Sylvie Thouard
Tu n’as rien vu à Hiroshima, rien — J’ai tout vu, tout…
1959
Fins de…
Désorientés par la quantité d’informations reçues chaque jour, nous parlerions de chaos et, impuissants à figurer le monde contemporain, incapables de le penser, de nous y situer et par là d’agir, nous serions des résignés, des zombies.
Fin du politique.
Alain Badiou souligne à juste titre, me semble-t-il, la nécessité de « rompre avec le motif, aujourd’hui omniprésent de la finitude » 1.
Fin du monde, fin de l’histoire, fin de siècle…
Et fin du cinéma. La télévision, et depuis l’affaire tant discutée du Loft, la télé-réalité, envahiraient nos âmes. N’oublions pas que Serge Daney, même pendant la guerre du Golfe, cherchait à « voir malgré tout », même à la télé 2.
Mondialisation
Projet de l’économie libérale, ou bien tout simplement inéluctable développement du capitalisme, état de fait in progress, processus ?
Utopie — de gauche et maintenant de droite.
Combat dans l’actualité politique contemporaine.
Résistances.
On parle aussi de « globalisation », en anglais surtout. De l’acception économiste de ces termes, on glisse à d’autres usages.
Une nouvelle conscience émergerait, conscience du monde entier via l’Internet, la dissémination des images CNN, les franchises MacDonald, les interventions américaines en divers points du globe tout autant que l’attaque du World Trade Center (à noter que ce symbole du centre du monde économique est de plus en plus souvent désigné, par son surnom pudique de Twin Towers) 3. Conscience globale, que l’ampleur des désastres de ce siècle renforce : guerres mondiales, génocides, SIDA, effet de serre… Cette magnitude, nous n’aurions pas encore forgé d’outils pour la représenter. Les cartes, les mappemondes dont nous disposons n’y suffisent pas.
Il nous faut aujourd’hui conjuguer de très nombreux paramètres en apparence incompatibles : virtualité et rapidité des transactions financières sur Internet, lenteur physique de la circulation des denrées, des migrants traversant illégalement des frontières. Histoire des industries régionales et déplacements d’usines au tiers monde ou dans les zones frontalières détaxées, ébranlement des cultures nationales et locales, « nouvelles » vies de femmes migrantes ou restées seules. Espaces vidés et villes trop pleines, de migrants déracinés. Multitemporalités et oubli. Comment figurer ces mouvements incessants et incontrôlés, ces glissements de terrains, parfois accidentels, parfois prévisibles ?
Irreprésentabilité
Les bouleversements esthétiques du XXe siècle dériveraient de nos difficultés à démêler l’écheveau des causes et effets de désastres d’une ampleur mondiale.
C’est la thèse d’Hayden White 4. Ce siècle connaît des bouleversements de dimension planétaire qui suscitent traumas, incompréhension, interprétations diverses et contradictoires. La notion même d’« événement », l’un des piliers de la trinité réaliste — personnage / événement / récit — est minée par des tragédies de dimension « holocaustale » dont nous n’avons pas encore la « maîtrise psychique ». Les romans modernes avaient déjà exploré la dissolution des personnages et du récit. D’une magnitude irreprésentable par les techniques narratives et descriptives établies, néanmoins largement médiatisé, l’« événement » s’émiette en de multiples contextualisations, devient « fait ». Le tabou qui interdisait de mélanger faits et fictions est levé. Émergent de nouveaux genres littéraires et audiovisuels, « méta-fictions historiques », « reality shows », « infotainments », « docudrames » qui tous fictionnalisent plus ou moins personnages et événements historiques.
En conclusion, White prône la mise en œuvre d’une esthétique moderniste : les techniques de collage et de fragmentation proposées par des auteurs comme Gertrude Stein ou Virginia Woolf sont historiquement adéquates, adaptées à la dimension globale et traumatique des événements du XXe siècle. Leurs innovations stylistiques ne rétablissent pas la hiérarchie des faits sous-jacente à la notion même d’« événement », mais au contraire dé-fétichisent ce pilier du récit des historiens traditionnels.
Les critiques de sa thèse lui reprochent de se fonder sur l’examen de stratégies d’écriture, et de négliger celui des stratégies de lecture, la compétence des spectateurs contemporains, les clivages de classes et de cultures, l’importance politique de films largement distribués qui créent une vaste sphère publique. De plus, bien des femmes, auteurs ou réalisatrices, lectrices ou spectatrices, ne se préoccupent guère de l’« événement », puisque les femmes ont la douloureuse conscience que l’Histoire est aussi ce qui ne se produit pas 5. Quant à moi, je constate la persistance du réalisme et du récit dans nombre de documentaires contemporains 6.
Des expériences à l’échelle locale peuvent être traumatisantes sans pour autant entraver leur mise en mémoire ou en récits. La question qui se pose aujourd’hui est plutôt de discerner de nouveaux rapports entre ces faits émiettés et dispersés.
« Voir les êtres et les choses dans leurs parties séparables. Isoler ces parties. Les rendre indépendantes afin de leur donner une nouvelle dépendance. » 7 Bresson, 1975
Difficile de créer « une nouvelle dépendance » à l’heure d’une mondialisation mal comprise. Le terme condense de manière commode de nombreux micro-événements et récits, nommant la cause de bien des maux de ce siècle sans pour autant les connecter. Comment, sans recourir à l’étiquette d’un terme fourre-tout utilisé aujourd’hui par les médias de tous bords, proposer un lien et lequel entre divers fragments documents filmés aux quatre coins du monde ? Si la jonction est trop explicite, ne réduira-t-elle pas le spectateur à un simple récepteur-consommateur d’analyse déjà formulée ? C’est la stratégie traditionnelle des voix narratrices guidant la lecture du documentaire, ou bien celles d’un montage discursif serré ou d’un récit sans failles, laissant peu de place au déchiffrement des documents filmés. Si l’intervalle entre les plans est trop vaste, laissera-t-il le spectateur à la dérive reconstituer automatiquement des discours et récits préétablis ?
