtilité dans les transitions, Keuken revient à une utilisation radicale du raccord cut, dont la brutalité fait jaillir des éclats signifiants : passage d’un bébé au bain (tonalité blanche, douceur intérieure, famille) à un couteau tranchant de la viande (ambiance glauque, climat inquiétant de rue crasseuse), oui encore saut des pieds nus d’un clochard traînant sur le pavé à la main nonchalante de l’homme d’affaires tchétchène, au volant de sa BMW, sans crier gare, sans autre signal que le pli du sens.
Quand il n’y a pas, au raccord, ce conflit de sens, la simple confrontation de grandes parties antinomiques active notre faculté de montage interne. La succession tranchée de blocs/villes en guerre/campagne en survie/Amsterdam en fête fait pénétrer la violence lointaine au cœur de l’insouciance des réjouissances occidentales : ainsi, les feux d’artifice du Nouvel An transforment la ville hollandaise en une sorte de Bagdad sous les bombes. Et l’ampleur du choc ressenti à Grozny, en ruines et en pleurs, se répercute lors d’un incident de circulation fluviale, faisant éclater la mesquinerie de nos « guerres » civiles.
Le défilé du monde
A cette richesse temporelle répond une certaine simplicité dans la captation de l’espace. Le film est bâti sans emphase, avec un effacement, une transparence dans l’agencement des cadres et des mouvements qui parfois déconcerte, surtout si on connaît l’œuvre antérieur, tout en vigueur, en coup de force dans l’architecture des plans. Ici l’effort est gommé, l’effet de caméra reste rare : moins de réajustement, moins de démultiplication frénétique des angles, davantage de limpidité dans le filmage. Quant aux dispositifs visuels (par exemple sur la mobylette ou pour les scènes de concerts), ils sont mis en place sans fioriture, presque sèchement.
Ce choix masque les habiletés acquises, efface les articulations, entraînant une invisibilité du travail et donc un désarroi du spectateur. (« Cette musique ne vivra pas, car elle n’a pas de forme » disait Vincent d’Indy contre Debussy.) Mais cette dissolution de la forme est nécessaire pour atteindre ce qu’il y a « entre » les formes. Car plutôt que de s’attacher à la spécificité des différents univers exotiques qui cohabitent dans une même ville, le propos est de comprendre l’éclatement des cohésions internes, la perturbation des relations communautaires, la dissolution de leur frontière. Cette focalisation sur les limites indécises, sur les contours flous, sur le brouillage des lignes de rupture conduit le cinéaste à adopter une nouvelle stratégie, un changement de sa saisie de la « réalité ». Keuken-caméraman ne se mesure plus dans un challenge physique, ne cherche plus la confrontation musclée entre l’appareil et l’espace pour arracher, au montage, ce qui fera décoller du simple réalisme, pour accéder à l’image vivante, peuplée d’imaginaire. Il adoucit sa « caméra-scalpel » (Daney), arrondit ses angles d’« attaque » (Bergala), amortit la « collision marquée du réel et de son regard » (Fargier) 4. Son appareil caresse, épouse, accompagne le mouvement des nouvelles circulations qui irriguent le monde. Plus de cinéma qui démontre, qui déchire à coup de recadrage les couches illusoires du cliché. Ce n’est plus une caméra-au-poing, avec cette visée aiguisée qui scrutait les fractures. C’est un cadre enveloppant, qui dé-peint, dé-joue d’évanescentes fatalités, effleure du doigt des intervalles incertains.
Plus besoin de dé-monter, de dé-construire, quand c’est le monde lui-même qui s’est fracturé de l’intérieur, dissolvant ses différences, pour mieux masquer ses intolérances. Les affrontements ne se font plus bloc contre bloc, tout s’interpénètre. Plus nécessaire de chercher la faille, quand le Mur s’est écroulé. Inutile de surdécouper, quand un flot d’images zappe autour de nous.
La table de montage était un lieu de dissection, où se révélait, au photogramme près, l’éclatement et la richesse du signe. Keuken est passé, toujours à l’image près, à la haute-couture où les tissus du monde se joignent, se superposent, se tordent, s’enroulent dans sa machine à voir, s’entortillent jusqu’à parfois se déchirer avec brutalité, ou mélangent leurs couleurs pour défiler avec élégance, en faisant éclater leur contraste.
Une tolérance des stylistiques
La position caractéristique de Keuken, c’est de naviguer dans « l’entre-deux ». Il maintient un équilibre instable entre vérité et montage, entre filmage frontal et composition en angles obliques, entre documentaire et fiction. Pour lui, un film, c’est un « ensemble de relations dynamiques entre des images récurrentes », le style « …un ensemble d’errances, peut-être de tics, au travers duquel la personne de l’auteur se tient tout juste cohérente… (c’est) le dernier moment d’unité avant l’effondrement ». 5 S’il y a toujours eu, chez lui, variété stylistique, pourtant une figure dominait : sa fameuse conception « cubiste », qui abordait et reconstruisait le réel par succession de vues sous plusieurs angles. On la retrouve ici, quand on pénètre dans les lieux intimes (chez le Bolivien, chez le coursier), ou lorsque sont décrits deux mouvements coexistants (la magistrale séquence des rollers et des motos), bref lorsqu’il s’agit d’effectuer un franchissement (intérieur/extérieur), d’exposer une contradiction (regard/point de vue, vie/survie).
« Comment pouvons-nous encore offrir au spectateur, face à ce sentiment dominant de catastrophe politique et humaine, quelque chose qui l’incite à vivre et à chercher intensément ? » A la caméra, le monde n’offre plus sa façade d’unité. L’éclatement règne, devient la donnée générale du monde (aussi bien intérieur qu’extérieur). Aussi la fragmentation se mue-t-elle chez Keuken en figure de style parmi d’autres, cessant d’être celle qui prévaut sur l’ensemble. La nouvelle visée, plus ouverte à l’inattendu, incitant à la vie, ne sera plus déstructurante, mais suturante, fusionnelle même. Et voilà que le « cubisme » se transmue en un « constructivisme » plus positif, accepte de voisiner et même d’être dissout par des manières plus douces, dont un impressionnisme vibrant.
Cela culmine dans une scène de parc, long enchaînement de panoramiques gauche-droite que le saxo hyper-lyrique d’Albert Ayler rend confondant de tendresse. Dans la surprise, les références se bousculent : on retrouve les accents chauds d’un postimpressionnisme épicurien, comme le fractionnisme d’un Emile Bernard (et sa « Madeleine au bois d’amour »), ou le fauvisme d’un Pierre Bonnard. On croit entendre l’Henriette d’Une partie de campagne de Renoir : « Dis donc, Maman, quand tu étais jeune… est-ce que tu te sentais toute drôle comme moi aujourd’hui ? Est-ce que tu sentais une espèce de tendresse pour l’herbe, pour l’eau, pour les arbre… Une espèce de désir vague, n’est-ce pas ? Ça prend ici, ça monte, ça vous donne presque envie de pleurer… » On baigne en pleine « régression », avec retour vers un lyrisme un peu « hippie », très années soixante, qui ne manque pas de déclencher des réactions chez les gardiens de l’orthodoxie : à la sortie d’une projection, j’ai entendu quelque nostalgique de la « guerre de classe » qualifier de « chromo » cet instant de paix. Voilà accusé de mollesse, sinon de trahison, l’artiste qui délaisse le front de la révolution (permanente ? cubiste ?), pour s’abandonner à d’autres esthétiques, qui chante, non plus la lutte à mort, mais une lascive douceur de vivre. 6
Tout en restant incisive, la tonalité générale va donc se faire plus sensuelle. Pour franchir imperceptiblement les ponts d’une ville multi-ethnique, pour passer en douceur sur et sous ses multiples peaux, la touche ne sépare plus les lieux et les êtres, ne les écartèle plus, mais les relie, les enrobe. Il n’y a plus un style dominant les autres, mais une recherche de leur cohabitation. La tolérance des cultures se retrouve dans celle des esthétiques, l’entrecroisement des nations et des peuples engendre un patchwork des styles 7.
Pour charpenter ce film, on rencontre régulièrement de solides appuis : ce sont les plans-séquence, souvent virtuoses, piliers d’espace-temps, sur lesquels repose cette architecture aérienne. Comme nous l’avons vu, ils stoppent le voyage, suspendent le déroulement implacable du film qui se remet en mouvement dès qu’ils s’interrompent. « J’ai essayé d’être contre le système », dit Keuken, « de retrouver la liberté du Cinéma Direct, en me livrant le plus possible aux événements et en conférant au plan-séquence, lors de la prise de vue, une unité autonome de récit qui, en fin de compte, refuse de se laisser intégrer à la structure générale du film ».
Morceaux de bravoure qui semblent arriver tout simplement, au hasard d’une rencontre, au détour d’une rue, ils nous font « tomber » sur l’événement fort, sans avoir assisté à sa lente préparation. Ils nous atteignent d’un coup, sans que nos sens aient songé à se défendre, sans que nos émotions aient pu s’organiser. C’est comme si l’on poussait la porte de l’Instant Décisif, pour assister, par inadvertance, à la métamorphose du quotidien le plus banal en une vision suspendue et sublime. Et ils s’interrompent d’un coup, nous laissant ébahis de cette coupe franche, tout secoués par cette retombée dans le tempo régulier du film. Cette irréductibilité leur confère un charme, celui, à la fois précieux et douloureux, de l’éphémère. A la seconde projection, on remarquera à quel point ils sont minutieusement préparés au montage, afin d’exploser précisément, à l’acmé de leur puissance. 8
Ainsi une manifestation, à Grozny, surgit-elle de nulle part, se cristallisant par paliers en une tension inquiétante. On sent que la caméra ne fuira pas, qu’elle attendra là que la colère éclate. On pressent que l’on devra regarder jusqu’au bout la fureur de ces femmes, fixer leurs regards enflammés ou hagards, leur conviction exaltée ou leur lassitude désespérée. Et dans le dernier plan, qui s’allonge indéfiniment, nous sommes tenus de soutenir le face à face — avec nos questions, nos angoisses, notre émotion — jusqu’à l’épuisement des cris qui résonnent sur les façades ravagées, jusqu’à la dispersion de la rage qui s’accroche sur les branches déchiquetées d’une ville en lambeaux.
Ainsi cet autre plan, qui éclate comme l’évidence : tout commence dans les eaux noires d’un port enveloppé de brumes. On flotte le long d’un chenal où, seul, là-bas sur la berge, un homme fait sa gymnastique. Décor de fin du monde, débris postindustriel, signaux mystérieux. Voilà que l’homme nous rejoint, nageant sans but, dans les formes dissoutes, pour la poésie du geste. C’est comme l’absurdité des songes, et son visage semble celui du premier ou du dernier des hommes.
« Je sais que la vie est un rêve » déclare alors Keuken, shakespearien, de cette voix qui accompagne rituellement la plupart de ses films, inévitable comme la silhouette d’Hitchcock. D’habitude, ce sont des notations en forme d’état d’âme ou du monde. Ici, il évoque, aux limites de la ville, une vallée (mythique ?), où s’affairent des ouvriers. L’ambiance est presque fellinienne, on se croirait dans les brumes de Rimini, on attend le paquebot, on pourrait entendre Nino Rota.
Mais c’est Debussy qui surgit, avec les premiers accords de « La Mer », d’abord noyés dans le brouhaha incertain d’une répétition, puis ponctuant de ses notes rayonnantes les reflets mouvants d’un soleil levant, pour enfin éclater dans le plan-séquence.
Plan-séquence : une unité autonome de récit
Les façades sculptées du Siècle d’Or défilent, bordées d’arbres flamboyants qui nous font basculer dans une autre rêverie, celle disons d’un Minnelli, en un travelling lent pour magnifier l’automne du film. La ville palpite sous les ponts, vibre pour nous seuls. La pulsation s’accélère. Dédoublement du son : la voix du chef intervient, pour soutenir la pulsation lyrique. Les ondes sonores, enregistrées au cœur même de l’orchestre, s’infiltrent dans les murs, font trembler les feuilles, miroiter la lumière : glissando de cordes bien audible, frottement des archers, grattements des chaises, souffle des respirations. L’orchestre du Concertgebouw est le chœur de la ville qui, toute entière, attend. Et voilà le plan-séquence : on débouche, d’un coup, dans l’arène en plein centre, avec la caméra piaffant comme un taureau. Fini les préparations, les approches calculées, l’instant vital, Keuken le prend, paf ! comme il vient, droit au but, tous risques assumés, rien pour se couvrir, œil félin et attention de prédateur. Et il enregistre directement la pulsation juste, instruments de musique et cinématographe mêlés sous la baguette d’un même chef.