Questions de confiance — en des spectateurs abandonnés à la force du représenté, aux pouvoirs du visible. Et questions de travail ou d’impotence intellectuelle de réalisateurs se contentant parfois de filmer et monter — plus longuement que ne le feraient les journaux télévisés, et certes la durée compte — les même situations et discours déjà largement médiatisés, ou bien s’en remettant mollement à la « vérité » des images d’acteurs sociaux en détresse, en larmes ou en lutte. Comment suggérer de nouveaux liens entre ces situations filmées au présent sans perdre de vue leurs fondements historiques ?
« Mon copain Hayao a trouvé une solution : si les images du présent ne changent pas, change les images du passé… » Chris Marker, Sans Soleil, 1982.
Un film révélateur de l’adéquation du cinéma à figurer autrement l’espace et le temps : un voyageur remonte le temps, retrouve l’histoire au gré de la mémoire que ses expériences convoquent. Ainsi au Japon, une cérémonie « archaïque » sur les lieux d’un suicide collectif de 1945 précède des images vidéo de Pearl Harbor retravaillées abstraitement. Les discontinuités spatiales et temporelles sont liées par la mémoire et la conscience. Pour certains, Sans Soleil fut un symbole de l’entrée de l’esthétique postmoderne dans le champ documentaire 8. Le postmodernisme — un terme qu’on emploie moins ces temps-ci — déconstruit le présent, reconstruit par des ruines, ressuscite des mémoires enfouies. Chris Marker suggère de forger le présent à la lumière du passé : pour ce faire, voyager dans le temps, mais aussi dans ce monde-ci. À la notion « d’irreprésentable » se substituent des questions d’esthétiques adaptées à leur moment historique.
En 2003, où en sommes-nous ? Les documentaires contemporains peuvent-ils se faire cartographes ? Tracer les lignes d’un monde en devenir, d’un procès dont on ne connaît pas la fin ?
Une carte se veut représentation symbolique et fonctionnelle du monde, cadre un espace dont elle choisit délibérément certains aspects. Elle est l’aboutissement d’un long travail, précédé de fabulations et d’explorations aventureuses, suivi de relevés minutieux. Au bout du compte le tracé se veut lisible, et souvent est utilisé.
Les cartes parfois se trompent, deviennent obsolètes, mais se succèdent. Un jour des photos du globe par satellite, en bas les caméras de surveillance. Trop loin, trop près.
Quelques films tentent de dégager un parcours lisible de la masse de données qui encombrent nos imaginaires, explorent des espaces, des situations qui éclairent le processus de mondialisation. Le choix d’une situation à filmer est le fruit d’un long travail d’exploration. Voici un bref repérage, non exhaustif, de documentaires qui proposent de nouveaux tracés en explorant : une situation actuelle, une histoire enfouie : des Cambodgiens affamés creusent une tranchée pour l’installation d’un câble internet (La Terre des âmes errantes, Rithy Panh, 1999) ; des itinéraires transcontinentaux comme ceux de nos aliments : la Genèse d’un repas — longuement retracée par Luc Moullet en 1978, comme le fut plus tard celle de l’Ananas par Amos Gitai (1994). Jorge Furtado suit une tomate du jardin à la décharge, parcours au rythme haletant qui évoque en quatorze minutes l’histoire de l’humanité (L’île aux Fleurs, 1989) ; des espaces où se nouent les fils de la géopolitique contemporaine : frontières, comme celle, physique, érigée entre les États-Unis et le Mexique pour stopper l’immigration tandis que se libéralisait la circulation des denrées (Performing the border, Ursula Biemann, 1999), ou celles, problématiques, d’Israël (Aux frontières, Danielle Arbid, 2002) ; corporations (Disneyland, mon vieux pays natal, Arnaud des Pallières, 2001) ; espace maritime, Espace oublié, qu’on redécouvrira ici dans le projet de Noël Burch.
Un moment où l’action collective au présent n’efface pas la mémoire du passé. Nous ne sommes pas au monde est un film sur la mondialisation et sur les morts du Cambodge, après le génocide : on y voit un moment de la vie de paysans cambodgiens spoliés de leur terre, manifestant en 2001 contre la mondialisation. Quelques plans de paysans rassemblés, de boîtes empilées, des bribes de poèmes chantées. Le tracé minimaliste et bref (dix minutes), est incomplet pour nous, ce qui fruste un spectateur de Lussas (le film y fut présenté en 2002 dans la section expérimentale baptisée L’Expérience des limites) :
« Votre film ne dit rien du génocide du Cambodge. »
« Ce n’est pas le propos, ce que je voulais montrer c’est ce qui reste, montrer le génocide par rapport à la communauté Khmer en France… ce qui en reste comme Traces ».
Auparavant, le réalisateur Sothean Nhieim parlait « de lambeaux qui restent en mémoire » (ainsi les bribes de poèmes chantées, parfois sans paroles), de « tentative de restauration de parole, d’identité » de « gens démunis » et de ses « pauvres moyens »… « En plus, je travaille sur un support très fragile, le super 8, projeté en original. En même temps, cela résiste… »
Lambeaux, bribes, traces fugaces : la carte est inachevée, en cours…
À qui la carte sert-elle, qui peut la lire ? Questions de publics, de la place des réalisateurs et des spectateurs dans l’espace mondial, de la circulation des documentaires, de leurs lieux de projection.