Nous sommes l’œil de l’interprète, l’oreille de l’exécutant, nous vivons la musique. Frémissement du cadre en phase avec la modulation debussienne, on se sent arrimé fermement aux aux appareils, toute sensibilité ouverte. On suit chaque nuance du maestro, qui soulève de la main ce vibrato des cordes, demande une inflexion des cuivres, remercie pour cette trille de flûte. Et tout d’un coup, dans le premier forte de l’œuvre : trois panoramiques fouettés qui balaient, zam, à droite ! et ran ! à gauche et de quatre, retour ! toute la salle de concert. Pan, balle au centre, ça devient sportif, blocage sans une hésitation sur Ricardo Chailly plein cadre. Confrontation de géants, fusion des arts, intensité de l’émotion, tout ça en seul plan, et hop, on s’en va. C’est l’hiver, on a basculé dans une autre saison et la neige a tout recouvert, pendant ce temps-là…
Cette simplification brillante, qui aboutit à la pureté du geste, est une évolution capitale chez Keuken. En redonnant aujourd’hui au tournage, à la relation filmeur-filmé une place centrale, à l’être-là toute son intensité, il se donne les moyen d’interpeller de plein fouet l’époque, d’éviter le sentiment si fréquent de dispersion, de dilution des images.
Déjouant la peur, refusant la fuite, il affirme l’importance de la co-présence, ici et maintenant, du cinéaste à son sujet. A la fois actant et voyant, il redonne un cadre vivable à des rapports sociaux et affectifs en constant délitement. Il en renoue les fils distendus, reprend contact charnel avec sa propre ville, avec ses origines. Il nous replonge à la source de toute existence, à la naissance des sensations : dans la matrice originelle.
Avec la grâce du trait
Avant d’analyser ce flash-back existentiel, notons que ce retour au geste premier du documentariste implique une aisance à parcourir, dans n’importe quel sens, l’échelle des complexités techniques. Se permettre toutes les remises en questions, c’est pouvoir oser l’extrême simplicité. « Il ne faut pas se crisper pour refaire les mêmes trucs qu’il y a vingt ans », dit Keuken. D’un côté, c’est un chercheur de formes insatiable, dont l’œuvre avance, par ruptures et variations. De l’autre, il est un artisan rigoureux qui ne lâche pas sa relation tactile à l’appareil, prêt à revenir au rapport le plus direct, physique, corporel aux gens et aux choses. Deux séquences, qui tournent autour du même objet (le pinceau), donnent une image métaphorique de cette nouvelle manière de reproduire le monde d’une seule prise, d’un seul coup.
Dans la première, des enfants d’origine chinoise apprennent les idéogrammes : on observe leur graphie hésitante, puis on admire les gestes accomplis d’une belle asiatique qui trace un court poème, avec la douceur d’une écriture coulée et ferme, toute dans l’illusion d’une apparente facilité. A voir l’encre vibrer, danser, couler sur le papier, à retrouver ses reflets sombres dans les canaux (donnant aux quais une allure orientale), on sent combien Keuken signifie de plus en plus par la touche, par l’élégance d’une approche déliée, par une circulation du sens plus fluide. Il n’utilise son style abrupt — on pourrait dire alphabétique — que lorsque c’est indispensable, préférant au tranchant de la lame la délicatesse du pinceau, au point sur les i d’idéologie la grâce d’un trait humble et décidé.
La seconde séquence est une entrée clownesque, avec ce clochard qui fait de la peinture « conceptuelle ». Rencontré au détour d’une vitrine, l’homme sort fièrement de sa poche « un pinceau pour repeindre en beauté », traçant dans l’air une forme abstraite. Philosophe des rues, ce Diogène, sorte de personnage d’une commedia dell’arte fin de siècle, est un déchiffreur lucide de la dégradation du monde visible, sans illusion sur sa capacité réelle à l’améliorer.
Tout comme un peintre médite, lorsqu’il figure « l’Atelier », et se raconte en prenant pour thème « l’Artiste et son modèle », Keuken définit sa vision dans cette scène d’apparence descriptive sur la calligraphie ou par ce témoignage d’allure sociale sur un SDF philosophe. La première dit le concret d’un artisanat (la rigueur des gestes, simples et néanmoins savants) et la seconde évoque allégoriquement (et avec humour) un cinéma qui dissimule sa force d’ébranlement sous la modestie de ses acteurs. Résultant d’un patient apprentissage, cet art d’improvisation circule sur tous les registres, du formel au social, du réalisme au visionnaire. Écriture immédiate qui stigmatise et poétise à la fois, l’art de Keuken est devenu aujourd’hui une ciné-calligraphie 9.
De la mécanique des solides à la circulation des fluides
On pourrait distinguer quatre périodes dans l’œuvre de Keuken, après celle des courts métrages, où il pose les bases de son travail. La trilogie Nord-Sud s’interroge sur la production matérielle, travaille le matériau filmique. Le cinéaste y décrit l’affrontement de l’homme avec les enjeux primaires : la terre, l’outil, la production du sol ou en usine, la cohésion et les conflits de classe et de race, la tension formelle dans et entre les plans. L’écriture est alors fondée sur le fragmentation, le morceau, le physique, le poids et la géométrie contrariée du cadre. La seconde période travaille les écarts entre un réel (fuyant) et une écriture (en mouvement), analyse les disjonctions entre la production et reproduction de la vie. C’est l’époque des errances choisies (le fameux, « Il est difficile de toucher le “réel” » de Vers le Sud), des désordres contrôlés (Tempête d’images). La troisième part en quête d’une sérénité, d’un temps plus paisible et de réconciliations. C’est la rencontre avec l’Orient (dans l’Œil au-dessus du puits) ou la célébration des syncrétismes culturels (Cuivres débridés).
Aujourd’hui, la quatrième période parcourt les extrêmes, de l’intime vers le Tout (Animal Locomotion), des origines jusqu’aux fins (Lucebert, Temps et Adieux).
Amsterdam est construit sur l’écoulement, la fuite, le transitoire. Tout coule et passe, la vie, onde et molécule, se disperse continuellement dans une ville perçue d’en-dessus, d’en-dessous, par les réseaux qui la traversent, la pénètrent, l’innervent : on glisse sur les canaux, on flotte dans l’air, on parcourt des tracés que suivent ou qui relient les personnages. La caméra se détache de la terre, ne fixe plus strictement les figures, mais l’espace qu’il y a entre elles. Aussi, à la première vision, cette œuvre a-t-elle quelque chose d’insaisissable qui nous file littéralement entre les yeux.
Cette fascination pour l’élément liquide, inspiratrice de la forme et horizon des milieux sociaux décrits, rappelle une évolution suivie par d’autres cinéastes (notamment expérimentaux, comme Jean Mitry, passant de la lourde locomotive Pacific 231 aux reflets mouvants d’Images pour Debussy). L’eau aussi est le thème de toute une série d’auteurs français (Epstein, Grémillon, Vigo, Renoir), dont Deleuze analyse les points communs : « L’abstrait liquide est aussi le milieu concret d’un type d’hommes qui ne vivent pas tout à fait comme les terrestres… Le drame, c’est qu’il faut rompre les liens de la terre, le père avec le fils, la femme avec l’amant, l’enfant avec les parents il faut se faire solitaire pour atteindre à la solidarité des hommes » 10.
Voilà ce que raconte Amsterdam, à la fois formellement, psychologiquement et socialement. Tous les personnages principaux sont condamnés à errer au loin, coupés de leurs racines terrestres, rejoignant un peuple de la mer (celle des flux et des reflux économiques) qui doit surnager pour survivre. Les films antérieurs racontaient le combat des producteurs de biens matériels s’accrochant à leur espace : pêcheurs à pied luttant pour maintenir leurs lieux de prise (La Jungle plate), squatters défendant leur logement pourtant provisoire (Vers le sud), derniers paysans avant l’exode rural (Vacances d’un cinéaste)… Ici, tous exercent une activité flottante sans territoire, tous semblent entraînés par un courant irrépressible : trajet vibrillonnant du livreur de photos qu’une nouvelle vague de progrès — la transmission électronique des images — va pousser encore ailleurs, pratique musicale du Péruvien détachée de son ancrage social (il joue sa « musique des moissons » dans un HLM), flottement de son arrivée par les airs en Bolivie où, indien exilé, il n’a plus qu’un statut provisoire, affaires évanescentes du Tchétchène et égarement dans son pays dévasté, récit de la femme juive dont la communauté a été décimée et qui ne reconnaît plus les repères de son passé…
Mais alors que les hommes à la caméra « synchrone », à l’origine du documentaire moderne, ont assuré une cohésion (des paroles avec les images, mais aussi du cinéaste avec un peuple, et des films avec des mouvements libérateurs), l’éclatement contemporain ne permet plus cette ressoudure par les récits cinématographiques. Le cinéaste ne peut plus intercéder dans la débâcle : l’écoute, la parole « fabulatrice » l’incantation n’y suffisent plus. Ce n’est plus la langue qui peut suffire à fusionner dans les Tours de Babel que sont les grandes métropoles.
Pourtant, on doit passer par les mots, s’appuyer sur ces repères décalés, malgré les vides et le silence. Ils sont toujours denses, intensément éclairants, mais témoignent imparfaitement des aspirations et des désespoirs d’une population d’exclus sans nation; sans terre, sans papiers et sans autre narration fédératrice que des histoires fragmentées.
Mondialisation d’une plainte
C’est dans la séquence en Bolivie que ce déchirement des êtres, emportés par les courants irrépressibles de la mondialisation, se trouve formulé de la manière la plus touchante et douloureuse à la fois. Car le jeune Bolivien est conscient de tout ce qu’il voit disparaître dans son exil. Il a donné à son fils le nom d’Ayni (Entraide) et son groupe musical s’appelle Yetianya (Communication), rappel explicite des valeurs englouties. De retour dans son village, il offre cahiers et matériel scolaire, pour que sa culture — qu’il a abandonné — ne disparaisse pas, pour que le nom de son peuple ne s’efface pas. Puis il dit à sa mère, en train de pétrir le pain : « Maman Chérie, raconte-moi comment j’étais autrefois. Retournons en arrière » : Et la femme, dans une longue mélopée, qui semble prendre à témoin, au-delà de la caméra, le monde entier, psalmodie les lamentations d’une femme brisée. « Tu as pris une calebasse et tu es parti. J’ai pleuré chaque jour: « Peut-être il erre dans les rues, affamé ? » Tu étais loin et tu continuais ta route… Ton père me hait. Nous sommes des ennemis et pourtant des époux… J’arrache les pommes de terre et je cueille les fruits moi-même. Je sanglotais, je me sentais très malheureuse… Mais tu es ici et mon cœur est en paix… » Réunis une fois encore par les gestes séculaires de la cuisson du pain, leur fusion retrouve les mêmes accents doux et menaçants que dans cette scène de L’intendant Sansho de Mizoguchi, où la famille se regroupait une dernière fois autour d’un foyer fragile : sensation de voir filer quelques fragments de bonheur qui s’éteindront, dispersés par les vagues du destin, joie frêle qui semble environnée d’une menace invisible, procurant une tristesse indicible. Keuken crée une mystérieuse tension, fait ressentir la mélancolie vrillée au cœur du présent même, comme si l’immédiat ne pouvait consister et se vivait déjà au passé.
« Tu te souviens, lorsque nous avons cuit le pain », cette phrase semble flotter là entre la mère et son fils. Pourront-ils seulement la prononcer un jour ? Terrible sentiment de dernière fois qui étreint des êtres qui se savent condamnés à ne pouvoir vivre le Temps. La séparation rôde, même s’ils veulent préserver un instant de chaleur, en ne se l’avouant pas l’un à l’autre. Étouffer ce déchirement semble ralentir chacun de leurs gestes, raréfier leur parole. Futur implacable de l’exil qui est visible, rendu perceptible, dans les silences, la gravité des mots anodins échangés, la douceur-douceâtre qui s’échappe du cœur en crissant comme du sable, dans l’écoulement de cette vie suspendue et limitée, qui n’aura jamais de plénitude. On a rejoint ici, émotionnellement et esthétiquement, la force bouleversante des plus grands moments du cinéma, lorsqu’ils saisissent, avec compassion et lucidité, les convulsions universelles.