La plupart des documentaires qui circulent internationalement sur diverses chaînes câblées ou nationales, offrent pour « tous publics » une clôture narrative ou discursive ou bien une cohérence esthétique qui leur vaut le label « de création ». Ceux-ci ont de plus en plus de difficulté à vendre leur singularité ; il reste qu’un produit bien fini circule plus largement, les moyens de production mis en œuvre ou la facture d’un auteur jouent un rôle dans les choix des programmateurs. Ce pourrait-être aussi que ces films proposent un monde dont la cohérence rassure — quand on sait bien que l’histoire dispose.
Émerge, ailleurs, dans d’autres sphères, une esthétique de l’inachevé, qui trouve difficilement sa place dans le paysage télévisuel mondial mais caractérise nombre de documentaires contemporains destinés à des publics restreints, spécifiés, localisés… Je pense au film super 8 Nous ne sommes pas au monde que je viens d’évoquer et qui fut classé dans la catégorie somme toute élégante d’« expérimentale ». Et je pense aussi aux vidéos qui se veulent utiles localement et que nous connaissons peu, produites à Chiapas, au Liban, voire aux États-Unis par des ateliers comme Scribe à Philadelphie ou Appalshop basé dans les pauvres montagnes des Appalaches, et destinées à circuler d’abord dans leurs régions. Là-bas tout n’est pas que paillettes hollywoodiennes, les productions destinées au public access ont de maigres moyens, comme celles du groupe pionnier Deep Dish diffusé aujourd’hui « à bicyclette », une image mise en œuvre dans les années quatre-vingt-dix alors qu’il perdait accès à la couverture nationale par satellite qui fit son succès. Il y a aussi les productions de Channel Zero, un collectif de jeunes Noirs américains qui filme des concerts de rap, questionne la Guerre du Golfe, les identités sexuelles des femmes et gays du ghettos, et cherche, bien plus que la reconnaissance officielle, un public dans sa démarche et ses ouvertures. En retour, comme la mode et la pub ont su emprunter aux innovations des jeunes du ghetto, certains documentaires de télévision ou de « création » usent de cette esthétique ouverte aux spectateurs, à l’histoire en train de se faire.
Global / Local
Think global, act local.
« Global et local sont les deux faces d’un même mouvement » (Stuart Hall 9). Les termes ne sont peut-être pas bien choisis, mais ils circulent (comme les denrées des multinationales), soulignant la difficulté et la nécessité d’articuler ces deux points de vue. Ils traversent le champ documentaire. Pouvons-nous voir en filmant, joindre pensée et expérience, penser un processus à l’échelle globale, sans perdre de vue les spécificités culturelles des pays traversés, les traces des découpages nationaux imposés par la colonisation ?
Quand Moullet se filme, mangeant thon, omelette et banane, afin de retracer La Genèse d’un repas d’une austérité toute conceptuelle, il « localise » les pays producteurs et consommateurs, il suit le trajet géographique de denrées alimentaires, l’exploitation économique du travail, les profits des grandes compagnies, les inégalités Nord-Sud…
Mais en France il fait ses courses et mange, et il va au « Sud » ancre son parcours dans des spécificités historico-géographiques, indique les différents rapports au travail — de mise en boîte du thon par exemple — en Afrique et en France. La vue n’est pas seulement prise d’en haut, elle s’appuie sur une exploration du terrain.
L’île aux fleurs opère une condensation temporelle vertigineuse. Tout en suivant le trajet d’une tomate, du jardin producteur à la décharge locale, le film retrace l’absurde itinéraire d’une humanité qui au bout du compte nourrit mieux les cochons (qui ont des propriétaires et auxquels on donne les tomates non commercialisables) que les femmes et les enfants, les plus démunis des pauvres d’aujourd’hui qui se nourrissent des tomates rejetées par les consommateurs.
Histoire d’une logique cruelle et hilarante, contée sur un rythme effréné, qui parvient à inclure une image d’Hiroshima et des camps nazis, mais se termine où elle a commencé, dans une banlieue de Porto Alegre précisément nommée « L’île Aux fleurs », ce qui est indiqué par un panneau routier, et où, derrière la grille de la décharge, des groupes de femmes et d’enfants, en effet, attendent leur tour pour glaner leur subsistance. Après une image de synthèse du globe proposée au générique, le film commence par et débouche sur une image documentaire, spécifiée, temporalisée (1989).
Cette histoire, explicitement inscrite à l’époque de la « mondialisation », rappelle la tradition ancestrale du glanage qu’Agnès Varda resitue, légalement, ici, en France, avec à l’appui l’image d’un avocat en robe dans un champ rappelant le droit de tout un chacun à ramasser les restes d’une récolte (Les glaneurs et la glaneuse, 1999). Les deux films ont en commun de traiter de l’autorisation de glaner : droit pérenne ou octroi opportuniste, le glanage soulève la question de la constance des négociations entre repus et inassouvis. Rappeler aujourd’hui ces traditions ancestrales revient-il à accepter l’écart entre pauvres et riches comme intemporel et inéluctable ? Certaines séquences de Les glaneurs et la glaneuse évoquent la tradition. Bien d’autres l’actualisent, signalent la survie que le glanage permet aux pauvres d’aujourd’hui, ou bien encore — celles où Varda se filme glanant avec la nostalgie et la créativité d’une esthète repue — réveillent des plaisirs terre à terre, introuvables dans les supermarchés, et ceux de la paresse, introuvables dans les exploitations agricoles, usines ou bureaux de notre quotidien. Plaisir de trouver les fruits de la terre sans avoir à la travailler, de les récolter soi-même, d’en contempler les formes, et, peut-être, de les manger. Collision d’expériences qui inscrit ce film en un temps et continent spécifiques.
La référence spécifique (à un corps socialisé, un espace localisable hors film, un temps historisé) caractériserait le documentaire. Singularité désignée d’emblée, et qui ne permettrait que partiellement identification, appropriation ; l’altérité maintenue non pas par des techniques de distanciation mais par la spécificité de l’image des lieux filmés et de ceux qui y vivent.
L’apanage de la fiction serait la référence non spécifique (susceptible de traverser les frontières culturelles, appropriable par de nombreux spectateurs) 10 : des personnages inventés évoluent dans des espaces imaginaires, des lieux esquissés lors du scénario puis trouvés ici et là lors des repérages, ou bien créés en studio. Après le visionnement le spectateur pourrait voir ce monde imaginé comme une allégorie de son monde 11. Mais aujourd’hui, même en fiction, bien des références spécifiques sont accessibles à des spectateurs vivant en des pays et continents divers. Accessibles, c’est-à-dire renvoyant à un vécu, à des expériences du même ordre.
Spécificité de certaines expériences à l’heure de la « mondialisation » : manger au McDonald, travailler pour une multinationale, voir le marché du travail s’orienter vers le temporaire et inviter à la mobilité géographique ; regarder des émissions de télé conçues par des producteurs d’ailleurs et jouées par des acteurs locaux ; savoir que dans d’autres pays les mêmes concepts sont vendus aux télévisions. Penser le 11 septembre 2001 comme une date à l’échelle de l’histoire mondiale, mais recontextualiser son interprétation à l’échelle nationale ; le 11 septembre n’est qu’une onde de choc de plus. Du point de vue du téléspectateur un plus grand spectacle encore. Il y eut également la démolition du mur de Berlin, la Guerre du Golfe, les morts de Yougoslavie, les massacres du Rwanda, les morts de Palestine et d’Israël, la préparation à la guerre contre l’Irak, des images aussi des catastrophes écologiques, de la mal bouffe, des traversées de frontières, des tribulations des sans-papiers — cependant non sans Histoire, ce qui est moins souvent évoqué par les reportages télévisés.
Nous regardons cela en mangeant du thon, des œufs, des bananes ou des ananas, et en effet nous avons des difficultés à connecter ces données. Faute de mieux, nous parlons de mondialisation. La mondialisation est un terme qui secoue la notion de référence spécifique. Est-ce pour cela qu’on parle tant de l’effondrement de la distinction documentaire / fiction ?
Satellites et caméras
Se pose à nouveau, et différemment, la question du « point de vue documenté », celle de la place adoptée par le réalisateur.
Arnaud des Pallières explore Disneyland en partant d’un train de la banlieue parisienne (Disneyland, mon vieux pays natal, 2001). Il ne filme pas en les raillant des visiteurs consommateurs abrutis mais ressuscite des rêves d’enfant au rythme des questions posées par la douce voix électronique d’Ingrid, silhouette sexy et fluorescente, incarnation d’un réseau informatique. La première question que pose cette nouvelle icône Disney invite à rêver : « Quand vous voyagez à travers l’univers, vous repérez-vous à l’aide d’une carte ou vous servez-vous de votre boussole interne ? » Le réalisateur gamberge, pourtant son trajet n’est pas guidé par sa seule « boussole interne ». Décryptant un pays de rêve, la caméra montre et rencontre : Dingo, délégué syndical, parle de difficultés liées aux costumes et aux toilettes ; une petite fille aveugle touche le visage et le ventre d’une danseuse lors d’une grande parade costumée ; un veuf à la retraite raconte le cancer de sa femme. Des rencontres singulières et donc disparates, dans un monde féerique, plastifié, programmé à T’échelle globale. À la critique implicite du monde Disney se mêlent des bribes de rêves révélés, ceux du réalisateur et ceux des visiteurs. Le terrain est exploré du dedans.
La Terre des âmes errantes (1999) décrit lentement le creusement d’une tranchée traversant le Cambodge afin qu’on y installe un câble internet. Pour un maigre salaire, des paysans quittent leurs terres et creusent péniblement en suivant un trajet qui semble aussi rectiligne que bureaucratique, endommageant leurs mains et leurs forces. Rithy Panh s’attarde, souvent en gros plans, sur le travail du creusement de la terre, les visages fatigués et les mains blessées au bénéfice des planifications d’Alcatel ; il montre, calmement, la découverte d’un obus, trace dangereuse du passé, et la faim actuelle de familles déracinées. Survies extrêmement difficiles et grande intelligence d’une situation historique complexe. Ainsi cette discussion entre trois ouvriers : dépeçant un à un les fils du câble, l’un d’entre eux explique la magie de la transmission instantanée de lettres, de voix, d’images. Ayant écouté ce discours de progrès, un autre ouvrier lui répond en riant « je n’ai pas l’électricité, juste une lampe à pétrole »… « et pour la lampe, je n’ai souvent pas de pétrole ». Il rit, et de son rire naît l’empathie et la connivence (et non pas la condescendance) du spectateur européen. Compréhension et sentiment de relative impuissance partagés, intelligence commune, niveaux de vies incomparables. La documentation des terrains nombreux et variés où opèrent les multinationales est indispensable au Premier comme au Tiers Monde. Et le succès de ce film réalisé par un Cambodgien sur l’état de son pays aujourd’hui, film financé et diffusé par d’anciens colonisateurs, témoigne de sa pertinence historique.