La voix des mères
Devenus urbains, travaillant dans le tertiaire, les personnages ont rompu le lien physique avec la terre-mère. Ville sur l’eau (pour ses habitants et les touristes), ville de renaissance (pour les immigrants) et ville natale (du réalisateur), Amsterdam est un nouvel utérus. L’ensemble du film, avec son déroulement constant dans le même sens, donne le sentiment d’être en courbe, d’envelopper tout et tous dans son placenta. On se promène autour des formes rondes du monde, pour s’arrêter à tel organe sur lequel on fond, comme on scrute un cœur sur une échographie. Précisément, on suit une naissance de la grossesse jusqu’aux premiers pas, et le film décrit un cycle annuel, d’un printemps à un autre.
Mais, tandis que les personnages luttent pour re-vivre, tissant de nouvelles relations, cherchant une nouvelle autonomie, ils ne peuvent oublier la communauté ancestrale. Chacun est relié à ce qui lui rappelle dangers et souffrances de l’isolement. Ce n’est plus une attache physique. Ce cordon ombilical immatériel, transmis par des ondes, c’est une Voix. Chez le Tchétchène, elle passe par les appareils (téléphones, télévision) dont il s’entoure pour rester branché en permanence avec son pays en guerre. Quand il y retourne (dans une démarche humanitaire, pour sauver des enfants veillés par des femmes muettes aux regards éperdus), il doit entendre les cris de détresse de sa famille qui, réfugiée pour fuir la répression brutale, pleure et en appelle à lui. Sa mère est là, qui le supplie de rester près d’elle, et l’homme se fige, de cette confrontation directe avec le chant nu du malheur. Il semble déchiré entre les culpabilités d’un exil confortable et les supplications de son peuple (son propre frère, qu’il a cru mort, se bat toujours). La Voix ne lui parvient plus a distance, filtrée par le spectacle médiatique, mais « live » , avec toutes les vibrations tragiques d’un opéra russe.
Pour l’enfant juif, dont la mère était chanteuse d’opéra, le lien vital a failli se rompre, et la Voix a failli s’éteindre. Aujourd’hui, adulte, il demande qu’Elle lui chante son histoire, du militantisme à la Shoah, de l’Opéra de Quat’sous de Brecht jusqu’au théâtre juif dispersé. I réécoute avec délice le trajet de cette mélodie évanouie qui revint jusqu’à lui. Un jour, la guerre finie, le fils put chanter avec sa mère la contine traditionnelle qui les réunissaient pour toujours : de leur chant mêlé, ils ont ressoudé le lien menacé. Et cette scène se rejoue devant nous, sur les lieux mêmes, répétition-exorcisme de la sortie du trauma, à forte connotation œdipienne. Car le père, lui, n’est pas revenu. « Ils ne restent plus que nous deux » disait le fils à la fin de L’intendant Sansho.
La Voix devient une trépidation, sourde et mutique, avec la disc-jockey : elle fait entendre, à une foule plongée dans le plasma sombre d’une discothèque, le battement des vibrations originelles. C’est de la house-music (bien nommée) pour le motard qui s’abandonne aux pulsations-substitut de sa famille perdue. Enfin, nous avons décrit le voyage du Bolivien au pays du vent et des soupirs, dont il rappelle les accents plaintifs de sa flûte nostalgique.
Cette Voix, c’est donc celle de la Mère. Appel venu des origines, elle réveille toutes les douleurs de la séparation, dit la crainte que dans cette nouvelle naissance au sein du village global se rompe le lien premier. « La Mère s’empresse de rétablir avec ses enfants, qui lui échappent, le lien vocal pour les enchaîner à son inquiétude.» 11
Le comportement étrange du personnage que nous avions rencontré plus haut, nageant sans but en plein brouillard, peut alors prendre sens. C’est l’Homme de la mer, cherchant à se séparer de la ville utérine. Où va-t-il ? C’est à cela que tente de répondre le réalisateur, lorsqu’il raconte son aller-retour hors des limites de la cité, pour réparer sa voiture — ce moyen d’être autonome. Lui aussi (au cours de ce film, au fil de son œuvre) a fait The long voyage home et a traversé — comme en rêve — un Eden où les derniers ouvriers cultivaient leur dernier jardin. Il téléphone à sa femme, au loin : « J’entends sa voix » dit-il, lui aussi. 12
Le film ne tente plus de reconstituer une collectivité, un peuple, comme ont pu le proposer Rouch ou Perrault et tous ceux qui suivirent. Le nageur ne va nulle part. On a quitté le cinéma des frontières, on est sorti de l’Histoire, on navigue en pleine ambiguïté. On a plongé dans le symbolisme. « Le symbole rend seulement présente — en nous y rendant présent — une réalité qui échappe à toute saisie et semble surgir, là, prodigieusement lointaine, comme une présence étrangère ». 13
Dans cette composition, il y a un absent de taille : c’est évidemment la figure ancestrale du Père. Exils, séparations, guerres ont balayé ce pivot des sociétés rurales, terriennes, sédentaires. Nous observons des tribus nomades, où l’homme est discret, attentif, féminin presque. D’ailleurs chacune des femmes, lorsqu’elles sont interviewées, décrivent leur compagnon comme un Nouveau Père, doux, mais fragile. On sent la faille (maladie, angoisse, mélancolie…) qui témoigne de la lutte pour s’implanter contre vents et marées. Ce sacrifice du Père, dû aux circonstances, a été une fois l’enjeu d’un choix conscient. C’est le souvenir tragique qui torture encore la femme juive. Elle a choisi de se cacher, laissant ainsi son mari à son destin : il mourra seul dans les camps.
Pour vivre dans une société aux lois désaxées, instables, flottantes, les personnages doivent subir et finalement accepter l’incomplétude, la frustration. La structure complète, le système satisfaisant, n’est plus atteignable, ni même vivable. Le manque majeur, signifié par la disparition du Père traditionnel, c’est finalement ce qui fermerait la boucle, bouclerait le global : c’est la plénitude (disparue ?) du Bonheur. Car les fêtes africaines sont un peu amères, sous leur ciel de béton, les familles un peu tristes, car dispersées, étroites ou sans avenir assuré. Même la scène du parc apparaît, avec son climat d’insouciance fragile, comme une parenthèse : son aspect « idéal » la rend finalement poignante, avec ces couples marchant dans un bain de splendeur… provisoire.