Aux explorations effectuées par ces réalisateurs, on opposera la vision globale proposée par Wild Blues (T. Knauf, A. M. Meert, 2000) monument aux morts, à tous les morts du monde, Lisse, post-moderne et pompier, construit à partir de chutes d’autres films du même réalisateur, où les traces de douleurs passées sont splendides. Le film emprunte l’approche satellite — de fait on y montre et parle des satellites — survole l’Afrique blessée, Allemagne sur-organisée, les magnifiques ruines du Liban, et de très belles statues indiennes, brisées. Au bout du compte ne reste qu’une vague idée du Mal. Le parti pris de ne monter que les images (généralement stéréotypées) des traces en divers pays de l’incommensurabilité et de l’hétérogénéité inclassable des actes de cruauté collective, une caméra qui travaille à dépouiller l’image de sa spécificité historique, débouchent sur un amalgame des crimes de masse. On pense au « voyageur sidéral » qu’évoque Baudrillard 12, qui de jet en jet, circule sans jamais s’arrêter. On se dit qu’à tant simuler et adopter le point de vue du pouvoir, on oublie celui des images collectées sur le terrain.
Les visions globalisantes, d’en haut, les vues satellites, les généralisations « objectives » des JT sont très nombreuses. Elles invitent à explorer spécifiquement des territoires.
La caméra est-elle une arme ? Vieille question, nouveaux usages.
C’est une caméra amateur, filmant les brutalités policières sur Rodney King à Los Angeles, qui — parce qu’elle avait vendu le document aux télévisions — déclencha des émeutes secouant profondément le pays de l’intérieur. Autres temps et lieux, autres alliances : les films des manifestation de Gênes et Seattle (Carlo Giuliani, ragazzo — F. Comencini, 2002 ; Le Monde entier regarde, Collectif Le cri, 2000) révèlent que de très nombreux manifestants ont une caméra au poing. Francesca Comencini se sert de ces documents : elle monte, en contrepoint aux propos de la mère endeuillée qui se souvient, les images de la manifestation, de la rue, de son fils brutalisé. Comparés, les deux films révèlent des stratégies différentes : dispersion, décentralisation de Seattle, bouclier centralisé et vulnérable des chevaliers de Gênes. Stratégies différentes face à des pouvoirs qui eux aussi étudient cultures, documents vidéo et traces de luttes antérieures. La caméra est une arme, maintenant dans tous les camps.
Post-colonialisme et déterritorialisation
Le terme « post-colonialisme » émerge au milieu des années quatre-vingt, forgé par les intellectuels du Tiers Monde qui ont réussi à pénétrer les universités euro-américaines : il subvertit la notion même de Tiers Monde, ses connotations péjoratives gommant l’Histoire. Le terme se répand après la période dite « coloniale », mais aussi au moment où l’on prend conscience de la puissance accrue des corporations transnationales, des migrations humaines et de celles des usines, d’une nouvelle division internationale du travail, de la rapidité des échanges liés aux nouvelles technologies. C’est une période pendant laquelle des entrepreneurs et dirigeants du Tiers Monde formés dans les universités du Premier et Second Monde facilitent volontiers ces échanges. Les universités de langue anglo-saxonne font une place institutionnelle aux « postcolonial perspectives », les valident comme champ d’études. Ce sont elles aussi qui louent (en tout cas aux États-Unis) et projettent des documentaires susceptibles de faire avancer les débats.
Pourquoi ces notions — ainsi que celles explorées dans les cultural studies florissant outre-Atlantique — n’ont-elles pas facilement traversé nos frontières ? C’est d’autant plus étrange que les travaux d’intellectuels français tels Foucault (cité de New York par Manthia Diawara 13), de Certeau (cf I. Thierno Dia, infra), Derrida, et autres sont régulièrement mis en œuvre par d’anciens colonisés lesquels n’hésitent pas à commenter les paradoxes de leur héritage intellectuel. Sans doute faut-il souligner la force de l’universalisme français, un système de pensée globalisant qui tend à gommer les différences, la volonté officielle de maintenir un monde francophone, et le souci « d’intégrer » les immigrants parfois au détriment de leurs particularismes culturels. N’oublions pas cependant qu’ici, nombre d’universitaires et de documentaristes travaillent ces notions sous d’autres intitulés. Néanmoins, le manque d’échange intellectuel est flagrant (barrage linguistique aisément surmonté par l’Europe du Nord où l’on parle couramment l’anglais ?). Il reste que le terme « post-colonial » conjure l’oubli et a l’immense utilité de rappeler leur passé aux nations colonisatrices.
Cependant la notion de « post-colonialisme » reste vague : comment dater, à l’échelle globale, l’avant du post ? En Amérique latine et du Nord on sera tenté d’évoquer Christophe Colomb. Les intellectuels du Cambodge n’évoqueront pas les mêmes temporalités que ceux de l’Inde ou du Cameroun. Gommant les spécificités culturelles et les histoires locales, le terme incite à leur exploration.
Dans un premier temps les études post-coloniales font une place essentielle aux cultures du Tiers Monde, voire aux nationalismes — une étape conçue comme inévitable et nécessaire. De fait, alors que le Second Monde s’effondre, l’Ouest célèbre la chute du mur de Berlin et parle volontiers de multiculturalisme. Ceci satisfait plus les tenants du rêve américain du melting pot ou les « discours universalistes de la sphère publique bourgeoise » 14 que les intellectuels qui revendiquent leur héritage de colonisés : pour eux il s’agit donc d’écrire au présent une histoire empreinte du colonialisme trop volontiers gommé.