Jamais d’accomplissement, il faut savoir vivre les instants passagers et fugaces, les prendre comme des ilots préservés au milieu d’un monde à la dérive. Amsterdam marque les limites de la Lutte, enregistre la disparition de l’Avenir radieux. C’est ce qui fait la force de ce film, de savoir construire, au milieu de relations flottantes et des valeurs en ruines, une scénographie des plaisirs lucides et des douleurs profondes où un microcosme cherche à se refonder coûte que coûte.
Pourtant, lorsque le film rencontre une situation pleinement heureuse, il semble passer à côté de lui-même. C’est le cas de la séquence de boxe thaïlandaise, où la famille s’agrège en une cellule parfaite et harmonieuse. Le père est entraîneur, le mère observe fièrement les victoires de son fils, tandis que le petit frère ne songe qu’à suivre la voie toute tracée par l’aîné. Tout cela fonctionne si parfaitement que notre intérêt se perd, que l’image les réunissant paraît comme hors du film. C’est la faille d’un moment sans faille, une sorte de passage à vide, alors que, jusque-là, le film gagnait à capter ceux qui cherchent leur identité en dépit des maillons manquants.
À la poursuite de ses points d’équilibre, l’époque s’agite entre ancienne communauté et nouvelle sauvagerie. Ce que soulignent le début et la fin de l’œuvre. Ouverture avec Saint Nicolas, grand-père de pacotille, mythe gâteux et dépassé qui ne peut plus assurer d’autre épanouisse. . ment que ceux du commerce et de la béatitude infantile. Clôture par un ballet de mouettes affamées se disputant quelque nourriture, griffant bandes image et son de leur cris et de leurs vols désordonnés.
Tout se brouille alors sur l’écran : loi du marché et loi de la jungle dissolvent toute humanité, font basculer dans l’irreprésentable — vision prémonitoire d’un désordre apocalyptique qui menace. Amsterdam est une parenthèse qui écarte cet avenir désastreux, recomposant les possibles qui s’insinueront dans cet entre-deux. 14
Jeux d’amour imprévus
Le film en vient à sa conclusion. Pour imager les nouvelles relations, les fusions possibles, la caméra passe soudain à l’intérieur d’une pièce. Cette séquence est la seule qui, suivant une technique de montage utilisée abondamment dans les films antérieurs, est annoncée de façon récurrente 15 : on a vu une série de fenêtres, prises du sol, et qui défilent, sans explication, closes et silencieuses. Une fois, on a attrapé au vol les conversations de deux voisines, une autre, deux jeunes filles mystérieuses posaient en silence derrière les vitres, l’une portant un T-shirt marqué « Love ». On retrouve une jeune femme dans la même position, derrière sa fenêtre, mais cette fois la paroi extérieur/intérieur est franchie. Ce contre-champ brise définitivement le statut d’un film qui était jusque-là « dans » la réalité. Quittant le reportage « improvisé » et même « arrangé », on entre dans une scène « préparée » , au sens où Cage parlait de piano « préparé ».
Dans le contre-champ, à l’intérieur de l’appartement, que voit-on ? La femme derrière la fenêtre se retourne, sourit, fait face à un homme et se déshabille. Leur corps se rencontrent, ils se caressent, puis d’autres corps s’enlacent, dans une alternance de couples hétéro ou homosexuel(le)s. On vient de franchir toute la gamme des procédés (découpage, actions mises en scène, série préméditée) qui sont les marqueurs du fictionnel. Mais ces couples ne simulent pas l’acte sexuel, ne le jouent pas, ils font vraiment l’amour. On se trouve donc dans une zone intermédiaire, juste après le document et juste avant le fictif ou le pornographique.
Un changement de registre, dont Keuken est familier, s’effectue ici, avec cette collision entre fiction minimaliste et proposition vériste. Il a déjà joué fréquemment sur les artificialités de la représentation du corps filmé, soit dans des films qui s’affirmaient comme des reconstitutions documentées (Beauty, Le maître et le géant, Le temps), soit dans des séquences où l’imaginaire semblait envahir les personnages, les faire sortir momentanément de leur statut d’observé, pour devenir source d’une rêverie, la leur, celle du cinéaste (Le masque). Ce dernier nous plongeait alors dans un ailleurs troublant, d’autant que les modèles (d’une rigueur assez bressonienne) y étaient souvent muets ou avares de paroles. Essais d’un cinéma non-narratif qui s’attaque au corps, à la sexualité, au couple, à la famille, aux fantasmes, donc finalement au désir. Or, les genres non-fictionnels ont pour règle de surprendre les situations intimes, de les capter, de les dérober, à la rigueur de les « voler » , mais non de les ordonner 16.
De ces films et ces séquences, Keuken déclare qu’ils sont frappés « d’un statut d’incertitude » et on pourrait appeler, à sa suite, ces travaux ondoyants entre documentaire et fiction, des « films d’incertitude ». Lorsqu’un documentariste passe ainsi à la fiction, se crée un certain désarroi parce qu’il n’y « passe » jamais complètement. Il reste dans une zone « indéfinie » , étrange et peu balisée, produisant
des images et des montages qui touchent, à partir d’histoires non discursives, à l’univers trouble des rêves individuels, des projections sociales, des voyages intérieurs… bref, à la poésie pure. 17
En outre, on ressent, dans cette chambre d’amours d’Amsterdam, reconnaissons-le, une sorte de gêne, comme d’avoir été emmené par-delà un point critique, ou comme d’avoir « changé de film ». Mais cet inconfort est logique puisqu’on traverse précisément cette zone de turbulences, où le documentaire dispute à la fiction le droit d’un regard sur l’intime 18. En ce lieu, Keuken nous fait voir à quelle condition le fictif diverge du vrai. Il convoque devant son objectif de « véritables » amants, qui s’embrassent et s’aiment avec une autre « sincérité » que ceux d’une fiction. Ses couples ne simulent pas le désir, ils sont le désir. Et l’artifice vient de ce qu’il leur a été demandé de se joindre à ce moment-là, sous l’œil d’un appareil.
Après l’émergence du cinéma-vérité, où le cinéaste donnait la parole « fabulateurs » du peuple, avec leurs mots et cette mémoire qui s’opposaient aux vérités des maîtres, voilà le saut du cinéaste-expérimental, qui fait entrer en scène les corps anonymes, pour qu’ils se mettent en mouvement contre la domination du show-business.