Et dans le champ documentaire ce seront des réalisateurs issus des anciennes colonies qui filmeront et représenteront leurs pays et communautés : aux États-Unis — ceux des indépendants —, des distributeurs font une place conséquente aux productions par, sur et pour des minorités, soutenus en cela par le développement au sein des universités des études « africaines », « asiatiques », « afro- américaines », « latines américaines ». California Newsreel, Cinema Guild, Third World Newreel, Women Make Movies proposent des regroupements par continents et pays, offrant de nombreux documentaires souvent à petit budget qui permettront de constituer une histoire audiovisuelle négligée des médias commerciaux, y montrant des images, des visages sous-représentés par ailleurs. Un ouvrage de 1994 se dote d’un titre révélateur de cette politique : « Ils Doivent Etre Représentés — They Must Be Represented, The Politics of Documentary » 15. Politique qui n’est pas sans poser des problèmes complexes : les réalisateurs portent le « fardeau de leur représentation » 16, re-travaillent les stéréotypes racistes ou ceux des bienveillants portraits de « victimes sociales » répandus sur les écrans de cinéma et de télévision, et adressent les préoccupations de leur communauté : de telles démarches passent par la recherche de publics spécifiés, mais expriment bien vite le souci de dépasser les essentialismes communautaires. En Angleterre, des groupes comme Sankofa Films produisent des films aux titres porteurs de ces préoccupations : Territories, 1985, d’Isaac Julien, Passion of Remembrance, 1986, de Maureen Blackwood et Isaac Julien, l’un et l’autre déconstruisant les représentations modernistes des races. Dans ces approches on discerne les affinités, questionnées ensuite, entre post-modernisme et post-colonialisme. Des États-Unis encore un film — car il n’est pas question ici de les lister tous — au titre également révélateur du désir d’historiser, Remembering Wei Fang, Remembering Myself (1995). La réalisatrice, Yvonne Welbon, est Noire, élevée à Taiwan, et rappelle dans la séquence d’ouverture qu’elle put ainsi échapper au racisme américain : sur des images de formulaires offrant différentes cases à des races et ethnies diverses elle surimpose le titre May Be, peut-être.
Ce film, comme bien d’autres dans les années quatre-vingt-dix, marque le développement d’un intérêt pour les identités diasporiques. Ce que les distributeurs soulignent : en 1995 le catalogue anniversaire de Third World Newreel propose des rubriques comme « African Diaspora » et « Asian Diaspora » Les parcours sont très divers et presque par nécessité nombre de documentaires se font biographiques : l’enfant d’émigrants aux parents issus de cultures parfois diverses est l’incarnation d’histoires aux temporalités multiples, de cultures sans liens sinon qu’elles furent, un temps, sous le joug d’une puissance coloniale. De ces documentaristes Peter X. Feng dira : « Liant passé et présent, ces réalisateurs sont la collure qui soude la discontinuité du jump cut » 17.
Etudes culturelles et études post-coloniales se rejoignent, s’entrecroisent comme des disciplines complémentaires, et leurs réflexions nourrissent et se nourrissent des travaux des documentaristes.
Nations
Voile, tchador, et récemment burka, sont-ils des stéréotypes de plus qui circulent sur toutes les télévisions du monde, à l’ombre des tours détruites du World Trade Center ? Récurrence d’images diffusées en boucle, photographiées et reproduites dans la presse écrite, immobilisées, et dont les lignes simplifiées acquièrent finalement en nos mémoires le statut d’icône. Il y a du corps sous la burka, on le sait bien, des individus furent détruits dans l’attaque des tours, mais la répétition de ces images dépossédées des détails de la chair, dérange : leur réception au niveau local n’est pas sans poser problème.
Les foulards sont dans Paris, la République s’y oppose, mais les citoyens sont curieux. Après les attentats du 11 septembre et pendant la guerre en Afghanistan, nombreux sont ceux qui explorent l’Islam en librairies pour compléter les infos des JT et magazines télévisés. Et d’ici, on en vient à se demander pourquoi la France, au nom des Lumières (qui aveuglent aux couleurs ?), au nom de la République, de l’universalisme laïque, s’obstine à ne parler que de parité sexuelle, et seulement dans son système électoral (Avec Nos deux Marseillaises et Rêves de France à Marseille (2001) sur la difficile inclusion d’arabes sur les listes de Marseille, Jean-Louis Comolli documente une « expérimentation politique »). Pourquoi Saga-Cités, le seul programme de télévision dévoué à explorer, sans grands moyens, la vie dans nos villes de migrants déracinés, pourquoi cette série fut-elle interrompue, justement après l’alerte Le Pen ? En tant que spectateur on se demande pourquoi — quand nous aurions acquis cette nouvelle conscience globale — les images complexes de femmes en foulard et néanmoins résolues à agir dans une société contemporaine réfractaire à leur culture, circulent si difficilement.
Le national résiste. Partout.
Et particulièrement en Amérique du Nord. Tout en poursuivant ses visées impériales, le pays s’est refermé comme une huître. Il n’attendait que cela, depuis longtemps. Déjà, tandis qu’on y prônait la dérégulation, la libre circulation des denrées et des capitaux, les frontières de la nation se renforçaient (fin des écoles bilingues en Californie par exemple).
Que s’y passe-t-il aujourd’hui ? Les spectateurs du monde entier ne peuvent que saluer la démarche politique de ceux qui se situent, pour la combattre, au sein d’une superpuissance ennemie.