L’acte amoureux, comme les autres mouvements du désir, n’est plus un geste réservé aux fabricants de fiction. Il n’a plus besoin d’être pris dans une histoire, soumis à un scénario inventé. Le trouble que procure cette scène vient donc d’une remise en question radicale : ne plus accepter la domination que la fiction a fait peser sur la représentation. En franchissant cette barrière, Keuken recoupe les recherches du cinéma non scénarisé, celui de Lumière et Vertov, ou de l’underground (Warhol, Mekas), les transes et les suavités du cinéma ethnographique, ou encore les figures alanguies de Chantal Akerman, ou même les transgressions (shocking !) de Sophie Calle, et encore qu’on nomme l’auto-fiction, qui visent tous à faire sauter ce qui cloisonne la relation du corps aux images.
On notera, dans cette séquence, le choix de ne faire apparaître aucun sexe à l’écran. Rigorisme luthérien ou reste de pruderie « politique » ? Peut-être. Et puis, dans le cinéma de Keuken, le corps est apollinien : toujours plutôt luttant que s’exhibant, souffrant que provoquant. (C’est la matière, l’expression, la structure qui sont jubilatrices, explosives, proprement dionysiaques.) Mais cette retenue est cohérente par rapport au propos général : il ne s’agit pas tant de relater le sexuel, que d’enregistrer l’émotionnel, pas tant de pénétrer que de fusionner, pas tant d’être différent que de devenir… avec l’autre. Ce peuple du film-fleuve Amsterdam, dont nous venons de suivre les errances, les douleurs, et dont nous percevons les espoirs, cherche son espace de créativité et son port d’attache. Dans cette scène d’amour oscillant, le tangage du cadre, les craquements du bois indiquent que c’est en naviguant, dans les rencontres des individus, dans la fusion à la base, que vont se réaliser les possibles tolérances, les futures relations.
Et d’ailleurs, on enchaîne sur le petit bonhomme « Entraide » (Ayni), qui fait rouler son ballon, et regarde vers nous. Nous nous sommes habitués à faire partie de la famille, nous l’avons vu grandir. Nous attendons tant de lui que nous le regardons intensément. Et lui nous observe, intrigué d’une telle attente.
Être à tu et à toi :
En présentant Amsterdam, Global Village en avant-première à Paris, Johan van der Keuken fit un imperceptible lapsus. Si je me permets de l’évoquer et d’en donner ma lecture, c’est que ce minuscule glissement m’alerta sur les circulations souterraines d’un film qui ne fonctionne pas seulement dans les parcours définis, mais navigue plus secrètement, remuant ce qui est hors contrôle, justement. Quel est ce lapsus ? Commentant la dédicace du film, discrètement insérée dans le générique de fin (« La vie, c’est 777 vies en même temps », phrase de l’écrivain Bert Schierbeek, mort récemment), Johan rapporta la promesse qu’il fit à son ami si cher d’illustrer sa pensée sur le foisonnement vital. Aussi, pour marquer cette communauté d’esprit avec lui, annonça-t-il: « Dans ce film, je vais filmer des moment de vie à moi… eh, à toi ». Le réalisateur livrait là, par cette hésitation, qu’il ne savait plus quand il avait capté sa vie ou celle des autres, et me soufflait pourquoi ce film touche si intensément.
Lorsque le pont est franchi, où le mien est le tien, où l’ailleurs est ici et l’ici ailleurs, lorsqu’on accepte la présence en nous de fantômes lointains dont la voix nous trouble, on glisse alors dans des régions brouillardeuses où il n’y plus d’identités définis, de séparation entre les mondes : des ombres floues nous jouent des tours, font glisser notre langue sur le toi et moi, pour nous arracher hors de nos limites.
Keuken ose aller et nous entraîne jusque-là où l’individu, la communauté, les vies se fondent, se dispersent, puis se refont. À qui sont ces moments qu’il filme ? Est-ce les siens pour son ami, est-ce ceux de son ami à travers lui, ceux de chacun des personnages ? Avons-nous vu son film, le leur, ou le nôtre ?
Voilà donc ce que ce film atteint : les points de fusion, de confusion et de redéfinition du moi et l’autre, du visible et de l’invisible, du quelque part et du néant. Lors d’une séquence inoubliable, Keuken filme de front des cadavres à Grozny. Un bébé cireux dans les bras d’une mater dolorosa devient une icône d’une incroyable intensité. Le corps d’un vieillard, dont la rigidité n’est pas un instant objet de complaisance, déclenche en nous une immense et bouleversante compassion. La mort est regardée en face, dans sa fixité de marbre. Non comme une chose dégoûtante, mais cadrée jusqu’au risque d’être belle comme une Pietà, modulée comme un chant funèbre, patinée comme une sculpture antique. Car c’est par un temps assumé, dans toutes ses dimensions, de l’instant interminable à la durée fugitive d’un plan, que le cinéma de Keuken embrasse la Vie et la Mort dans leur ronde incessante. Il nous renvoie à notre violent désespoir d’humains devant le spectacle de notre autodestruction, exposant notre condition d’êtres voyants, tragiquement ressentant. Tel est le corps de Borz-Ali, le Tchétchène, venu s’agiter en humanitaire, et qui reste figé, statufié, paralysé, mais humanisé.
L’autre, disparu, est en nous, et fait de nous des sur-vivants. Au milieu des bonheurs dissous et des civilisations en perdition, des dérèglements dans la rotation du monde, la solidarité pourrait donc se retrouver, perceptible, visible, mais fugitive comme l’eau. Comment regarder par-delà les différences, les frontières, les limites, comment voir encore de la Vie dans ce climat de massacres des corps et d’éparpillement de l’image ? En voyant par-delà la Mort, qui obture tout.
Un film précédent de Johan s’était vu opposé le reproche de se risquer dans ces mêmes zones interdites, irrespectueuses, troublantes. Dans la trilogie sur l’artiste Lucebert, une séquence extraordinaire hantait l’atelier du peintre, la caméra parcourant le lieu déserté, y recréant la vie et rendant visible le sentiment, insupportable et transgressif, de la présence/absence d’un homme disparu et pourtant toujours là. Flottement de l’existence… On se souvient des mots douloureux de Jean-Luc Godard, tentant une réconciliation post-mortem avec François Truffaut : « François est /peut-être mort. Je suis peut-être vivant. Il n’y a pas de différence, n’est-ce pas ? ».