Les films de Michael Moore déclinent la même formule : le documentariste se fait comédien à l’écran, éditorialise et ironise tout en effectuant des allusions autobiographiques. Le public salue. Certains critiques, c’est leur métier, font la fine bouche. En effet, Moore reprend depuis plusieurs années en divers films et émissions télévisées la recette du célèbre Roger et Moi (1989) : le plus populaire des documentaires américains des années quatre-vingt retraçait la biographie du réalisateur à l’ego affirmé — le Moi du titre — et sa tentative de rencontre du président de General Motors, Roger, au moment où celui-ci déplaçait ses usines au Mexique, mettant au chômage nombre d’ouvriers de Détroit. C’est aujourd’hui encore la formule mise en œuvre dans Bowling for Columbine (2001). Le documentariste réduit quelque peu l’importance de son commentaire en voix off pour faire place à la voix de l’auteur d’une théorie qu’il illustre filmiquement : la peur, entretenue par dirigeants politiques et média, serait le ciment de la société nord-américaine. La thèse est intéressante, mais la recette filmique reste la même et d’aucuns la jugent irritante. Peut-être est-elle un moyen sûr d’atteindre un public populaire en des pays soumis à l’oppression de médias portes-parole de l’idéologie de l’État et des corporations qu’il soutient.
De fait, on a établi un parallèle entre les films de Michael Moore et ceux du documentariste israélien Avi Mograbi. En 1997, celui-ci se mettait en scène pour présenter Sharon et critiquer de l’intérieur la politique de son pays dans How I learn to overcome my fear and to love Arik Sharon. Il va beaucoup plus loin dans August (2002), revendiquant sa propre hystérie et une esthétique du ridicule — approche qui n’est certes pas dans la tradition documentaire. Sans hésiter à adopter un burlesque frôlant parfois l’obscénité, il joue à l’écran trois rôles — le sien, celui de sa femme, et celui de son producteur — et propose un documentaire sur Israël au mois d’août, un mois « ordinaire » qu’il n’aime pas et lui permet d’insister sur tout ce qu’il déteste dans son pays. Loin de s’en tenir à une ironie distante et confortable, et de nous y maintenir, nous spectateurs, il dérange par le grotesque outrancier de chacun des rôles qu’il assume. L’excès dérange, et les regards directs à la caméra d’une même personne divisée en trois rôles.
Il reste que Moore et Mograbi assument dans leurs films la place inconfortable du documentariste dissident, du citoyen de gauche peu sexy, mal à l’aise au sein d’une puissance oppressive dans ses visées expansionnistes. L’un et l’autre analysent leur nation en riant jaune, conscients de l’ambiguïté de leur position. L’un et l’autre se servent de l’humour comme dernière arme citoyenne et ouverture vers un plus large public. Face à un arsenal puissant, l’humour est l’arme du pauvre — et donc du documentariste.
Ici, parlons encore de ces vidéos modestes que souvent nous ne voyons pas, des foyers de résistances mal connus à l’étranger, des moyens qu’autorisent les nouvelles technologies et quelques subventions post-coloniales. Qu’en est-il de ces documentaires que les festivals, et moins encore les télévisions montrent rarement ? Échelle locale, circulation discrète, échanges entre spectateurs. Alors que les manifestations aux États-Unis contre la guerre en Irak furent peu documentées par leurs médias, des distributeurs indépendants, tel Women Make Movies mentionné plus haut, proposaient gratuitement des programmes à de nombreuses associations, contribuaient à mettre en œuvre des réseaux de résistance en faisant circuler des vidéos qui présentaient sous un autre jour que les grands médias les femmes de Palestine, d’Irak, du Pakistan, ou d’Iran, et présentaient des approches documentaires rarement diffusées par les télévisions.
Frontières
Murs montants — à peine le mur de Berlin détruit. La frontière mexicaine nord-américaine est le point d’arrivée de paysans venus travailler dans les maquiladoras, zones détaxées (en Haïti ou au Mexique) où se sont installées les industries nord-américaines : espaces de la dérégulation économique en action. On y trouve beaucoup de femmes au travail sous-payé, femmes jeunes et sans travail, aux vies souvent abjectes, et parfois victimes de meurtres. La frontière devient l’espace privilégié de la divisions des sexes et des générations ; s’y épanouissent prostitution et industries de divertissement pour touristes d’un jour. Espaces matériels autant que symboliques, d’où émergent de nouvelles consciences et discours, explorés par exemple dans Performing the Borders, un essai vidéo d’Ursula Biemann (1999), ou par Lourdes Portillo dans Señorita Extraviada (2000).
Passage difficile des migrants économiques, passage facile des denrées. Résistances. Et de l’autre côté de cette frontière maintenant renforcée d’un haut grillage, des manifestants nord-américains hurlant leur désaccord : Breaking Conventions (LA et San Diego Alternative Networks, diffusé par Deep Dish, 1996).
Depuis la guerre du Golfe, la frontière qui sépare le Koweït de Irak est contrôlée par l’ONU. De brèves images d’un reportage télévisé sur la menace de guerre en Irak montrent quelques soldats, des barbelés, un no man’s land.
En revanche, les documentaires évoqués plus haut nous rappellent que géopolitique et transhumance sont indissociables, que le corps, migrant, au bout du compte, est porteur de notre histoire.
Ailleurs, frontière encore renforcée entre Israël et Palestine : éprouvant passage des personnes et marchandises que documente Ram Loevy avec une équipe d’Israéliens et de Palestiniens dans Gaza, l’enfermement (2001). Présenté, hors compétition, au festival Cinéma du Réel 2002, ce documentaire de 52 minutes démontre aussi que les conventions télévisuelles n’excluent pas la complexité. Et frontières problématiques d’Israël que Danielle Arbid choisit de ne pas traverser, mais de visiter, l’une après l’autre dans Aux frontières, documentaire projeté en plein air à Lussas en 2002.