Immense Manifeste pour un monde mélangé, malgré la Fatalité des frontières… Long voyage chez l’autre, chez soi, et en soi-même… Et si ce film nous bouscule, nous choque, nous envoûte, c’est qu’il nous prend tout entier, nous fait traverser les mondes, et nous emporte, au-delà…
- Le Père, exilé pour rébellion envers l’autorité, à son fils, dans L’intendant Sansho de Mizoguchi Kenji.
- « Art moderne : que tous les moments, toutes les parcelles d’une œuvre ait une égale importance esthétique ». M. Kundéra, Les Testaments trahis, p. 190, éd. Gallimard
- Deleuze, L’image-temps, p. 196, éd. de Minuit.
- Daney, Ciné-Journal, p. 87. A. Bergala, « Le Monde Diplo-matique » Mai 87. J.-P. Fargier, « Cahiers du Cinéma » n°289.
- Johan van der Keuken. Trafic n°13, hiver 95.
- Pour les artistes engagés, il est toujours délicat de faire un pas de côté, de quitter les jouissances, l’excitation et les aveuglements du « combat ». Lors d’un colloque intitulé « Filmer la guerre » Marceline Loridan-Ivens avouait qu’après avoir tourné tant de films de guerre, il lui avait semblé presque impossible de « trouver des éléments dramatiques dans la paix »… « Il m’a fallu quarante ans pour m’apercevoir que j’avais été élevée dans la guerre et que cela me convenait parfaitement ». Rencontre « Filmer la guerre » Scam/Fondation Joris Ivens, 7 janvier 96
- On pense à Picasso ou Stravinsky, qui synthétisent à l’intérieur d’un même tableau ou morceau toutes les époques antérieures (la leur et celle de leur art). Faisant cohabiter dans leur travaux plusieurs styles différents, leur style passe alors au-delà du style, dans la profusion, le rythme, le mélange et l’enchaînement des styles.
- « Saisir l’image de la réalité non encore déformée par l’intelligence, transmettre l’impression pure telle qu’elle a été matériellement ressentie », ce pourrait être le programme du film, c’est une définition de l’impressionnisme, tel que Stephane Jarocinski le définit dans Debussy. impressionnisme et symbolisme.
- « Où commence l’écriture, où commence la peinture ? » se demandait Roland Barthes dans L’Empire des signes (p.31, éd. Skira-Flammarion). Les films à composante asiatique (I love dollars, l’Œil au-dessus du puits, Cuivres débridés) ont évidemment influé sur cette évolution « culturelle » du style. Cela n’a pas augmenté la « visibilité » du talent de Keuken, car l’Occident reconnaît peu de valeur au brio esthétique-technique des artistes-artisans. Les mouvements du tiroir-caisse focalisent tant les médias qu’ils sont devenus aveugles à la Beauté du Geste. Quant à la cinéphilie, qui aime tant listes et catégories, elle peine à étiqueter cet inclassable, avec ses incessants voyages de l’infra-monde à l’Extrême-Orient, du trop visible à l’imperceptible.
- L’image-mouvement, p. 113, éd. de Minuit.
- Michel Chion (La Voix au Cinéma, p. 91-96, éd. de l’Etoile, 1992). On pourrait comparer longuement Amsterdam et L’intendant Sansho, leur thème est le même : les conséquences sur la vie familiale et communautaire d’un bouleversement politico-économique. On retrouvera de nombreux rapprochements, notamment la fonction des éléments liquides qui parcourent les deux récits, et le chant « Zushio, Anju, tu me manques » qui fait écho aux plaintes des mères. La grande différence, c’est que Mizoguchi est un tragédien sentimental, qui contemple les fatalités et magnifie les émotions désespérées : les pêcheurs de l’ile de Sado resteront ignorants des efforts et des souffrances de la famille de Masauji dans sa lutte contre l’esclavage, donnant une conclusion amère à l’histoire. Alors que Keuken, lorsqu’il fait se dérouler le récit de l’Holocauste devant une famille venue du Surinam, se révèle un dramaturge visionnaire et optimiste, qui croit à la transmission de l’expérience au sein du peuple et des artistes, et espère en une lente progression de l’Histoire.
- JvdK me disait que, lors du tournage en Tchétchénie, les contrôles militaires continuels lui rappelèrent ceux de son enfance, pendant l’occupation allemande. Confirmation que ce film se propose un retour— métaphorique — vers l’enfance et ses angoisses.
- M. Blanchot, Le Secret du Golem.
- La référence aux Oiseaux d’Hitchcock n’est pas du tout déplacée. Là aussi, une famille qui tente de se reconstituer, sans père. Là aussi, une tentative pour s’autonomiser, et sortir des angoisses d’une mère possessive. Les deux films sont un tableau d’un monde à la dérive, au bord de la catastrophe, et une recherche des liens vivables.
- Keuken ne fait donc pas seulement des reprises thématiques, mais aussi structurelles, de ses travaux antérieurs. Cette construction par répétition de plans, jouant sur notre mémoire pendant la projection, était très fréquente dans ses films précédents. Elle est utilisée ici une seule fois.
- Cette restriction de la captation du désir, qui le sépare de la fiction, a été fréquemment transgressée par des « reporters du fantasme » , en particulier dans la photographie moderne et post-moderne. La liste serait longue, du pire au meilleur (Helmut Newton, Cindy Sherman, Robert Frank…)
- On pourrait citer (outre Keuken), Depardon, Kramer, Marker et, faisant le chemin inverse, Varda, Egoyan, Bartas…
- Ce domaine intermédiaire (entre privé et public, reporters et voyeurs, arrangement du vrai et manipulation du faux) provoque régulièrement discussions, polémiques, scandales. Et même procès, on se souvient de ceux déclenchés par la fameuse photo de Doisneau « Les Amoureux de l’Hôtel de Ville » (un baiser justement) dont la rencontre fut « arrangée ». Sans parler du débat sur la mort de Princesse Diana — mise en scène de réalité/fiction.
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Amsterdam Global Village
1996 | Pays-Bas | 4h05
Réalisation : Johan van der Keuken
Production : Pieter Van Huystee Film & TV (PVH Films), NPS-TV, WDR - Westdeutscher Rundfunk
Publiée dans La Revue Documentaires n°16 – Mémoire interdite (page 131, 4e trimestre 2000)