Les documentaires sur le sujet de la frontière sont nombreux. Un prochain numéro de la Revue Documentaires traitera du Moyen-Orient… nous y poursuivrons l’exploration des films et théories suscités par la notion de frontière. Car par-delà les murs, barrières et obstacles marquant certaines frontières, celles-ci sont l’espace physique d’allers et retours entre cultures, et l’espace symbolique des négociations entre identités réductrices et consciences fragmentées 18.
- Revue Lignes Mai 2002, Alain Badiou : » Vainqueurs/Vaincus, Un monde en guerre « , p 33.
- Serge Daney, Devant la recrudescence des vols de sac à main. Aleas, Lyon, 1991.
- Pierre Baudry m’a signalé ce glissement de termes. Je tiens à l’en remercier, ainsi que de sa relecture du texte.
- Hayden White, » The modernist event « , Persistence of history, Vivian Sobchack ed., Routledge, New York, London, 1996, pp 17-36.
- l’ensemble des essais de Persistence of History constituent une réponse à celui de White.
- Sylvie Thouard » L’événement en questions » in Documentaires américains contemporains, L’Harmattan, coll. Champs Visuels, Paris, 2001.
- Robert Bresson, Notes sur le Cinématographe, Folio Gallimard, 1975-1988.
- Sans Soleil sert de marqueur de l’esthétique post-moderne en documentaire à de nombreux critiques américains ; par exemple Edward Branigan, Narrative Comprehension and Film, Routledge, New York, 1992.
- » Global and local are the two faces of the same movement from one epoch of globalization, the one that has been dominated by the nation-state, the national economies, the national cultural identities, to something new « . Stuart Hall, » The Local and the Global » in Dangerous Liaisons, ed A. McCintock, Aamir Mufti & Ella Shohat, University of Minnesota Press, 1997, p. 178.
Il distingue donc des périodes dans le procès de globalisation : le local et global appartiendraient à la période pendant laquelle les états-nations ont encore du pouvoir ; dans la nouvelle période, dominée par la culture de masse américaine, les cultures nationales disparaîtraient : concentration de culture et autres formes de capital évoluant sur le modèle américain. Il me semble aujourd’hui que le » national résiste » et je ne souscris donc pas à la périodisation qu’il propose. - Edward Branigan, Narrative Comprehension and Film, Routlege, London, N.Y, 1992.
- Fredric Jameson, The Geopolitical Aesthetic, Indiana University Press, 1992.
- Jean Baudrillard et Marc Guillaume, Figures de l’Altérité, Descartes & Cie, 1994.
- Manthia Diawar, » Reading Africa Through Foucault ; V.Y Mundibe’s Reaffirmation of the Subject » in Dangerous Liaisons, ibid
- Jürgen Habermas, nouvelle préface à la nouvelle édition de l’Espace Public, Payot, 1990.
- Paula Rabinowitz, They Must Be Represented, Verso, London, New York, 1994.
- Voir le chapitre » Displacing the burden of representation » dans l’article de Kobena Mercer » Recoding narratives of Rca and Nation « , The Independent, January 1989.
- Peter X. Feng, » Decentering the Middle Kingdom » Jump Cut N° 42, 1998.
- D’où le flou de la frontière entre public et prive revendiqué par des féministes comme Julia Lesage qui note que minorités et femmes orientent l’autobiographie documentaire vers l’activisme politique : bien sûr leurs consciences fragmentées ne garantissent pas le changement social mais elles en sont un nécessaire préalable. » Women’s fragmented consciousness in feminist experimental Autobiographical Video » Feminism and Documentary, ed. D. Waldman & J. Walker, University of Minnesota Press, 1999.
- Ananas | Amos Gitaï | 1984 | France, Israël | 1h18 | 16 mm
- Août, avant l’explosion | Avi Mograbi | 2001 | Israël, France | 1h12 | 35 mm
- Aux frontières | Danielle Arbid | 2002 | Belgique, France | 1h | Vidéo
- Bowling for Columbine | Michael Moore | 2002 | États-Unis | 2h
- Carlo Giuliani, ragazzo | Francesca Comencini | 2002 | Italie | 1h03 | 35 mm
- Comment j’ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon | Avi Mograbi | 1997 | Israël | 1h01 | Vidéo
- Disneyland, mon vieux pays natal | Arnaud des Pallières | 2001 | France | 46’ | Vidéo
- Genèse d’un repas | Luc Moullet | 1978 | 1h55
- L’Enfermement | Alain Wiame | 2007 | Belgique | 45’ | Vidéo
- La Terre des âmes errantes | Rithy Panh | 1999 | 1h16
- Le Monde nous regarde | Peter Raymont | 1988 | Canada | 59’
- Les Glaneurs et la Glaneuse | Agnès Varda | 1999 | 1h22
- L’Île aux fleurs | Jorge Furtado | 1989 | 12’
- Nos deux Marseillaises | Jean-Louis Comolli | 2001 | France | 52’ | Vidéo
- Passion of Remembrance | Maureen Blackwood, Isaac Julien | 1986 | Royaume-Uni | 1h20
- Performing The Border | Ursula Biemann | 1999 | Vidéo
- Remembering Wei-Yi Fang, Remembering Myself | Yvonne Welbon | 1995 | États-Unis
- Rêves de France à Marseille | Jean-Louis Comolli | 2001 | France | 1h45 | Vidéo
- Roger and Me | Michael Moore | 1989 | 1h31
- Señorita Extraviada | Lourdes Portillo | 2001 | 1h16
- Territories | Isaac Julien | 1984 | Royaume-Uni | 25’ | 16 mm
Publiée dans La Revue Documentaires n°18 – Global/local, documentaires et mondialisation (page 7, 3e trimestre 2003)
